
[Sortie ciné] « Tout ira bien » de Ray Yeung en salle le 1er janvier 2025
Le nouveau film de Ray Yeung qui questionne les droits des personnes LGBTQ dans une société en mutation.
Synopsis :
Angie et Pat vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de 30 ans. Jamais l’une sans l’autre, leur duo est un pilier pour leurs parents et leurs amis. Au brusque décès de Pat, la place de Angie dans la famille se retrouve fortement remise en question...
Entretien avec le réalisateur Ray Yeung :
Comment vous est venue l’idée de Tout ira bien ?
En 2020 à Hong Kong, j’ai assisté à une conférence sur les droits de succession pour les couples homosexuels. Le conférencier a cité quelques exemples, très similaires à l’intrigue de Tout ira bien. J’ai pensé que c’était une idée de film très intéressante et j’ai donc interrogé plusieurs personnes qui avaient vécu cela.
En discutant avec elles, j’ai réalisé que je devais vraiment écrire une histoire à ce sujet. D’abord, pour aborder les droits de la communauté LGBTQ à Hong Kong, mais aussi pour questionner ce que signifie la « famille » à notre époque. Est-ce uniquement une question de liens biologiques ? Les liens du sang sont-ils plus importants que les années vécues avec quelqu’un ? Et comment le droit interprète-t-il cela ? C’était la base de mon scénario.
Dans quelle mesure le scénario est-il basé sur des histoires réelles ?
Je pense que l’ensemble de l’histoire est conforme à la réalité. Mais pour beaucoup de personnes parmi celles que j’ai interrogées, les membres de la famille ont procédé à un changement très rapide. Dans un cas, ils ont emménagé dans l’appartement du couple et ont changé la serrure. Dans un autre, ils n’ont pas autorisé la compagne de la défunte à se rendre aux funérailles parce qu’ils ne voulaient pas qu’elle soit perçue en public comme sa partenaire. Les exemples réels sont d’une grande cruauté, mais je ne voulais pas dépeindre cela dans le film, car il ne fallait pas que le public perçoive immédiatement les membres de la famille comme des « méchants ». Je voulais que l’on soit aussi en empathie avec eux, que le public s’interroge sur lui-même et sur son degré d’homophobie. Si c’était eux, que feraient-ils ?
Ce n’est pas la première fois que vous racontez l’histoire d’un couple homosexuel à l’écran. Dans Tout ira bien, c’est aussi celle d’un couple plus âgé. Pensez-vous qu’il est important de présenter ces histoires à l’écran ?
Au cinéma, on a l’habitude de suivre des personnages entre l’adolescence et 35 ans. À mon avis, on ne change pas tellement une fois atteint un certain âge. Nous avons toujours les mêmes désirs et les mêmes besoins. Je pense que le cinéma devrait refléter aussi cette réalité. Avec Tout ira bien, je n’avais pas nécessairement l’intention de faire un film sur un couple âgé, mais j’avais besoin d’un couple ensemble depuis longtemps, pour que l’histoire ait plus de force émotionnelle.
La ville de Hong Kong a une place très importante dans le film, tant sur le plan visuel que thématique. C’était important pour vous ?
Il y a deux problématiques majeures à Hong Kong. La première est le manque d’espace de vie. Tout le monde est coincé dans un appartement très petit et généralement très cher. L’appartement spacieux de Angie est donc extrêmement attrayant pour les membres de la famille de Pat.
Par ailleurs, même si Hong Kong peut sembler très moderne en apparence, elle est encore très imprégnée de croyances chinoises traditionnelles. Les coutumes traditionnelles chinoises sont assez homophobes et totalement fondées sur un modèle de société patriarcale, l’homme jouant toujours le rôle le plus important dans les rituels et cérémonies. Et je pense que le film met cela en évidence. J’ai toujours un sentiment étrange quand je me rends à ces évènements.
À bien des égards, le film est étroitement lié à la culture hongkongaise. Comment pensez-vous qu’un public international puisse s’y retrouver ?
Dans de nombreux pays, la situation est assez similaire, non seulement au niveau financier, mais aussi pour ce qui concerne la propriété et l’héritage. Lorsque votre partenaire est là, vous avez une famille élargie, mais le jour où il disparaît, vous n’êtes plus qu’un ami, voire une simple connaissance, et vous êtes mis à la porte. Je pense que tout le monde peut s’identifier à cette histoire, au chagrin de perdre quelqu’un qui vous est très cher en même temps que votre monde change radicalement, du jour au lendemain.
L’histoire d’Angie est très forte. Avez-vous toujours su que le récit prendrait cette direction ?
Je pense que l’histoire est déchirante à bien des égards. Angie doit lutter en permanence car elle perd non seulement sa compagne, mais aussi sa maison, son identité et sa place au sein de la famille. Lorsque l’on traverse une telle épreuve, comment faire pour ne pas plier face à toute cette cruauté ? Je pense que la seule chose qui permet aux gens de survivre à ces situations, ce sont les souvenirs heureux des moments vécus avec leur partenaire.
Comment avez-vous abordé le processus de casting ?
En fait, j’avais déjà travaillé avec Patra Au, l’actrice qui joue Angie, dans Twilight’s Kiss. C’était une actrice de théâtre depuis de nombreuses années mais elle n’avait jamais tourné dans un film auparavant. J’avais appelé une compagnie à Hong Kong pour leur demander s’ils pouvaient me présenter une actrice dans la tranche d’âge qui m’intéressait. Et ils m’ont présenté Patra, que j’ai trouvée excellente. Lorsque j’ai écrit le scénario de Tout ira bien, je pensais déjà à elle pour le rôle. Le casting pour le personnage de Pat a été plus compliqué. Nous étions déjà en phase de préproduction lorsque j’ai découvert Maggie Li en regardant une ancienne série télévisée dans laquelle elle jouait. Elle était à la retraite depuis 34 ans mais je l’ai trouvée si juste dans la série que je lui ai tout de même demandé si elle était intéressée par le rôle. Par chance, elle avait vu Twilight’s Kiss et pensait que ce rôle serait un défi pour elle, alors elle a accepté.
De manière plus générale, quelles sont vos sources d’inspiration stylistiques ? Les réalisateurs qui vous inspirent ?
Je pense que l’une de mes plus grandes inspirations est le réalisateur japonais Yasujiro Ozu. J’ai été stupéfait par son style lorsque j’ai découvert son cinéma. En grandissant, j’ai vu beaucoup de films hollywoodiens. Il y a toujours beaucoup d’action et de mouvements de caméra dans ces films, et ils sont très divertissants. Mais lorsque vous regardez un film d’Ozu, c’est tout aussi captivant, si ce n’est plus, parce que les informations ne vous sont pas servies sur un plateau. Vous devez absorber le film, être là avec les personnages et vous imprégner de l’atmosphère, des silences, des ellipses. Les éléments sont disséminés ça et là si vous êtes attentif, et vous pouvez faire appel à votre imagination pour combler les trous. Je trouve cette approche très inspirante et j’ai voulu réaliser Twilight’s Kiss et Tout ira bien dans ce style.
Un autre réalisateur que j’admire beaucoup est Ang Lee. Je me souviens avoir vu The Wedding Banquet quand j’étais jeune. Ce film m’a fait réaliser que le public était sensible aux histoires portant sur les minorités ethniques et sexuelles. Je me suis dit que si le public était réceptif à ce genre d’histoires, il le serait aussi à ce que je voulais raconter. J’ai alors pensé que je pourrais peut-être devenir réalisateur.
L’accueil a été très positif lors de la projection à Berlin. Qu’espérez-vous que le public retienne du film ?
Je pense que les gens doivent prendre conscience du fait que l’on peut prendre soin de ses proches de multiples façons. La rédaction d’un testament en fait partie, même lorsque l’on est protégé par le cadre du mariage. Mais je pense qu’aujourd’hui, dans de nombreux cas, même les couples hétérosexuels ne se marient pas. Et si vous n’êtes pas marié, vous devez encore faire face à de grandes complications juridiques dans de nombreux pays. Je sais que beaucoup de gens sont effrayés à l’idée de rédiger leur testament, car c’est faire face à sa propre mort, mais c’est très important. Vous pouvez aussi le voir d’une manière plus romantique, comme une lettre d’amour à vos proches, une manière de leur faire savoir que vous avez toujours leurs meilleurs intérêts à cœur. L’autre chose que je veux faire réaliser au public, c’est à quel point les gens peuvent changer. Ceux qui aujourd’hui vous soutiennent ne le feront peut-être pas pour toujours.
Propos recueillis par Clotilde Chinnici pour Loud And Clear Reviews
Filmographie de Ray Yeung :
2024 : TOUT IRA BIEN (ALL SHALL BE WELL)
2019 : UN PRINTEMPS À HONGKONG (TWILIGHT’S KISS – SUK SUK)
2015 : FRONT COVER
2012 : PAPER WRAP FIRE – Court métrage
2011 : ENTWINE – Court métrage
2010 : DEREK AND LUCAS – Court métrage
2009 : HOMECOOKING – Court métrage
2008 : DOGGY... DOGGY – Court métrage
2006 : CUT SLEEVE BOYS
1998 : YELLOW FEVER – Court métrage
1996 : A BRIDGE TO THE PAST – Court métrage
1995 : A CHINK IN THE ARMOUR – Court métrage
TOUT IRA BIEN
Réalisé par Ray Yeung
Avec Patra Au, Maggie Li, Tai-Bo
Genre : Drame
Nationalité : Chine (Hongkong)
Photos et affiche © Nour Films
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