« Les Saveurs du béton », un récit touchant sur l’intégration

1628096439510 Chine-info Shanshan Zhu

Après un premier roman graphique relatant son arrivée en France et sa découverte du pays, Kei Lam signe une deuxième BD autobiographique empreinte de maturité. 

L’histoire débute avec le déménagement de la famille Lam à la Noue, le quartier sud de Bagnolet. À partir de là, la « Banana Girl » dépeint sa découverte d’une autre image de la France, celle des immigrés vivant en banlieue parisienne, avec son lot de stéréotypes, de déconvenues mais aussi de rêves et d’espoirs pour un futur meilleur. Peu à peu, l’enfance laisse place à l’adolescence avec tous les questionnements qui l’accompagnent, où l’apprentissage de la vie passe d’abord par la connaissance de soi-même.

Pour la sortie des « Saveurs du béton », j’ai rencontré Kei Lam à Montreuil où elle habite actuellement et où se trouve son atelier. Autour d’un thé à la menthe, j’avais préparé mon carnet de notes et ses deux livres sur la table, mais après une heure et demie de discussion, je me rends compte que je n’avais rien noté. Pas parce qu’il n’y avait rien à noter mais parce nous étions plongées dans une discussion, comme deux vieilles copines qui se sont perdues de vue depuis 10 ans. Et au retour devant ma feuille blanche, je réalise à quel point il m’est difficile d’écrire sur Kei Lam et son autobiographie, tant son histoire fait écho à la mienne. C’est à la fois un récit personnel et universel.

Après des études d’ingénierie en urbanisme et plusieurs années de travail en Chine et en France, Kei Lam abandonne tout et se lance dans le dessin et l’illustration en publiant sa première BD « Banana Girl » (2017). Même si elle a toujours dessiné, elle n’a jamais pensé à en faire son métier. Mais la fibre artistique se révèle comme une nécessité dans laquelle elle trouve un sentiment d’accomplissement.

« Les Saveurs du béton » est d’abord un livre sur l’exil et le déracinement. Celui d’une famille qui tente au mieux de construire une vie dans un pays inconnu. Arrivée en France à l’âge de 6 ans (c’est jeune !) Kei Lam garde des souvenirs vivaces de sa ville natale : les odeurs, les bruits, les gens, les lumières… et se rassure de voir que le centre commercial de Bagnolet, avec ses hautes tours, ressemble un peu à Hong Kong.

« Les Saveurs du béton » est un livre sur la recherche d’identité. Toujours tiraillée entre sa culture d’origine et sa culture d’adoption, le récit est truffé d’indications interculturelles. Où qu’elle aille, elle sera toujours une « banane » (jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur), une condition que l’auteure assume pleinement.

« Les Saveurs du béton » est également un livre sur la recherche d’un foyer. De ses descriptions minutieuses des lieux où elle a vécu avec ses parents (chambre de bonne minuscule, appartement partagé, etc.), leur nouvel appartement à la Noue apparaît comme une évolution salutaire qui lui permettait d’avoir sa propre chambre ! Cet espace à soi qui nous ressemble, nous rassure, qui reflète nos désirs ; ce lieu hautement symbolique est au cœur du récit. La Noue est le cœur de l’adolescente en devenir et qui lui laissera des traces indélébiles.

« Les Saveurs du béton » est un livre sur le sacrifice d’une génération d’immigrés luttant pour offrir des perspectives d’avenir à leurs enfants qui cherchent leur place dans le monde. Pour les chinois, l’Occident représente, encore aujourd’hui, un moyen d’élever autrement les enfants, de leur donner une éducation alternative à celle pratiquée en Chine où une compétition intense exerce une pression constante sur les élèves dès leur plus jeune âge. Beaucoup de chinois de la génération des parents de Kei Lam n’ont pas pu faire d’études à cause de la révolution culturelle. Les études c'est le Saint Graal. Cette volonté de donner à leurs enfants ce qu’ils n’ont pas pu avoir est leur plus grande force.

Entre les lignes, l’auteure nous livre, souvent avec humour, ses souffrances en tant que témoin du racisme ordinaire et des discriminations intersectionnelles.

Par la sobriété et l’universalité de ses propos, Kei Lam dépeint avec justesse les luttes intérieures d’une jeune fille, mi-française et mi-étrangère. Elle aura beau tenter de se définir, une partie de son identité sera toujours tributaire du regard des autres. Mais l’essentiel est ailleurs. De l’énergie de ses dessins, on retiendra l’amour de ses parents, la beauté de la Noue à travers les yeux d’une enfant, les amis, les rêves et les espoirs.

Il est probable que l’auteure ne s’arrête pas à ce deuxième livre remarquable. Elle semble avoir encore beaucoup de choses à raconter et s’intéresse à d’autres formes d’expression. Kei Lam est une conteuse née et « Les Saveurs du béton » est un livre que j’aurai voulu lire étant adolescente. Mais il n’est pas trop tard, je me rattrape désormais en l’offrant à mes amis.


Les Saveurs du béton

Édition Steinkis

Publication : 29 avril 2021-08-04 18 x 25 cm

224 pages

20 €


Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.