
Avec Ecentime, les touristes font du shopping mieux que les locaux
Shopping like a local. C'est ce que promet l'application Ecentime aux consommateurs sinophones de France. Luxe, électronique, restauration… Celle-ci leur propose en un clic et dans leur langue, tous les « bons plans » d'achat en ligne et hors ligne.
Application mobile conçue en chinois, Ecentime permet à ses utilisateurs de connaître toutes les meilleures offres commerciales des enseignes locales, sur plateformes de vente en ligne ou en magasin. L'application fait un carton auprès des touristes et étudiants chinois, et des Français d'origine chinoise. Pour les marques, c'est évidemment un levier pour être visible auprès de cette clientèle on ne peut plus désirée...
« À tel point qu'on a remarqué que des francophones l'utilisaient, alors qu'il n'y a pas de version française. Ils essaient de se repérer en regardant les chiffres des réductions et les logos des marques proposées », affirme Sun Yangke, fondateur de la start-up. Chinois originaire du Shaanxi, celui-ci vit en France où il a fait une partie de ses études. Le jeune homme de 29 ans, bloggeur et chercheur, a d’abord une formation d’ingénieur télécom. Après un passage chez Critéo comme data scientist, il décide de se lancer dès 2016. Avec un peu plus d'un an d'existence et un chiffre d'affaires à 1,3 million d'euros, la jeune entreprise basée en Île-de-France est déjà rentable. Alors que celle-ci vient de partir à la conquête du marché allemand en ayant fait l'acquisition d'un concurrent outre-Rhin cette année, elle a aussi dans son collimateur le Japon, la Corée, les États-Unis. Avec, pour la communauté chinoise de chaque pays, cette même promesse : faire du shopping, like a local.
« Dans cette configuration, l’avis d’un étudiant à Paris, aura beaucoup plus d’impact que celui d’un Shanghaien. »
Le 9 : Sur quoi repose donc le modèle économique?
Sun Yangke : Sur Ecentime, on ne partage que de l'information. On ne vend rien. Vous lisez peut-être un article, puis à la fin, vous cliquez sur le lien pour aller sur le site de la FNAC ou de Darty. Si c’est une vente hors ligne, il y a un QR code à présenter au commerçant. Si une marque demande à entrer sur notre appli, on la teste d’abord avec nos algorithmes pour voir son degré d’influence sur les réseaux sociaux. Par conséquent, nous n’avons pas de tarif unique. Par exemple, pour LVMH c'est gratuit, on leur donne même de l'argent pour qu'ils rentrent sur l’application! LVMH, tout le monde en parle sur Internet, on n'a pas besoin de faire grand-chose. Or pour une petite marque, si j’ai peu de réputation en ligne, je dois utiliser mes propres ressources humaines, mes propres mots-clés, pour créer du contenu que mes algorithmes finiront par indexer. Cela a un prix. Dans nos revenus, il y a donc deux parties. Une commission d’affiliation, à hauteur de 50 %. L'autre partie correspond à la création de brand content.
Le 9 : Ecentime aurait-t-elle vocation à être utilisée en province pour des enseignes locales ?
S. Y. : C'est un peu notre limite. J'aimerais beaucoup travailler avec de petites marques, malheureusement c'est trop compliqué. Même si je pense que le produit marcherait. Aujourd'hui on n'a pas encore la capacité de le faire, ni trouvé de méthode magique pour économiser du temps: si on commençait à négocier avec chaque boutique, il faudrait une équipe d'une centaine de personnes ! Ecentime n'est pas un cabinet de conseil. Notre but, c'est de travailler avec des marques qui ont des ambitions en Chine, et qui sont déjà une référence locale. Il faut savoir qu’aujourd'hui en Chine, la conscience de la contrefaçon reste très forte. On peut y trouver des milliers de produits inexistants en France mais qui se disent « français ». Le consommateur qui fait ses recherches sur une marque et qui voit qu’environ 800 000 Chinois en France la connaissent et attestent de sa qualité, se verra rassuré. Dans cette configuration, l’avis de ces Chinois en France, d’un étudiant à Paris par exemple, aura beaucoup plus d’impact que celui d’un Shanghaien. C’est pour cela que nous n’avons pas de version française. Nous voulons rester concentrés sur le business qu'on connaît le mieux, c’est-à-dire avec les Chinois en Europe. Mais si un Français veut reprendre le modèle, on reste ouvert.
Le 9 : Quid de la partie technique?
S. Y. :Dès qu'on récupère toutes les informations auprès de la marque cliente, 3 algorithmes entrent en jeu. Le 1er calcule les produits à mettre en avant chaque jour. Le 2ème va chercher les informations, les mots-clés et la tendance sur les réseaux sociaux. Le 3ème algorithme va créer des articles automatiquement pour certains produits à mettre en avant.
Ensuite nous utilisons deux méthodes : la recommandation de groupe et la maximisation d’influence. La recommandation de groupe marche 100 fois mieux que la recommandation personnalisée (ou retargetting intelligent: technique qui recommande des produits sur Internet en fonction des intérêts pour un service ou produit manifesté par un internaute dans son historique de recherche). Typiquement, un Chinois va acheter un produit non parce qu'il l’aime bien, mais parce que son ami ou sa mère l’aime bien. Ainsi, si un client dit qu’iPhone « c'est super », mais qu’on pense soi-même que Huawei, ce n'est pas si mal, on va finir quand même par acheter un iPhone, car la recommandation de groupe est plus influente.
Les gens sont plus influencés par leur environnement que par leur libre arbitre
Le 9 : Cette attitude ne serait-elle pas plutôt culturelle ?
S. Y. : Oui et non. C'est culturel et humain. Quand vous achetez un produit sur Amazon, vous regardez les commentaires. C’est la même logique. Quant à l’autre méthode, c’est la maximisation d'influence. La question est de savoir comment utiliser les réseaux sociaux de nos clients et surtout comment utiliser les 800 000 Chinois en France pour influencer les habitudes de consommation de 1,3 milliard de Chinois en Chine.
Le 9 : Donc dans ce domaine, la technologie atteste du fait que les gens sont plus influencés par leur environnement que par leur libre arbitre ?
S. Y. : C'est exact. Par exemple, dans mon réseau de connaissances français, peut-être qu’on n’aime pas tellement Donald Trump. Jusqu’au jour où ma femme va lire un article avec un avis différent et viendra m'en parler. Cela aura un impact sur notre vision des choses. C’est ce qu'on essaie de faire.
Le 9 : Lors de la dernière édition de China Connect, vous expliquiez comment une stratégie sur les Chinois à l'étranger peut influencer les ventes en Chine. Avez-vous des chiffres?
S. Y. : Il y a ce constat : un bloggeur avec 2 000 followers à Paris a plus d'impact qu'un avec 1 million à Shanghai. Parce que pour certains produits, surtout les marques niches, les gens recherchent des sources d'autorité: pour être bon communicateur, il faut être consommateur. Donc si on considère qu'une personne est suivie par 2 000 personnes, dont 50 acheteurs potentiels, votre campagne se baserait sur une audience finale de 800 000 x 50 !
Ensuite, on peut considérer aussi qu'un touriste peut influencer ses proches à hauteur de 80 %. Si ma mère vient me voir en France, elle rapportera à son retour des cadeaux à ses amis chinois, par exemple des produits Lancôme. Dans 80 % des cas, ces personnes rachèteront du Lancôme plus tard. Tout cela fait qu’avec un budget de 3 000 euros, le retour sur investissement (ROI) peut être 10 fois voire 15 fois supérieur à un ROI équivalent sur un budget où on cible directement le marché chinois. Avec 3 000 euros, on ne peut absolument rien faire en Chine. Un vrai lancement sur le marché coûte entre 500 000 et 1 million d’euros.
Le 9 : Vous vous êtes lancés sur vos deniers personnels. Pourquoi ne pas avoir fait appel à des investisseurs?
S. Y. : Les investisseurs ont estimé que j’étais trop jeune malgré le chiffre que j’avais, j’ai donc décidé de me débrouiller seul. En Europe, nous n’avons pas besoin d'argent pour nous développer : il y a peu de concurrence. Là où j’aurais besoin de fonds, c’est pour l’Amérique du Nord, 6 millions en tout. Il y a là-bas un concurrent présent depuis une dizaine d'années déjà. C’est une grosse entreprise, avec des équipes en Chine. Mais ils n’utilisent pas toute la technique qu'on a déployée chez Ecentime. Notre avantage sera là. À l’instar de stratégies utilisées en Chine, comme dans la lutte Uber contre Didi par exemple, je compte rentrer en proposant de grosses réductions. S'ils font -20 % sur des produits, moi, je proposerais -30 %, sur mes fonds propres. Les gens finiront par nous connaître. J'ai confiance dans notre système de recommandation de produits aux utilisateurs, plus personnalisé et beaucoup plus précis. Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’être utilisé au moins une fois.
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