
[Portrait] CHEN FEI – Exposition « 目 Chine - Une nouvelle génération d’artistes » - Centre Pompidou, Paris (jusqu’au 3 février 2025)
Au nombre de 21, ce sont des hommes ou des femmes aux trajectoires très individualisées. Au contraire des générations précédentes, peu d’entre eux sont rattachés au système des beaux-arts de leur pays. Ils n’enseignent pas. En revanche, ils sont issus de régions très différentes et le tiers d’entre eux ont une carrière d’artiste à l’international et vivent parfois même à l’étranger. Nous proposons une série de dix portraits. Chen Fei est le premier d’entre eux.
Le visiteur est accueilli par une toile à l’acrylique de grand format, « The Road to success ». Y figure le portrait de l’artiste posé au bas et en haut d’un escalier. Le décor pourrait faire penser à un magasin d’Ikea. Ambiance lisse, reposante, tranquille. En apparence seulement car pour qui s’est intéressé à la biographie de Chen Fei, né en 1983 au Shanxi, l’univers auquel il se rattache, ses marottes même restent celles d’un jeune adulte qui n’a pas renoncé à ses rêves d’adolescent. À chaque fois qu’il s’est confié à la presse ou auprès du galeriste Emmanuel Perrotin qui l’a exposé encore récemment, ses référents sont Xu Zhen (habitué à l’art du grotesque) Takashi Murakami (adepte des démonologies), Maurizio Cattelan (qui se définit lui-même comme l’« idiot de l’art contemporain ») ou Izumi Kato (hanté par l’univers des « kamis »).
Il collectionne des
centaines de jouets en rapport avec le monde des mangas, aime particulièrement
les dinosaures, façon Godzilla, et plus généralement ce que les Japonais
appellent les « Kaiju » (littéralement : « Bêtes étranges »). À travers les
jeux vidéo, ces derniers peuplent l’imaginaire de plusieurs générations de fans
dans le monde désormais. Ils connectent leurs admirateurs à un infra-monde où
l’étrange, la catastrophe et le chaos sont la règle. Et c’est évidemment ce
décalage entre l’artiste et son œuvre exposée ici qui fait sens. Car même si
Chen Fei a été par ailleurs abondamment abreuvé de sitcoms, l’ambiance que
laisse transparaître sa toile nous montre clairement que nous sommes à la
convergence d’une histoire faussement banale, d’un dispositif faussement
paisible : la scène de l’escalier, un grand classique du narratif Hitchcockien,
est l’indice central de la composition.
Vue de l’exposition © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Audrey Laurans
Escalier dont on s’imagine pouvoir compter le nombre de marches qui relient le bas vers le haut de cette scène, et que suit du regard une jeune femme empruntant l’escalier mécanique mitoyen. Banalité du genre, hyperréalisme quant au procédé, avec un concentré de curiosité et d’angoisse, ascendante comme celle qu’épouse naturellement le regard sur cet ensemble clos sur lui-même… Et après ? C’est la question qui vaut d’être posée bien sûr car de deux choses l’une : ou l’après se poursuit d’une manière monotone ou elle met en scène une réalité aussi inquiétante que probable et qui est celle soit de la chute, soit d’un moment disruptif qui sera celui de la surprise voire de la tragédie.
Mais il existe deux types de tragédie : celle rendant compte de la déploration passive d’une catastrophe ou celle que l’on appelle plus communément une tragédie comique. L’artiste ne nous dit rien de ses intentions et peut-être ne le sait-il pas lui-même. Mais ce moment à venir est en suspens comme il semble immobiliser un narratif qui n’est en rien déterminé, qui laisse entrevoir à la fois le meilleur et le pire. Ce tableau correspond à une décoïncidence de situations sur lesquelles nous n’avons aucune emprise. C’est en cela qu’il nous intrigue et qu’il crée en nous ce désir irrépressible de maintenir notre regard ouvert sur une scène dont nous ne connaîtrons jamais la fin.
Exposition « 目 Chine, une nouvelle génération d'artistes »
Jusqu'au 3 février 2025
Ouvert tous les jours de 11 h à 21 h à l’exception du mardi
Photo du haut : « Road to Success » - Chen Fei
Commentaires