De l’ingénieur au barista : la reconversion de Julien, un Français en Chine— « Ce qui est véritablement créé à la main prendra de plus en plus de valeur »

1744188340292 Chine-Info Lydia Wang

Ma rencontre avec Julien a commencé avec une tasse de café à la peau de lait mongole.

Par un soir de pluie fine en 2024, un festival international de la gastronomie de Pékin brillait de mille feux, attirant les visiteurs dans un tourbillon de saveurs et de couleurs. Parmi les nombreux stands, un en particulier a capté l’attention des passants : celui de « Café à la peau de lait mongole». Mais ce n’était pas seulement l’enseigne qui intriguait, c’était aussi le vendeur : un grand homme mince au visage européen, s’exprimant dans un chinois teinté d’accent étranger : « Bonjour, voulez-vous essayer ? »

Quelques mois plus tard, en visitant son café, j’ai pu découvrir son histoire.

De l’ingénieur français au barista à Pékin

Julien Pareil, connu en Chine sous le nom de Zhuli’en (朱利恩), est né à Bordeaux. Diplômé de l’une des plus anciennes écoles d’ingénieurs de France, l’ENSAM (École Nationale Supérieure d'Arts et Métiers), il a travaillé pendant dix ans chez Vinci, le plus grand groupe de BTP français.

À Wangjing, un quartier de Pékin, se trouve un café nommé Novae Café, tenu par un jeune Français, Julien Pareil. Sur la photo du 12 mars, Julien prépare un café dans sa boutique. (Toutes les photos sont prises par Lydia WANG)

Pourquoi alors quitter un emploi stable pour tout recommencer en Chine en tant que barista ?

« Pendant la pandémie, j’ai commencé à reconsidérer le sens de ma vie », confie Julien. Après des années passées dans une grande entreprise parisienne, lui et sa femme ressentaient une lassitude face à la routine du quotidien. Passionné de café et de pâtisserie, il rêvait d’une nouvelle aventure. Fin 2022, il suit sa femme en Chine et décide de se lancer dans le monde du café. « La vie est courte, il faut saisir les opportunités avant qu’elles ne disparaissent. »

C’est ainsi que Novae Caféest né.

Novae Café.

Le nom « Novae » vient du mot français désignant l’explosion d’une étoile, symbole de renouveau et de fraîcheur. Son logo représente un ours pédalant sur un grain de café. Pourquoi un ours ? « C’est mon animal préféré, et le café donne de l’énergie : grâce à lui, mon ours peut voyager partout et rencontrer toutes sortes de personnes. »

Créer son entreprise est une aventure semée d’embûches, encore plus lorsqu’on est étranger. Mais selon Julien, le plus grand défi a été de passer du statut d’employé d’une grande entreprise à celui d’entrepreneur indépendant. « Il faut changer de mind-set… des fois, il y a des jours où ça marche bien, des jours où ça marche moins bien…L’important est de garder un rythme de travail se concentrer sur l'objectif final. »

Les grains de café soigneusement sélectionnés et nommés par Julien.

Avec le temps, ils ont su bâtir une clientèle fidèle. Parmi les habitués : des employés de bureau venant chercher leur café matinal, des résidents du quartier partageant un gâteau entre amis, ou encore des parents attendant leurs enfants en sirotant une boisson spéciale.

Entre saveurs françaises et fusion sino-française

Très vite, Julien a remarqué les différences entre la culture du café en France et en Chine.

« En France, le café, c’est le café », s’amuse-t-il. « Mais en Chine, les clients posent beaucoup de questions : ‘Quelle sorte de café est-ce ? Quel est le lieu d'origine ? Quel est le goût ?’ » Il réalise que les Chinois explorent encore le monde du café, animés par une grande curiosité, ce qui stimule l’innovation dans le marché chinois du café.

Les plateaux servant de support aux tasses de café dans la boutique sont dans les trois couleurs bleu, blanc et rouge du drapeau français.

Alors qu’en France, les menus des cafés restent inchangés pendant des décennies, en Chine, de nouvelles saveurs apparaissent sans cesse. Julien s’adapte en proposant régulièrement de nouvelles boissons, tout en restant fidèle aux saveurs françaises. Il cherche un équilibre entre les influences des deux cultures – c’est ainsi qu’est né son café à la peau de laitmongole: un mélange audacieux d’oolong, de café, de crème, de peau de lait deMongolie-Intérieure, de caramel à la française et depistaches hachées. Une fusion qui séduit de nombreux clients.

Au-delà du goût, Julien veut aussi partager la culture française. À chaque création, il joint une carte illustrée avec une citation en français. En mars, sur le thème « Femmes et mode », Il a conçu un nouveau café nommée « La Vie en Rose », accompagnée d’une carte représentant un ours tenant un sac Chanel, avec cette citation de Coco Chanel :

« Pour être irremplaçable, il faut être différente. »

Cette photo montre des cartes créatives conçue par Julien.

Les grands événements culturels – Jeux Olympiques de Paris, Tour de France, Nouvel An chinois, Noël – l’inspirent aussi à concevoir des cafés uniques. À sa grande surprise, certains clients collectionnent même ces cartes !

De l'« être » à vivre

Que signifie le café pour lui ?

Julien se remémore son enfance en France : chaque matin, son père préparait une grande cafetière et toute la famille partageait un petit déjeuner en trempant des croissants dans le café. Plus tard, dans le monde du travail, la pause-café était un moment sacré : les collègues se retrouvaient à la machine à expresso pour discuter, parfois jusqu’à cinq tasses par jour…

Novae Café.

« En France, le café, c’est avant tout un moment de partage », observe-t-il. À Pékin, il voit cette habitude se développer : beaucoup de clients viennent non seulement pour boire un café, mais aussi pour bavarder et passer un bon moment ensemble.

Dans son café, de nombreux détails rappellent ses racines françaises : les sous-tasses sont aux couleurs bleu-blanc-rouge du drapeau français, ornées d’expressions comme « La crème de la crème », « C’est la vie », ou « Oh là là ». Une bibliothèque propose des ouvrages en français, allant du classique Le Petit Princeaux romans contemporains comme Nouvelle Babelpublié en 2022.

Sur le comptoir trône un vieux modèle de cycliste en métal, usé par le temps. C’était un jouet de son père. En France, de nombreux parents rêvent que leurs enfants intègrent une grande entreprise, derrière un bureau, à taper sur un clavier et assister à des réunions. Mais Julien est convaincu que l’avenir appartient aux artisans.

« L’ère de l’intelligence artificielle approche à grands pas. Beaucoup d’emplois intellectuels vont disparaître. Mais ce qui est fait à la main, avec un vrai savoir-faire, aura toujours de la valeur. »

Julien.

Juliena mentionné que l'un de ses livres préférés est De l'être à Vivre, du philosophe et sinologue français François Julien, qui mentionne que les Occidentaux ont l'habitude d'expliquer le monde par la logique, alors que les Chinois se concentrent davantage sur l'expérience, la pratique et la fluidité de la vie.

D'une certaine manière, cela correspond parfaitement à la vie de Julien. Aujourd'hui, il a trouvé sa place à Pékin. En plus de gérer un café, il aime jouer de la guitare et faire du vélo. Il a même rejoint un groupe de cyclistes de 500 membres, et il se rend occasionnellement dans les « village cafés » à la mode pour découvrir différentes saveurs de café.

Mélanger thé oolong et café peut sembler improbable, mais le résultat est surprenant. Tout comme la rencontre entre la France et la Chine, entre un ingénieur et un barista. Parfois, la vie ne consiste pas à chercher des réponses définitives, mais à oser l’inconnu et savourer l’inattendu.

Addresse : Niveau 1, NOVAE CAFE, Bâtiment 7, Centre Futai, Cour 33, Rue Beishun Nord, Quartier de Chaoyang, Pékin, Chine

Article/Photos © Lydia WANG

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