
[Culture Factory] Paillettes cannoises 2025 : quand les films chinois tentent leur chance sur le tapis rouge
Du 13 au 24 mai 2025 s’est tenue la 78e édition du festival de Cannes. Cette année, parmi la sélection, un film chinois : Résurrection de Bi Gan (毕赣). Si celui-ci n’a pas remporté la palme, il a dénoté un intérêt constant de l’industrie chinoise du cinéma pour cette messe annuelle. Au-delà des paillettes, des selfies et des stars sur le tapis rouge, qu’est-ce qui pousse les producteurs et réalisateurs chinois à tenter de se faire une place sous le soleil de la Croisette ?
Le festival de Cannes est, selon les mots de son ancien président, Gilles Jacob, « le troisième événement le plus important de la planète après la Coupe du monde et les Jeux olympiques ». Prétentieux ? Il n’en reste pas moins que l’événement et toutes les activités qui s’organisent autour ne font pas dans la demi-mesure. Pendant 12 jours, près de 80 000 participants, dont 4 000 journalistes et 15 000 professionnels, convergent sur Cannes pour assister à la projection de centaines de films et courts-métrages concourant au sein d’une poignée de catégorie ou hors-compétition. Aucun festival n’a réussi à le surpasser, et l’événement demeure la pierre angulaire de la planète cinéma.
La sélection en compétition : le Graal
Seuls quelques milliers de festivaliers pourront assister à la projection des films en compétition. Quant aux artistes, concourir à Cannes reste souvent l’un des seuls moyens pour des films artistiques de se placer au-dessus de la concurrence et d’être diffusés par la suite dans des cinémas. « Chaque année, sur la planète, près de 2 500 films sont produits. Il est donc impossible pour nous, sociétés de distribution, de regarder entre six et huit films par jour. Nous devons nous concentrer sur les sélections au sein des grands festivals comme Cannes, Berlin ou Venise », explique Huub Roelvink de la société hollandaise Cherry Pickers, lors d’une table ronde au sein du marché du festival de Cannes. Sans avoir besoin d’être dans la compétition d’un festival de renom, ne pas y être présent rend souvent impossible une sortie en salle ; à l’exception bien sûr de véritables blockbusters comme Ne Zha 2, qui n’en ont pas besoin.
Les producteurs et réalisateurs chinois n’échappent pas à cette logique et doivent tenter leur chance au temple du cinéma qu’est Cannes. Quelques films furent d’abord, dans les années 1980, sélectionnés dans la prestigieuse compétition internationale. Puis c’est en 1993 que la consécration arrivera, avec la palme d’or d’Adieu ma concubine de Chen Kaige. Depuis, les réalisateurs chinois rêvent de fouler le tapis rouge au son du Carnaval des animaux (la musique officielle du festival). Certains sont revenus de nombreuses fois, comme Jia Zhangke (6 sélections), Chen Kaige (5 sélections) ou Zhang Yimou (3 sélections), quand d’autres, tel Yang Fengliang, sont restés dans une relative obscurité après une seule sélection. Cette année, c’est le réalisateur Bi Gan avec son film Résurrection qui concourait pour la Palme d’or face à des pointures comme Wes Anderson, les frères Dardenne ou Jafar Panahi, le vainqueur de la compétition officielle. Cette coproduction franco-chinoise aura cependant reçu le Prix spécial du jury.
Bi Gan
En parallèle de la compétition internationale, d’autres sections de compétition telles qu’« Un certain regard » ou celle des courts-métrages permettent à de jeunes réalisateurs chinois avec des petits projets d’être estampillés « projet sélectionné à Cannes ». C’est le cas du jeune Qu Zhizheng, qui présentait cette année 12 Moments Before the Flag-Raising Ceremony au sein de la section courts-métrages des écoles de cinéma où il a reçu le deuxième prix. Interrogé avant les résultats, il révèle : « J’ai réalisé ce court-métrage lors de mes études à la Beijing Film Academy, et pour moi, il était important de partager mon travail dans un festival reconnu. J’avais d’abord tenté d’être sélectionné par le festival de Berlin, qui m’avait rejeté. Mais je ne me suis pas découragé par le nombre de courts-métrages concurrents (ndlr : plus de 2 700) envoyés à Cannes, et j’ai envoyé le mien. Cette sélection est un véritable honneur, et c’est le rêve de tout réalisateur ! ». Une telle reconnaissance du milieu est souvent la première étape d’un long processus. Après un court-métrage sélectionné dans un festival de haut niveau, les réalisateurs se verront très souvent confier la création d’un long-métrage, qui sera fortement attendu par le comité de sélection du festival. Ce fut le cas d’un certain… Bi Gan, dont le court-métrage Un conte de fée avait été sélectionné en 2022 sur la Croisette.
L’incontournable marché du film du festival
Dans les entrailles du palais des festivals, affectueusement surnommé le « bunker », se joue un événement moins glamour mais tout aussi intense. Là, plus de 15 000 professionnels venus du monde entier se pressent à la recherche du bon deal. « C’est un grand moment d’effervescence, explique Aladin Farré, producteur basé entre Paris et Pékin. Sachant que le marché du cinéma et de l’audiovisuel se contracte, producteurs, distributeurs et créatifs de tous les pays doivent trouver des moyens de travailler ensemble ou de vendre leur catalogue de films. Or le marché du festival de Cannes, c’est la plus grande foire audiovisuelle au monde. Il est stratégique de s’y retrouver pour comprendre les dernières tendances, trouver des partenaires et présenter nos projets. » Pour cette dernière édition, près de 7 000 sociétés étaient présentes. Plus d’une centaine venaient de Chine, la même proportion que pour le Japon et le double que pour la Corée du Sud.
Les organisateurs du marché du festival y organisent aussi une sorte de mini- compétition afin de présenter les meilleurs projets encore en gestation. Un projet de film met souvent entre 3 et 10 ans à se réaliser ; chaque étape du processus (écriture, développement, production, post-production) doit donc trouver de nouveaux partenaires et surtout des financeurs. Plusieurs projets chinois comme Her First Taste ou Say My Name étaient présents en ce sens. Une étape dans la vie d’un projet rarement mentionnée dans les médias, mais qui est souvent la condition sine qua non de la survie d’un futur film.
La distribution n’est pas en reste, car il est tout aussi difficile pour les films chinois de trouver une plateforme de projection à l’international. « Je travaille sur ces problématiques de ventes depuis 2017, et le marché des films ne va pas en s’améliorant, explique Cao Liuying, cofondatrice de la société de distribution Parallax Films. Il faut savoir que si un long métrage n’est pas de langue anglaise, cela ampute sérieusement ses chances de distribution dans les salles ou les plateformes vidéo. Alors, pour augmenter nos chances de vente, nous avons changé notre fusil d’épaule. Nous sommes passés de la vente de films chinois à celle de films asiatiques afin d’augmenter le volume de notre catalogue. De ce fait, nous pouvons ensuite vendre des packages de plusieurs films plutôt qu’à l’unité ; ce qui rend les ventes plus faciles. Nous ne baissons pas les bras, c’est un combat de tous les instants. »
Du court-métrage étudiant au tapis rouge, en passant par les négociations du marché du film, Cannes reste pour le cinéma chinois une étape importante. La route vers la reconnaissance et les écrans internationaux est semée d'embûches avec des barrières linguistiques denses et une concurrence féroce. Chaque sélection cannoise représente donc une victoire éphémère dans un milieu toujours à la recherche de la prochaine palme.
William Wang est photographe et producteur basé à Paris. Il est impliqué dans de nombreux projets entre la France et la Chine.
Table ronde sur le kungfu au China Film Forum lors du 78e festival de Cannes. © William Wang
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