
[Sortie ciné] « Des feux dans la plaine », le Nord-Est chinois en clair-obscur (en salle le 9 juillet)
Dans ce polar se déroulant au Dongbei, la « ceinture de la rouille » chinoise, le réalisateur Zhang Ji explore avec une certaine distance le poids du destin et la douleur lancinante qui ronge des êtres déboussolés, confrontés aux soubresauts de la société chinoise.
À l’allure frêle mais déterminée, la jeune Li Fei (Zhou Dongyu) n'a qu’une idée en tête : fuir sa ville natale, glaciale et délabrée. Le sud chatoyant la fascine. Mais le chômage de son père vient mettre son rêve à rude épreuve. Nous sommes en 1997, l’année où les entreprises d'État, piliers économiques du Nord-Est chinois, multiplient les plans sociaux. Partagée entre espoir et désillusion, cette passionnée de beaux-arts continue à apprendre à peindre auprès de sa voisine, Madame Fu (Mei Ting), artiste et mère de Zhuang Shu (Liu Haoran). Ce dernier, du même âge que Li Fei, s’abandonne quant à lui à l’ennui jusqu’à sa rencontre avec Jiang Bufan (Yuan Hong), un enquêteur de police généreux et bienveillant, chargé de faire la lumière sur une série d'assassinats de chauffeurs de taxi.
La veille de Noël, Li Fei et Zhuang Shu se donnent rendez-vous pour allumer un feu dans un champ de maïs. Un rencard qui n’aura jamais lieu. Un incident, tel un gouffre, les sépare brutalement, et les engrenages du destin les entraînent chacun vers le précipice. Huit ans plus tard, les deux anciens amoureux se retrouvent, chacun porteur de secrets et de mystères bien enfouis …
Pour son premier long métrage, Zhang Ji, ancien chef-opérateur reconverti en metteur en scène, adapte avec une esthétique en clair-obscure le sublime roman Moïse dans les plaines de l’écrivain chinois Shuang Xuetao, lauréat du Prix Cent Fleurs 2017 (l’équivalent chinois du Goncourt). Le bleu, serein et silencieux, alterne avec un rouge flamboyant et impéteux, cristallisant la tension brûlante qui bouscule le train-train quotidien des personnages. Ce jeu d’opposition, entre froideur et chaleur, fait également écho aux destins croisés, à la fois personnels et familiaux, de Li Fei et Zhuang Shu.
Dans la lignée de The Piano in a Factory (2010) de Zhang Meng et bien sûr, de Black Coal (2014) de Diao Yinan, Zhang Ji chronique à sa manière le déclin du Dongbei. Des feux dans la plaine est un film policier iconoclaste : plutôt que de miser sur un suspens mécanique, il s’attache à explorer les énigmes intimes des relations humaines. Les meurtres sériels s’invitent ici en toile de fond, au détour d'images filmées de loin, de flashs radio et de conversations de comptoir. Ce sont les liens complexes, faits de silences et de non-dits, entre les membres des familles Li et Zhuang, qui occupent le véritable centre du récit, tissant une trame émotionnelle subtile et profondément humaine.
En jonglant entre réalisme naturaliste et beauté abstraite, le film parvient à saisir le climat étouffant et délétère d’une société déboussolée à la croisée des chemins. Les crimes, bien malgré eux, deviennent un prétexte pour retracer cette période charnière si particulière, qu’a traversée le Dongbei, en abordant des thèmes comme la fatalité, le déterminisme social ou encore la quête de dignité. Le feu, omniprésent, sème tour à tour le trouble et l’espoir, tendant un miroir à cette époque tiraillée entre folie destructrice et flamme de résurrection.
Des feux dans la plaine 平原上的火焰
Genre : polar, romance
Sortie en salle le 9 juillet 2025
Durée : 1h41m
Réalisé par Zhang Ji
Avec Zhou Dongyu, Liu Haoran, Tang Zeng, Mei Ting, Yuan Hong...
Société de distribution : Momento (France)
Photos : Momento
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