Bai Xue, réalisatrice de « The Crossing » : « Je ne suis pas là pour porter un regard inquisiteur »

1600776091000 Chine-info Hu Wenyan

Sorti le 12 août en France, le premier long-métrage de Bai Xue suit le basculement dans la délinquance de Peipei, une « élève transfrontalière », en quête d’identité et d’appartenance, sur fond de relation fusionnelle et complexe entre Shenzhen et Hongkong. Entretien.

Affiche de The Crossing lors de sa sortie en France © 3L Films

C’était le 19 décembre 2018. Le grand froid s’abattait sur Pékin. Vers 20h, le festival de Berlin dévoilait sa sélection officielle, dont faisait partie The Crossing. Alors que l’Internet s'emballait, Bai Xue s’était réfugiée dans sa cuisine, avait fait la vaisselle et fumé une cigarette. La trentenaire n’en revenait pas. Elle avait besoin de se calmer et de respirer. Après tout, c’était son premier long-métrage.

Diplômée de la prestigieuse Académie de cinéma de Pékin en 2007, Bai Xue, mère d’un fils de 8 ans, avait passé les dix dernières années au foyer. Un peu paumée, cette passionnée de cinéma a enchaîné des petits boulots, entamé pas moins de vingt pitchs de films tout en continuant de se chercher. Jusqu'au jour où elle a réussi à brosser, de façon vigoureuse et subtile, le portrait de Peipei, une adolescente en plein tourments. Enfant adultérine née d’un père hongkongais et d’une mère chinoise du continent, Peipei vit à Shenzhen mais doit traverser quotidiennement les douanes pour aller au lycée à Hongkong.

Tiraillé entre deux langues et deux modes de vie, l'itinéraire de Peipei est aussi original que symbolique, à l’image de la ville où elle habite : Shenzhen, la vitrine du miracle économique chinois et un désert culturel. Originaire elle aussi de Shenzhen, Bai Xue pose un regard intime et tendre sur sa ville natale ainsi que la ville voisine de Hongkong et ses résidents, marquée par une hétérogénéité de classes sociales.

Hongkong, cette mégapole si loin et si proche à la fois, la fascine depuis son adolescence : « Shenzhen est avant tout une ville d’immigration, idéale pour les jeunes aspirant à une vie meilleure. Mais elle inspire rarement une sécurité intérieure ou un sentiment d’appartenance. » Mais c’est souvent dans ces contradictions que se cachent les meilleures histoires de notre temps, comme celle de Peipei, une fiction qui résonne étonnamment avec la réalité.

Chine-info : « Danfeizai »(单非仔), c’est le terme pour désigner les enfants comme Peipei, dont l’un des parents est Chinois du continent et l’autre de Hongkong. Pourquoi vous intéressez-vous à cette population ?

Bai Xue : Depuis la réforme et l’ouverture économique dans les années 80, Shenzhen et Hongkong entretiennent des relations étroites. Tout au long de mon adolescence, j’étais imprégnée par la culture populaire de Hongkong : magazines, radios, émissions télévisées. Après 1997, l’année de la rétrocession de Hongkong à la Chine, les échanges économiques et culturels se sont accélérés. Dans ce contexte, des chauffeurs routiers hongkongais, comme le père de Peipei, ont commencé à travailler entre les deux villes, ont fait des rencontres amoureuses et ont parfois fondé une famille dans chaque ville… Je ne juge pas ce que cet homme a fait dans sa jeunesse, je ne suis pas là pour porter un regard inquisiteur. Je préfère l’aborder sous le prisme humain. Quand The Crossing est sorti en Chine, un spectateur m’a confié une histoire similaire sur un chauffeur qu’il connaissait. Pendant très longtemps, il le détestait et le méprisait, mais mon film a changé son regard sur ces hommes, qui ont souvent fait des choix malgré eux. En tant que créatrice, au lieu de juger, je raconte des histoires, basées sur mes propres observations.

Peipei (à gauche) et sa meilleure amie © 3L Films

Chine-info : Comment décririez-vous votre personnage principal Peipei ? En plus du fait qu’il s’agit d’une « élève transfrontalière » et « passeuse » illégale des derniers modèles d’iPhones entre Hongkong et Shenzhen ?

Bai Xue : Peipei est une fille forte. Bien sûre qu’elle ne cesse de chercher autour d'elle une consolation émotionnelle, mais elle ne se plaint jamais et n’est pas en proie à des comportements auto-destructifs. Elle a accepté les affres des déchirements familiaux. C’est la vie. Elle garde au contraire un esprit positif. Avec sa meilleure amie, elle voudrait aller au Japon pour regarder la neige. Elle économise de l’argent pour réaliser ce rêve mais surtout pour se prouver qu’elle en est capable. Mais elle sous-estime sans doute son désir matériel sans mesure, ce qui provoque par la suite des faux pas.

Chine-info : Vous avez passé deux ans à écrire le scénario…

Bai Xue : Je n’ai pas vécu à Hongkong. Donc j’ai tout fait pour mieux connaître cette ville avant de m’attaquer au scénario. J’ai passé beaucoup de temps à parler avec ces « passeurs », comme Peipei, d’âges et de milieux différents. Ils flirtent avec la ligne rouge pour gagner un peu d’argent. Mais derrière cette prise de risque se cachent des raisons bien différentes. Plusieurs commerçants et restaurateurs font également partie de ma liste d’interviewés. Parmi tous ces entretiens, ce qui m'a le plus impressionné, c’était ce garçon de Chaozhou (Teochew) qui s’était marié avec une Hongkongaise pour de faux afin d’avoir des papiers. Mais je n’ai pas pu mettre tout cela dans le film.

Chine-info : C’est également un conte sur deux villes. Le public hongkongais partagerait-il le même avis que le public du continent ?

Bai Xue : The Crossing a été diffusé dans plusieurs festivals de films, dont le festival international de Hongkong, séduisant beaucoup de spectateurs de la ville portuaire. J’ai l’impression qu’ils ont d’abord été très curieux de savoir pourquoi une réalisatrice du continent s’est intéressée à cette thématique avant de se laisser emporter par la dimension très réaliste du film. Sorti en mars 2019, le film raconte une histoire qui se déroule en 2014. À cette époque, Hongkong semblait bien différente, ce qui peut faire réfléchir les spectateurs d’aujourd’hui. Mon film, en tant qu’archive, aiderait peut-être à mieux saisir le passé. À vrai dire, le public, soit du continent ou de Hongkong, ne connaît pas très bien ces « passeurs » illégaux comme Peipei, mais peuvent facilement comprendre les émotions ressenties par l’adolescente.

Chine-info : Être femme constitue-t-il un avantage ou un inconvénient pour vous dans l’industrie de cinéma chinois ?

Bai Xue : Je ne mets jamais en avant mon statut de « femme réalisatrice ». Être femme n’est ni un avantage ni un inconvénient pour moi. En tant que créatrice, je partage les mêmes solitudes et défis que mes homologues masculins. Le niveau de difficultés ne va pas baisser parce que tu es une femme, et de même que le public ne va pas critiquer davantage une œuvre uniquement parce que son auteur est un homme. En ce sens, les hommes et les femmes sont égaux dans leur démarche de création.

Il est vrai que l'indépendance financière des femmes modifie également l’industrie du divertissement chinois. Surtout depuis un an, les séries télévisées et les émissions de téléréalités plaidant la cause féministe, se multiplient. Les femmes chinoises n’ont jamais eu autant envie de regarder des histoires qui leur sont consacrées.

THE CROSSING Trailer | TIFF 2018

THE CROSSING (过春天)

Réalisé par BAI Xue

Avec HUANG Yao, Sunny SUN, Carmen TONG, NI Hongjie, Elena KONG, Kai Chi LIU

Sorti le 12 août 2020

Genre : drame

Durée : 1h 39min

Distributeur : 3L Films (France)

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