
Qui sont les fans de web-romans chinois en France ? Rencontre avec une communauté aussi discrète qu’active
Mélanie Labat* a
33 ans, elle est auvergnate, parle couramment coréen et possède
quelques bases de mandarin. À côté de son job de juriste à
Strasbourg, elle s’adonne à sa passion : la traduction de
web-romans, particulièrement de web-romans chinois. Mélanie et
l’équipe qu’elle anime, des passionnés aussi, hommes et femmes, âgés
de 18 à 38 ans, d’origines et professions variées, se retrouvent
régulièrement pour mettre en commun leurs compétences, là d’auteur
ou correcteur, ici de japonisant ou sinisant, et partager ainsi leur
travail collectif avec le monde francophone, sur leur forum en
ligne. Une activité à la limite du licite (les œuvres traduites
étant souvent protégées par des droits de propriété intellectuelle),
mais qui satisfait bien des désirs de lecture d’une communauté
désormais grandissante.
Le 9 : Quel serait le profil général du fan de web-romans/novels chinois ?
M. L. : Pour ce que nous avons pu en voir plus largement dans la sphère des fans de novels chinois, il semble que les profils soient assez variés, il n’est pas nécessaire d'avoir des liens particuliers avec l'Asie pour être touché par ce genre littéraire. Cependant, nous avons un peu tous le même parcours : nous sommes essentiellement arrivés aux novels chinois en ayant tout d'abord un grand intérêt pour les mangas et la japanimation, et, plus rarement, pour le webtoon. Beaucoup ont été abreuvés de mangas, et trouvent à présent quelque chose de nouveau et différent dans le novel chinois, cette découverte étant relativement récente en France (pas plus de 2-3 ans pour la plupart des lecteurs que l’on connaît). Je ne pense pas trop m'avancer en disant que cet intérêt pour le novel chinois en France n'aurait pas été possible sans cela, et que beaucoup le considèrent comme une sorte de continuité logique à cet attrait pour la culture asiatique préalablement cultivé. Autre point commun des fans de novels chinois : le goût pour la lecture de manière plus générale.
Le 9 : Comment travaillez-vous et organisez-vous vos projets ?
M. L. : Le choix des œuvres retenues se décide essentiellement sur un coup de cœur de lecture, mais il reste vrai que nous sommes influencés par les « effets de mode ». Beaucoup des histoires vers lesquelles nous nous tournons nous ont été recommandées par les autres membres de la communauté, à travers nos forums ou nos réseaux sociaux. Les novels chinois ayant, semble-t-il, le plus de succès actuellement sont ceux de type xianxia et wuxia, et je dirais que cela s'explique généralement par l'engouement des gens pour le genre littéraire de l'imaginaire. Pour la traduction, nous partons de celles déjà proposées dans les communautés anglophones, à qui nous demandons systématiquement l'accord de pouvoir utiliser leur travail, mais nous avons presque toujours la version originale chinoise avec nous pour nous assurer de rester le plus fidèle possible au texte d'origine, ou pour nous assurer qu'il n'y ait pas eu d'erreur de traduction dans la version anglaise que nous serions susceptibles de reproduire en français.
White Cat Legend , série à succès adaptée d'une œuvre web-dessinée. © Nice Boat Animation
Les problèmes que nous relevons le plus souvent tiennent principalement à la retranscription des expressions idiomatiques ou à la manière de transposer un jeu de mots d'une langue à l'autre. Ce problème n'est toutefois pas inhérent aux novels chinois ; cela se retrouve dans toutes les langues. Cela dit, sans le qualifier de problème, je dirais que certains novels chinois nous exposent tout de même régulièrement à quelques réflexions en ce qui concerne les termes d'adresse d'un personnage à un autre, la culture chinoise étant très riche en titres de noblesse et autres marques de respect.
Le 9 : Qu’est-ce qui vous plaît ou vous touche dans ce type d’œuvres ?
M. L. : Je pense que ce qui attire dans le web-roman chinois, c'est la différence et la nouveauté par rapport à ce que les gens ont l'habitude de voir dans le contenu japonais, tout en gardant certains codes propres à l'Asie. À titre personnel, j'apprécie de trouver des personnages plus matures que dans les mangas. Il est plus facile de trouver des œuvres avec des protagonistes adultes dans les novels chinois, que dans les mangas où ces derniers sont plus souvent utilisés comme personnages secondaires pour jouer des rôles de guides, de figures parentales ou d'antagonistes. Ainsi, j'ai la sensation que le Japon racontera plus facilement les aventures de Naruto, disciple ninja porté par l’enthousiasme de la jeunesse, quand la Chine n'aura aucun mal à proposer plutôt les péripéties d'un Shen Qingqiu (Scumbag System, adapté en animé aussi), professeur d'arts martiaux avec toutes les responsabilités qui lui incombent. En conclusion, je dirai que si le public des deux reste le même, ils ne ciblent pas forcément la même catégorie d'âge.
Le 9 : Certains de vos membres écrivent-ils aussi leurs propres histoires sur ce modèle ?
M. L. : Nous avons effectivement quelques écrivains, au sein de notre équipe comme parmi les membres de notre communauté en ligne, que le style d'écriture du novel chinois inspire beaucoup. La plupart d’entre eux postent leurs créations sur Wattpad (et plus rarement sur FictionPress).
« Ce qui attire dans le web-roman chinois, c'est la différence et la nouveauté par rapport à ce que les gens ont l'habitude de voir dans le contenu japonais, tout en gardant certains codes propres à l'Asie. »
Le 9 : La lecture des web-romans chinois a-t-elle pu changer votre regard sur la Chine sur le plan géopolitique ou culturel et si oui, en quoi ?
M. L. : Peut-on parler de changement de regard ? Je ne sais pas. Je pense que la plupart des lecteurs choisissant de se tourner vers les web-romans chinois sont déjà ouverts à la culture asiatique dans son ensemble, et n'ont a priori pas un regard hostile sur la Chine. En revanche, il reste vrai que certains points dépeints dans les novels chinois sont très régulièrement sujets à débat au sein de la communauté de fans, à savoir, la place de la femme, la question de la censure, celle de la considération de l'homosexualité et celle de l’éducation sexuelle. Principalement parce que ces points ne s'en tiennent pas qu'au domaine de la fiction, mais renvoient au contraire à cette image que la Chine véhicule d'être trop stricte et de manquer de tolérance. Pour autant, cela n'empêche pas les lecteurs de continuer à lire ou d'apprécier nombre d'autres aspects de la Chine (notamment son histoire, son patrimoine, sa richesse culturelle, ou sa cuisine).
Le 9 : D’après vous, depuis quand cet intérêt existe-t-il en France ? Quelle est sa taille et sa tendance ?
M. L. : En France, nous sommes véritablement dans un phénomène de niche. Je pense que la découverte des novels chinois chez nous provient presque essentiellement de leurs diverses adaptations (animés, séries, webtoons, etc.), une partie du public cherchant ensuite à se pencher sur le support d'origine. J'irai même jusqu'à dire que cette augmentation d’intérêt s'est fait particulièrement ressentir avec la popularité de Mo Dao Zu Shi, de Mo Xiang Tong Xiu, à travers son animé sorti en 2018 et sa série live (intitulée The Untamed, disponible sur Netflix) de 2019. Toutefois, pour le moment, au regard du fait que les light novels japonais peinent encore à s'imposer chez nous, je ne suis pas très optimiste concernant une véritable popularisation du novel chinois en tant que genre littéraire. Je pense qu'il faudra déjà attendre que le public se familiarise avec plus d’adaptations d'œuvres chinoises avant d'en arriver là. Il reste qu'avec le succès grandissant de ce qui nous parvient, Netflix jouant d'ailleurs un grand rôle dans l'apport de contenu asiatique à l'écran, l'espoir reste permis.
*Mélanie est inspirée de plusieurs personnes de sa communauté qui ont toutes souhaité garder l’anonymat.
Article initialement paru dans Le 9 magazine n°39, Mai 2021.
Photo du haut : The Untammed , série à succès adaptée d'une œuvre web-littéraire. © Tencent Penguin Pictures, New Style Media
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