« Trésors des Tang » au musée Guimet : retour sur une immersion dans la Chine cosmopolite

1749547353747 China News Li Yang

L'exposition « La Chine des Tang - Une dynastie cosmopolite (7e - 10e siècle) » a été inaugurée au Musée national d'art asiatique - Guimet en novembre dernier, avec une préface du président chinois Xi Jinping et du président français Emmanuel Macron. Alors que l'exposition s’est achevée début mars, Cao Huizhong, conservatrice de l'exposition et chercheuse au musée Guimet, présente dans une interview à China News les caractéristiques de l'exposition, en particulier de la manière dont elle présente l'histoire de la Route de la Soie.

Vous êtes la commissaire de cette exposition au musée Guimet, également celle de l'exposition « Splendeurs des Han, essor de l’empire Céleste » de 2014 dans ce même musée. À cette époque, le président chinois Xi Jinping et le président français de l'époque, François Hollande, ont également écrit respectivement des préfaces pour l'exposition « Splendeurs des Han ». Quelles sont les caractéristiques des deux expositions ?

Cette exposition sur la dynastie Tang est organisée à l'occasion du 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Quant à l'exposition « Splendeurs des Han, essor de l’empire Céleste » de 2014, elle visait à commémorer le 50e anniversaire de l'établissement de ces mêmes relations. Pour ces deux événements, le musée Guimet a joué un rôle de diplomatie culturelle. En préparation de l'exposition « Splendeurs des Han », je suis allée au musée du Hebei pour sélectionner plusieurs vestiges culturels importants des tombeaux Han du site de Mancheng. Je me suis rendue également dans les provinces du Shaanxi, du Shandong et du Gansu. Depuis lors jusqu'à aujourd'hui, j'ai été en contact et en coopération avec le Centre d'échange de vestiges culturels de Chine et des musées dans de nombreux endroits. Ceci a jeté les bases de la conservation de l'exposition sur la dynastie Tang.

Dès 2022, le Musée Guimet a pris contact avec le Centre d'échange du patrimoine culturel de Chine à propos de cette exposition, le projet a été lancé en 2023. Les dynasties Han et Tang sont considérées comme les sommets des dynasties chinoises, au cours de ces deux périodes de nombreuses règles et réglementations ont été établies. C’est en particulier le cas sous la dynastie Tang au cours de laquelle ces réglementations sont devenues de plus en plus complètes, faisant de cette dynastie l’apogée de la période féodale. Les céramiques à trois couleurs Tang dites « Sancai » que l’on trouve exposées sont des vestiges culturels plus familiers du public occidental.

Détail de décor d'un récipient à encens à haut pied, Dynastie Tang (618-907), 9e siècle, argent doré, découvert en 1987, palais souterrain du monastère Famen, Baoji (Shaanxi), Famen Zhen, musée du Famensi © Musée du Famensi (site du musée Guimet)

Dans les deux expositions, nous avons essayé de comparer la chronologie historique des dynasties Han et Tang avec celle de l’Occident, afin de faciliter leur compréhension par le public occidental. La période correspondant à la dynastie Han est l'Empire romain, celle correspondant à la dynastie Tang est le Moyen Âge européen, soit la période de Charlemagne en France. La civilisation de la dynastie Tang était plus développée que celle de l'Occident à la même période et présente de magnifiques vestiges culturels, alors que ceux issus de l'Europe contemporaine n'avait peut-être pas atteint un tel niveau de raffinement.

L'un des contenus importants de cette exposition sur la dynastie Tang est la présentation de la « Route de la soie de la dynastie Tang ». Comment l’exposition présente-t-elle l’histoire et la culture de la Route de la Soie ? Quelles sont les pièces exposées d’importance ?

Dans les expositions précédentes, la dynastie Tang était souvent placée dans le contexte plus large de la Route de la Soie, de la dynastie Han à la dynastie Yuan. C'est pourquoi, lors de la préparation de l'exposition, j'ai toujours veillé à présenter la Route de la Soie de la dynastie Tang, plutôt qu'à faire une « histoire de la période » de la dynastie Tang dans l'histoire de la Route de la Soie. Dans l'esprit de nombreux Occidentaux, la Route de la Soie est la section qui va de l'Orient à l'Empire byzantin, et de nombreuses routes passent par l'Asie centrale. J'espère ajouter du contenu sur la grande Route de la Soie à l'exposition, comme les échanges entre la dynastie Tang et ses pays voisins, le Japon et la Corée du Sud. En outre, ces dernières années, de nouvelles découvertes archéologiques au Gansu et au Qinghai ont mis en évidence l’importance de la section du Qinghai de la Route de la Soie qui relie le Xinjiang au plateau Qinghai-Tibet.

L'exposition comprend de nombreuses pièces liées à la Route de la Soie, un thème très attrayant. Les Sogdiens, un ancien groupe ethnique d'Asie centrale, ont joué un rôle important dans le commerce de la Route de la Soie pendant longtemps. Il existe des traces de leur vie dans de nombreux endroits tels que l'Ouzbékistan actuel et le Tadjikistan. Parmi les pièces exposées, on trouve des figurines Hu exhumées de la tombe du général An Pu et de son épouse Tang Dingyuan. Leur apparence présente des traits typiques des peuples des régions occidentales et leurs formes sont très vivantes. Le tombeau de Murong Zhi, roi Xi de Tuyuhun, découvert à Wuwei dans la province du Gansu en 2019, est le tombeau royal Tuyuhun le plus ancien et le mieux préservé du début et du milieu de la dynastie Tang découvert localement. Cette exposition présente également des objets rares provenant de la tombe de Murong Zhi. Les figurines en poterie découvertes dans ces tombes de la dynastie Tang sont très différentes des figurines en poterie de la même période découvertes à Chang'an et à Luoyang.

Deux précieux vestiges culturels en porcelaine bleue et blanche de la dynastie Tang, considérés comme les premiers essais de ce type de porcelaine, sont présentés dans cette exposition. Parmi les objets exposés figurent une assiette bleue et blanche Tang découverte à Yangzhou dans la province du Jiangsu et une jarre-tour bleue et blanche Tang découverte dans le Henan. L'existence de ces artefacts indique que le matériau bleu cobalt provenant de Perse a été introduit dans la dynastie Tang via la Route de la Soie. L'exposition présente également une proportion relativement importante d'objets en or et en argent. Les prototypes de nombreux produits en céramique sont en or et en argent, et les motifs de nombreux objets en or et en argent de la dynastie Tang proviennent de l'Empire perse sassanide. Ces pièces ont manifestement été introduites dans les plaines centrales par la route de la soie. L'exposition montre que la dynastie Tang a absorbé de nombreuses cultures étrangères à travers la Route de la Soie. Cela se reflète dans la décoration et le maquillage des femmes de la dynastie Tang, les céramiques Sancai d’époque Tang représentant des chevaux et des chameaux, ainsi que les sculptures aux formes particulières des animaux gardiens de tombes.

Musicien sur un chameau, Dynastie Tang (618-907), 8e siècle, terre cuite à glaçure trois couleurs (sancai), découvert en 2002, canton de Guodu, district de Chang’an (Shaanxi) Xi’an, musée de Xi’an (site du musée Guimet)

Combien de temps vous a-t-il fallu pour organiser cette exposition sur les Tang et quels sont les lieux en Chine que vous avez visités à cette fin ? Quelles sont les considérations pour les expositions ?

Le délai de préparation de cette exposition sur la dynastie Tang n'a été que de 18 mois, ce qui est très peu pour une exposition de cette envergure. Définir les thèmes, sélectionner les vestiges culturels à exposer, préparer une grande quantité de matériel, etc., cela nécessite beaucoup de temps. Arrivé à l'été 2024, nous avons commencé à faire des planches pour le catalogue, les descriptions et illustrations devant être faites en français et en anglais. Nous avons eu une coopération très agréable avec le Centre d'échange du patrimoine culturel chinois qui nous a beaucoup aidé dans la communication. Cette exposition de la dynastie Tang implique 32 institutions culturelles et muséales de 10 provinces, régions autonomes et municipalités de Chine. L’exposition de la dynastie Han de 2014 impliquait 27 institutions culturelles et muséales de 9 provinces de Chine. Pour planifier l'exposition sur la dynastie Tang, je me suis principalement rendu à Xi'an dans la province du Shaanxi et à Luoyang dans la province du Henan. L'endroit le plus difficile est Xi'an, car Chang'an (aujourd'hui Xi'an) était historiquement la capitale de la dynastie Tang. Il est difficile de prêter les magnifiques vestiges culturels des musées de Xi'an qui attirent de nombreux visiteurs. Cependant, l'Institut provincial d'archéologie du Shaanxi nous a confié une partie de son inventaire pour l'exposition, notamment trois peintures murales de la dynastie Tang qui correspondaient parfaitement aux thèmes de l'exposition alors que les peintures murales des musées chinois sont rarement présentées dans les expositions étrangères. Il reste très peu de peintures murales de la dynastie Tang, et en tant que conservatrice, je suis très reconnaissante que cet institut ait accepté de prêter ces vestiges culturels.

D’autre part, j’espère que le thème de la culture du thé chinois pourra être présenté dans l’exposition. Dans l’esprit de certains Occidentaux, la culture du thé vient du Japon, cependant la culture du thé en Chine a une très longue histoire. Nous avons exposé une statuette de type Sancai de la dynastie Tang provenant de l'une des plus anciennes tombes datées. Cette statuette représente Lu Yu, connu comme étant le « Saint du thé ».  À ses côtés, sont présentées des ustensiles à thé qui montrent comment le peuple Tang préparait et buvait du thé, notamment des objets précieux en or, en argent et en jade.

L'exposition présente également un certain nombre de céramiques de type Sancai, dont certaines sont de grandes pièces magnifiques attribuées aux princes et aux nobles de l'époque Tang. C’est par exemple le cas de figurines d’un cheval et d’un cavalier que l’on peut voir sur l’affiche de l’exposition. Ces pièces exhumées de la tombe du prince conseiller Li Chongjun sont rarement exposées en Occident, et intéressent naturellement les publics orientaux et occidentaux.

Dame de cour, Dynastie Tang (618-907), 8e siècle, terre cuite peinte, découverte à Hansenzhai, banlieue est de Xi’an (Shaanxi), Xi’an, musée d’histoire du Shaanxi © Musée d’histoire du Shaanxi (site du musée Guimet)

Selon vous, l’exposition a-t-elle produit l’effet escompté ? Envisagez-vous d'organiser des expositions sur d’autres dynasties à l’avenir ?

Personnellement, je pense que l'exposition est assez réussie, beaucoup de visiteurs sont venus chaque jour, surtout l'après-midi. Après avoir vu l'exposition, des universitaires et des experts chinois ou occidentaux ont également déclaré qu'il s'agissait d'une exposition très haut de gamme, dont la visite était fortement recommandée. Outre les descriptions en anglais et en français, l'exposition présente également quelques textes d'introduction en chinois. Yannick Lintz, présidente du musée Guimet, promeut vigoureusement la culture chinoise dans les descriptions du musée. Nous espérons que davantage de touristes chinois viendront visiter l'exposition.

J’ai également des amis japonais qui sont venus voir l'exposition. En effet, la dynastie Tang a exercé une grande influence sur le Japon. Aujourd'hui, une collection à grande échelle de superbes vestiges culturels de la dynastie Tang est encore conservée au Shoso-in dans la ville de Nara au Japon. De nombreuses reliques culturelles de la dynastie Tang en Chine proviennent de fouilles archéologiques, cependant très peu sont authentiques.

L'éventail de contenus et la quantité d’objets présentés dans cette exposition sont d’une telle importance, chacune des sections est si fournie qu’il faut beaucoup de temps au public occidental pour bien en comprendre l’ensemble. Ainsi, à chaque fois, plus de deux heures me sont nécessaires pour délivrer les explications. Bien sûr, d'autres parties de l'exposition sont plus populaires et toute la famille peut venir les voir. Cependant, en fonction des différents contextes culturels, du point de vue ou de l'âge du public, l'ensemble de l'exposition peut être analysé et apprécié à plusieurs niveaux. Les visiteurs chinois et japonais peuvent particulièrement s'intéresser à l'imitation par les Tang de l’encre sur papier intitulée Han Qie Tie réalisée par Wang Xizhi, car l'art de la calligraphie est considéré comme l'expression du niveau spirituel le plus élevé de l'art chinois, ce qui n'est pas forcément apprécié par le grand public occidental.

Personnellement, j'espère que l'exposition pourra durer un peu plus longtemps, un mois de plus par exemple. Après tout, tant d'efforts ont été déployés et tant de vestiges culturels ont été transportés depuis la Chine à Paris. Il est très rare de créer une exposition aussi exceptionnelle, spécifiquement au Musée Guimet pour célébrer le 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, et d'avoir de nouveaux thèmes d'exposition.

Bien sûr, j'aimerais organiser une exposition sur la dynastie Song. On pourrait ainsi considérer une forme de « trilogie », depuis la dynastie Han à la dynastie Tang, jusqu’à la dynastie Song. Cela dépendra également de l'opportunité qui se présentera. La culture Song est également l'une des périodes de pointe de la culture chinoise. En comparaison avec la magnifique et brillante culture de la dynastie Tang, la culture de la dynastie Song est plus intellectuelle et nécessite un degré considérable de connaissances culturelles pour la rendre plus facile à comprendre pour le public.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Photo du haut : Unsplash

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