
« J’assume l’optimisme quotidien dans mes toiles » : Lin Wenjie, peintre chinoise exposée à Mantes-la-Jolie
Au musée de l’Hôtel-Dieu, l’exposition Lin Wenjie, Rencontres d'ici explore la peinture figurative et nous plonge dans un univers enchanté et coloré, très loin de l'imaginaire de la banlieue parisienne. Une exposition solaire à découvrir jusqu'au 10 octobre.
Été 2018, festival d'Avignon. Lin Wenjie est interprète pour une troupe d'opéra traditionnel chinois qui donne une représentation revisitée de Macbeth. Un mélange d'Orient et d'Occident qui a ébloui l’artiste.
Elle a ensuite réalisé un tableau intitulé Mort de Macbeth, représentant un homme en costume traditionnel chinois gisant sur le sol. Un hommage rendu sans doute à L'Homme mort de l'impressionniste français Manet. Si Lin Wenjie considère ses œuvres de « concrètes, directes, visuelles, voire tactiles », elle ne cache pas le fait de puiser son inspiration dans des sujets profonds qui la touchent. Derrière un visuel vif et lumineux se cache souvent un jeu de miroir à la croisée des regards qui nous fascinent. Comme en témoigne Museum : des visiteurs d’un musée, l’air curieux et concentré, sont peints de face. Observer le tableau nous renvoie étrangement à notre propre image.
Mort de Macbeth, 70 x 90 cm, Huile sur toile, 2018 © Christian Monnet
Originaire de Canton (sud de la Chine), Lin Wenjie fait figure d’exception dans l’histoire artistique de la ville de Mantes-la-Jolie : c’est la première fois que le musée de l’Hôtel-Dieu présente le travail d’un(e) artiste en résidence au Centre d’arts Abel Lauvray. D’autant plus qu’elle est la première artiste peintre choisie par le projet de résidence lancé depuis 2004.
Cette exposition présente une trentaine de ses œuvres dont deux tiers ont été réalisées durant sa résidence. Rencontre.
En résidence au Centre d’arts Abel Lauvray de Mantes-la-Jolie depuis septembre 2018, le quotidien de ce séjour est devenu le thème principal de vos peintures. Pourquoi ce choix ?
Au début de ma résidence, je n'avais pas d’idée précise concernant le sujet de ma création. C’est l’histoire de Booya, un collègue travaillant dans le centre, qui m’a inspiré. Au premier abord, il avait l’air inaccessible. Barbu et tatoué, il ne ressemblait en rien aux personnes que j’avais l’habitude de côtoyer. Puis j’ai découvert au fil du temps que c’était une personne très douce et dotée d’une grande sensibilité. Passionné de foot et de graffiti, ce marseillais d’origine, pourtant jeune, a traversé des hauts et des bas. Touchée par son histoire, j’ai choisi de peindre le portrait de Booya, le premier personnage de ma série de toiles figuratives centrée sur les Mantais qui m’ont touchée par leur histoire et il y en a beaucoup !
Booya c'est moi, 140 x 120 cm, technique mixte, 2019 © Christian Monnet
Les portraits constituent-ils une obsession chez vous ?
C’est vrai qu’il y a toujours des hommes ou des femmes dans mes œuvres. Je peins rarement des toiles sur lesquelles il n’y aurait que des paysages, sauf dans des exercices d’apprentissage. La beauté en soi ne m'intéresse pas plus que cela. Il faut que quelque chose me touche. Je regardais récemment les dessins que je faisais quand j’étais petite. Déjà à cette époque-là, différents personnages peuplaient mes créations.
Comment avez-vous choisi vos modèles de portraits ?
Quelque chose chez ces gens m'ont marqué. Comme Nathan, un garçon avec de très beaux yeux. Un véritable pot de colle ! Pourtant il était très timide à notre première rencontre. Âgé de six ans, il m’a dit qu’il n’était jamais allé à Paris. Il y a aussi Anthony, qui préfère s’échapper dans son propre monde, capable de dessiner des objets dans leurs moindres détails, ou encore le petit Mohamed passionné de dessin et de dinosaures. Pour le portrait de Mohamed, c'est lui qui a dessiné le fond avec les dinosaures. J'ai également fait le portrait de plusieurs travailleurs sociaux, souvent invisibles, mais qui font un travail fou pour rendre notre société meilleure. À l’exemple de Julien, ancien chef de service des ateliers Chopin, une école de musique au Val Fourré, qui travaille sept jours sur sept et qui fait tout pour que les jeunes du quartier ne tombent pas dans la violence. J'aimerais que les gens trouvent de la force et de l'énergie dans mes peintures.
Mohamed, 70 x 100 cm, technique mixte, 2019 © Christian Monnet
Julien, 43 x 49 cm, Acrylique sur toile, 2019 © Christian Monnet
On dirait que vous menez un travail d’observation sur le terrain comme une sociologue. Quel regard portez-vous sur la ville de Mantes-la-Jolie ?
De mercredi à samedi, de 10h à 16h, je vais au centre d’art. Tous les jeudis, on se consacre à des activités pédagogiques ou à des échanges. Soit on va dans des écoles pour présenter notre centre, soit on accueille dans notre atelier des associations du quartier. J’ai l’impression que je mène une vie de salariée à plein temps, entourée de nombreux collègues. Pour moi c'est une expérience inédite.
Avant de mettre les pieds dans la ville, j'avais entendu parler de sa réputation de « banlieue » ou de « France périphérique » sans pourtant en avoir une idée claire. Dans la presse française, on garde souvent une image dégradée des villes comme Mantes-la-Jolie. Des amis s'étaient même inquiétés pour ma sécurité quand ils ont appris que j’étais prise dans la résidence. Mais quand on vit de l’intérieur, on pense rarement à la question de la réputation. À force de rencontrer des locaux et de tisser des liens avec eux, j’ai vécu plein de bonnes choses. Pour moi, ce sont des gens ordinaires, comme vous et moi. Bien sûr que la ville fait face à de nombreux défis, comme les inégalités sociales et un taux de chômage très élevé. Si le Val Fourré et le vieux quartier semblaient deux mondes qui se faisaient face et qui peinent à se mélanger, aujourd’hui la situation s’améliore petit à petit.
Nathan et Sandra, 140 x 140 cm, 2019 © Christian Monnet
En quoi la résidence a-t-elle changé votre méthode de travail et contribué à renouveler votre art ?
Si j’avais l’habitude de peindre chez moi en toute intimité, j’ai dû m'adapter à ce nouvel espace de travail, ouvert au public et rythmé par des visites tout au long de la journée. Le Centre d’arts Abel Lauvray a également modifié certaines règles pour me donner plus de temps dans ma démarche de création. À vrai dire, peindre un tableau ne me prend pas énormément de temps. Ce qui est difficile, c’est toute la préparation en amont : trouver de l'inspiration, réfléchir sur la conception et construire une bonne structure. S’il y a des visiteurs dans mon atelier, je peins souvent des parties comme les vêtements ou le plancher. Quant à la peinture des visages ou des mains, donc les parties les plus difficiles à réaliser dans un portrait, il faut que je sois toute seule et concentrée à 100 %.
Avant, j'observais beaucoup dans la rue, sans jamais regarder les passants dans les yeux. Dans mes anciens tableaux, il s'agissait très souvent de la transcription picturale d'une atmosphère. Durant la résidence, ce sont les portraits de personnes que je connais, avec qui j'ai échangé plusieurs fois. J’ai côtoyé beaucoup de jeunes. Ce sont des passionnés de hip-hop et de street-art qui aiment porter des vêtements de sports et de baskets très colorés. Pour la première fois, j’ai utilisé du collage pour intégrer les dessins réalisés par les usagers du centre, et me suis servie de couleurs fluorescentes, teintées d’un hyperréalisme pop éblouissant. La culture urbaine et celle de la rue m'ont beaucoup inspirées.
Dans le même bateau, 97 x 130 cm, Huile sur toile, 2018 © Christian Monnet
La pandémie, avec les confinements successifs, a-t-elle eu un impact sur votre créativité ?
Ma peinture illustre des scènes de notre quotidien et surtout de la vie d’ici et maintenant. La pandémie m'a beaucoup impactée mentalement. J'ai ralenti malgré moi le rythme de travail. En revanche, 2019 a été une année pleine d'inspiration. En un an, j'ai réalisé une dizaine de tableaux.
Vous avez peint plusieurs tableaux sur une représentation de l’opéra chinois lors du festival d’Avignon de 2018. Mais vous insistez beaucoup sur le fait que la création de ses tableaux n’est pas directement liée au fait que vous soyez chinoise. Vous semblez vouloir prendre de la distance avec l’étiquette « d’artiste chinoise ».
C’est vrai, je n’aime pas les étiquettes ni les idées reçues sur les artistes. Ces œuvres liées à la Chine étaient à la fois le fruit du hasard et l’aboutissement d’une longue réflexion. C’est un processus naturel. Je ne l’ai pas fait parce que j’étais chinoise. Je ne suis pas à l'aise avec le fait que l’on me mette dans une case avant de me connaître ou de connaître mes œuvres. Par exemple, la peinture sur l'opéra chinois n’est pas quelque chose qui m’intéresse particulièrement. D’ailleurs, je ne suis pas très douée pour ça. Il y a déjà beaucoup d’artistes qui font un travail magnifique et il est très difficile d’innover dans ce domaine.
La culture chinoise n’a-t-elle pas laissé de trace dans vos créations ?
Bien sûr que si et cela s’est fait malgré moi. Si le sujet de mes peintures est très loin de la Chine, l'optimisme qui s’en dégage correspond parfaitement à la philosophie chinoise de la vie. Dans l’éducation occidentale, on met en avant l’esprit critique. C’est très bien, parce que les réflexions, les débats et les revendications aident à faire progresser la société. Mais dans le même temps, j'ai l'impression que les gens se plaignent tout le temps et on vit dans une atmosphère assez morose. En tant que peintre, je souhaite apporter de la force aux autres.
Vous assumez donc totalement cette vision optimiste et positive dans vos créations ?
Si j’assume l’optimisme quotidien dans mes toiles, il m'est déjà arrivée de me demander si j’avais pas l’air un peu superficielle en s’aventurant sur ce terrain. Dans l'art occidental, on apprécie beaucoup la grandeur ou la beauté des tragédies. Ce sont souvent les émotions telles que la douleur ou la tristesse qui sont mises en avant par l’Art avec un grand “A”.
Cours de danse,121 x 140 cm, Acrylique sur papier, 2019 © Christian Monnet
Est-ce que c’était votre rêve de devenir peintre ?
C’était surtout le rêve de mon père, un rêve qu’il n’a pas pu réaliser. Enfant, j’ai appris à peindre dans un centre de loisirs. Comme beaucoup d’autres enfants d’ailleurs. Puis j’ai passé le concours pour aller au lycée artistique rattaché à l’Académie Centrale des beaux-arts de Pékin. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à cultiver ma passion pour la peinture, convaincue de la voie d’artiste qui m’attendait. Derrière ce choix, il y avait notamment le soutien et les encouragements de mon père et de tous mes proches.
Vous avez été formée dans des écoles de beaux-arts aussi bien en Chine qu’en France, avez-vous constaté des différences dans la pédagogie d’apprentissage ?
En Chine j’ai passé quatre ans au lycée artistique et quatre ans à l’Académie Centrale des beaux-arts. En France, j’ai également effectué une formation assez complète à l’ESADHaR de Rouen pendant cinq ans. Si en Chine dans les écoles de beaux arts, chacun fait partie d’un domaine - et on insiste beaucoup sur la technique -, en France, on encourage davantage l’exploration individuelle, l’expression plastique et la recherche dans l’art contemporain. Pour moi, les deux formations sont complémentaires.
Née en 1986 à Canton, vous faites partie d’une nouvelle génération d’artistes chinois vivant en France, très différente de vos aînés.
Les artistes des générations précédentes sont venus en France pour diverses raisons. Beaucoup ont été contraints de quitter leur pays. Ils sont nombreux à intégrer des références politiques ou culturelles chinoises dans leurs œuvres. C’est facile de les identifier. Par rapport à eux, notre génération a de la chance. Nous avons choisi de notre plein gré de faire des études en France. Avec moins de fardeau politique et social, on est davantage dans une expression et une recherche individuelle. En Chine, beaucoup de mes professeurs ont été formés en Europe. L'art occidental ne m’a jamais été étranger. Je n'ai pas subi de choc artistique à mon arrivée en France. Les artistes de ma génération vivant en France s’expriment finalement très peu à travers le prisme dit « chinois ».
Quels sont les peintres que vous estimez le plus ?
Mamma Andersson, Hurvin Anderson, Noah David et David Hockney… Il y a aussi Chen Hongshou, peintre chinois de la dynastie Ming. Ils viennent tous de pays différents et même d’époques différentes et leur parcours n’a rien à voir avec le mien, mais cela ne m’empêche pas d’être saisie par leurs œuvres. Ce que j’aime, c’est cet effet organique direct et visuel que leurs créations ont sur moi.
Exposition Lin Wenjie, Rencontres d’ici
Jusqu’au 10 octobre 2021
Musée de l’Hôtel-Dieu
1 rue Thiers
78200 Mantes-la-Jolie
Tél. : 01 34 78 86 60
Lundi, jeudi (horaires covid) : 10h-12h ; 14h-18h
Mercredi, vendredi, samedi : 14h-18h
Dimanche : 15h-18h
Fermé le mardi
Tarifs :
- Plein tarif : 5,10€,
- Demi-tarif : 2,55€,
- Gratuité pour les -18 ans.
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