
L’héritage du chan chinois à Paris : entre transmission spirituelle et rencontre culturelle
À l’occasion de la venue d’une délégation chinoise à Paris, la capitale française accueille un événement exceptionnel qui allie tradition spirituelle et dialogue culturel. Au cœur de cette rencontre, l’installation d’une relique du vénérable maître Jinghui, figure éminente du bouddhisme chan, marque un moment symbolique fort pour la communauté chinoise et les pratiquants bouddhistes en France. Entre héritage spirituel et ouverture à l’international, cet événement incarne une transmission vivante du chan en dehors des frontières chinoises, offrant aux Français une plongée dans la sagesse du « chan de la vie quotidienne » et dans les valeurs intemporelles de la culture bouddhiste chinoise.
Dans le calme solennel du temple bouddhiste de l’Amicale Teochew, niché dans un recoin des Olympiades dans le 13e arrondissement de Paris, des volutes d’encens s’élèvent doucement, enveloppant l’assemblée dans une atmosphère pieuse. Des moines venus de Chine, en robes couleur safran, murmurent des prières avec en écho, les chants des pratiquants, réunis dans un moment de recueillement et de paix. Les regards sont tournés vers une petite urne précieuse, qui contient la relique du Vénérable maître Jinghui. Sous les néons, entre les effluves d’encens et les litanies, on sent la profondeur de l’instant – un hommage silencieux à une vie de sagesse, qui unit ici et maintenant les âmes de Paris et de Chine.
Les reliques d’un grand maître du chan à Paris
Le matin du 2 novembre, la communauté bouddhiste française s’est rassemblée au temple bouddhiste de l’Amicale Teochew pour accueillir et installer la relique de maître Jinghui, figure éminente du chan chinois. À l’occasion du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine, représentants bouddhistes de Chine et de France se sont réunis pour une cérémonie de prière en faveur de la paix entre les deux pays, exprimant leur souhait d’une amitié durable entre les communautés bouddhistes et d’une harmonie solide entre les deux nations. Près de 200 personnes ont assisté à l’événement, dont les membres d’une délégation chinoise incluant des moines issus des plus hautes sphères de la hiérarchie bouddhiste en Chine, mais aussi des maîtres et des pratiquants venus de divers temples parisiens et aussi européens.
Le reliquaire du maître Jinghui, situé dans le temple bouddhiste de l'Amicale teochew de France. © Huang Guanjie/Nouvelles d'Europe
Cet événement a marqué la continuité d’une relation qui a vu le jour il y a 30 ans, lorsqu’en janvier 1994, maître Jinghui, alors vice-président de l’Association bouddhiste de Chine, avait conduit à Paris pour un mois d’échanges culturels bouddhistes une délégation chinoise, accueillie chaleureusement par les milieux français et forgeant ainsi une profonde amitié. Trente ans plus tard, la communauté bouddhiste française rend hommage à cette relation en accueillant la relique du maître, renouvelant ce précieux lien d’amitié entre la France et la Chine. La délégation de l’époque souhaitait faire la promotion du chan en France, contribuant activement à la solidarité des communautés chinoises à l’étranger. Outre ses qualités spirituelles, maître Jinghui est connu pour son concept de « chan de la vie quotidienne », une interprétation moderne du bouddhisme qui tend à influencer une frange des croyants en Chine et trouve également un écho positif en Europe.
Cérémonie d'ouverture de l'exposition « Éveil d’Extrême-Orient – la culture chan de Chine ». Étaient présents le conseiller de l'ambassade de Chine en France Wan Lei, le président de l'Amicale teochew de France Xu Kui, le président de Nouvelles d'Europe Zhong Cheng, la maire adjointe à la ville de Paris Afaf Gabelotaud et le maire du 13e arrondissement Jérôme Courmet, accompagnés de la délégation chinoise. © Huang Guanjie/Nouvelles d'Europe
Une exposition avec plus de 200 pièces venues de Chine
En marge de ces visites, une double exposition s’est tenue dans le Hall des Miroirs de la célèbre Galerie Jouffroy, près de la mairie du 9e arrondissement de Paris, du 2 au 8 novembre. Le premier pan de cette exposition, « Éveil d’Extrême-Orient – la culture chan de Chine », présentait plus de 200 pièces venues de Chine : photos historiques, objets rituels, stèles et calligraphies, illustrant l’histoire millénaire de la culture chan chinoise. L’exposition était divisée en quatre sections pédagogiquement conçues pour le profane : « origines et développement du chan », « pratique et éveil », « diffusion et influence », « influence du chan sur la culture et les arts ». Son vernissage a fait l’objet d’une cérémonie particulière où étaient présents M. Wan Lei, conseiller de l’Ambassade de Chine en France, Mme Afaf Gabelotaud, adjointe au maire de Paris, M. Jérôme Coumet, maire du 13e arrondissement de Paris, M. Xu Kui, président de l’Amicale Teochew de France, M. Zhong Cheng, président du groupe culturel et médiatique de Nouvelles d'Europe, M. Xiong Zhaozheng, président de l’Association de promotion de la culture chinoise du Hubei, le maître Zhengci, vice-président de l'Association bouddhiste de Chine, ou encore le maître Minghai, vice-président exécutif de l'Association bouddhiste de Chine.
Le maître Minghai, offrant au nom de la délégation, une reproduction de fresque bouddhique de Kucha à la municipalité de Paris. © Huang Guanjie/ Nouvelles d'Europe
Les invités ont unanimement souligné que le chan chinois est la branche bouddhiste la plus représentative de la culture traditionnelle chinoise et qu’il constitue un pilier essentiel du patrimoine culturel chinois. Grâce à sa sagesse unique et à son charme, le chan chinois a franchi montagnes et océans pour influencer les civilisations d’Asie et du monde entier, se méritant le titre de « Sagesse de l’Orient. » Ils ont également rappelé que le bouddhisme, religion prônant la paix, peut jouer un rôle positif pour encourager l’amitié entre les peuples, promouvoir la paix et le développement. En espérant que cet échange bouddhiste sino-français pourra, à travers le chan et dans un esprit de sincérité et de coopération, renforcer l’amitié, dépasser les barrières culturelles, encourager la compréhension mutuelle et résoudre les conflits culturels, afin de consolider davantage l’amitié traditionnelle entre les deux pays et favoriser la coexistence harmonieuse des civilisations orientale et occidentale.
« Les enseignements du bouddhisme, axés sur la sagesse et la paix, sont d’une grande pertinence pour le monde actuel. Cette exposition permettra sans aucun doute au public français de mieux comprendre la culture chan, de découvrir comment la Chine préserve et transmet son patrimoine religieux, et d’explorer les fondements philosophiques de la pensée chinoise, contribuant ainsi à une compréhension mutuelle plus profonde entre les peuples », a déclaré Afaf Gabelotaud. Lors de la cérémonie d’ouverture, la délégation chinoise a offert au gouvernement de la ville de Paris et à la mairie du 13e arrondissement des reproductions des fresques bouddhistes anciennes de Kucha, originaires du Xinjiang, ainsi que des assiettes en porcelaine symbolisant la culture chinoise.
Le 5 novembre, au centre de recherche de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), la délégation culturelle bouddhiste a échangé avec des chercheurs chinois et étrangers sur le développement historique et les valeurs actuelles de la culture du chan de Huangmei. © Ma Xingjian/Nouvelles d'Europe
Le deuxième pan de l’exposition était plus intrigant : « Aura du Bouddha sur la route de la soie » présentait une vingtaine de reconstitutions des curieuses peintures rupestres de la grotte de Kucha. L’ancienne cité de Kucha, située au pied des monts Tianshan, dans l’ouest de la Chine, était un carrefour majeur des civilisations d’Asie centrale au début du Moyen Âge. Elle représentait un point de passage important pour l’introduction du bouddhisme en Chine. Les fresques bouddhistes des grottes de Kucha, nées de cette histoire, sont le fruit d’un mélange artistique entre les cultures orientales et d’Asie centrale, témoignant de la richesse artistique le long de la route de la soie et symbolisant la fusion de multiples cultures dans l’ancienne Chine. Wang Zheng, l’artiste exposé, a expliqué comment ces fresques sont extrêmement fragiles et subissent l’usure du temps. Leur reconstitution est donc un moyen de préserver ces formes d’art religieux, issues d’une époque où le bouddhisme chinois, importé d’Inde via l’Asie centrale, se trouvait encore dans une forme archaïque. Elles conservent aujourd’hui une valeur artistique et culturelle immense, inspirant les artistes contemporains à puiser dans ces formes d’art anciennes.
Rencontre et échanges avec le haut clergé bouddhiste chinois
En marge de ces cérémonies officielles, des sessions d’échanges se sont tenues tout au long du séjour en France : échanges avec les communautés chinoises locales, les autres temples parisiens, mais aussi les spécialistes académiques de la religion bouddhiste.
Lors d’un séminaire avec des responsables d’associations du 13e arrondissement, le vice-chef de la délégation et vice-président de l’Association bouddhiste de Chine, maître Minghai, a exprimé, au nom de la délégation, ses remerciements à la communauté chinoise en France. Lui-même disciple du Vénérable maître Jinghui, il faisait déjà partie de la délégation chinoise lors de sa visite en France en 1994. Il a évoqué l’ampleur de cette visite, qui a posé des bases solides pour les échanges bouddhistes sino-français. Il a exprimé vouloir renforcer les échanges entre les deux peuples dans les domaines de la culture bouddhiste, de l’art et du mode de vie, et de construire de nouveaux ponts pour une meilleure compréhension et amitié entre la Chine et la France. Le séminaire a notamment été animé par des représentations de kungfu mais aussi d’opéra traditionnel chinois inspiré de la vie monastique.
Une démonstration de tai-chi, lors du spectacle « Charme du Chu et élégance chinoise », le 3 novembre. © Guo Jian
Autre figure importante du bouddhisme chinois présent en France, maître Zhengci a déclaré dans son discours que « le chan appartient à la fois à la Chine et au monde » : « Dans un contexte de grands bouleversements mondiaux, la compassion et la sagesse du chan peuvent apporter amour et soutien à l’humanité, réduisant les incompréhensions ». Il a exprimé son souhait que les bouddhistes du monde entier et tous les pacifistes puissent s’unir pour transmettre l’esprit de compassion et de sagesse du bouddhisme, diffuser les enseignements de paix de cette religion, et collaborer pour le développement commun de l’humanité, la promotion des échanges entre civilisations, et « la construction d’une communauté de destin pour l’humanité ».
Avec les communautés des temples franciliens
Le matin du 4 novembre 2024, la délégation chinoise a rencontré les membres des temples bouddhistes de Wat Vélouvanaram (centre cultuel et culturel bouddhiste Lao) et au temple Ch’an Fa Hua, une branche du monastère Fo Guang Shan de Taïwan à Bussy-Saint-Georges, où les moines chinois ont été accueillis avec enthousiasme par les moines locaux et les fidèles. Au programme : chant de sutrâs, échanges de cadeaux et de connaissances.
Représentation de l'opéra bouddhiste de Huangmei « La Transmission de la lampe ». © Ma Xingjian/Nouvelles d'Europe
Liu Chongjin, président de l’association des cent fleurs de France, qui a participé aux activités au Wat Vélouvanaram avec plusieurs membres de l’association, a déclaré : « C’est la première fois qu’une délégation chinoise visite notre temple. Participer à cet événement est pour moi un honneur et une grande joie. J’espère que de telles rencontres pourront se multiplier, permettant des échanges de proximité. »
« Recevoir autant de vénérables ici pour échanger sur le bouddhisme humaniste est fantastique, a ajouté Miao Xun, le moine superviseur du temple Fo Guang Shan. Ils peuvent observer l'impact de notre travail ici, tandis que nous découvrons leurs méthodes de propagation du Dharma en Chine. Cet échange est une précieuse opportunité d’apprentissage. Nous souhaitons surtout que les vénérables constatent notre engagement dans la diffusion du bouddhisme humaniste en France, qui est reconnu par les autorités locales et les autres confessions. »
Avec la recherche en France
À la fin de sa tournée, la délégation chinoise a organisé le 5 novembre un colloque intitulé « La culture chan de Huangmei : contexte historique et traditions locales » à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Le colloque réunissait des chercheurs chinois et français pour explorer le développement historique et la valeur contemporaine de la culture chan.
« Je suis très heureux de revoir ces amis de longue date et de les accueillir ici à Paris en tant qu’hôte, a déclaré Ji Zhe, chercheur à l’INALCO spécialiste du maître Jinghui. « Ce colloque est le fruit de la collaboration entre la communauté académique européenne, les chercheurs chinois et le bouddhisme chinois. Chacun aborde le sujet avec une perspective différente, et ces regards croisés suscitent des réflexions précieuses, ce qui est à mes yeux l’aspect le plus enrichissant de cette rencontre. »
Catherine Despeux, figure de la sinologie française, désormais professeure émérite à l’INALCO, conclut : « J’avais rencontré le maître Jinghui il y a trente ans, et aujourd’hui, je vois que le chan continue d’être dynamique, avec le Vénérable maître Minghai qui perpétue cette lignée. De nombreux Occidentaux ne comprennent pas les relations complexes entre le bouddhisme et les religions en Chine, ou les différences entre le Chan et les autres courants. Mais le chan a su garder toute sa vitalité. »
Qui est maître Jinghui ?
Il est une figure de grande importance dans le bouddhisme chan moderne pour plusieurs raisons, tant en Chine qu'à l’international. Il a été l’un des acteurs clés de la renaissance du bouddhisme chan en Chine après la Révolution culturelle. Son travail de revitalisation de monastères historiques comme celui de Bailin et de Sizu, a contribué à restaurer et perpétuer des sites spirituels majeurs du chan. Cela lui a valu une reconnaissance importante pour avoir préservé ce patrimoine, tant matériel qu'immatériel, et pour avoir rendu le chan accessible aux générations modernes. Une des grandes contributions du maître Jinghui est le concept de « chan de la vie quotidienne », où il promeut une approche du bouddhisme qui ne se limite pas aux monastères ou aux périodes de méditation formelle, mais qui imprègne chaque acte de la vie courante. Ce concept rend la pratique plus accessible et applicable à un public large. Jinghui a été un ardent défenseur de l'internationalisation du bouddhisme chan. En tant que vice-président de l’Association bouddhiste de Chine, il a soutenu de nombreux échanges culturels et spirituels avec des pays étrangers. En France, où la méditation et le bouddhisme attirent un nombre croissant d’adeptes, ses enseignements trouvent un écho favorable.
Le bouddhisme en France
Le bouddhisme en France a progressivement gagné en popularité, passant d’une pratique communautaire à une religion reconnue et diversifiée. Cette évolution s'est intensifiée depuis les années 1970, marquée d’abord par les communautés asiatiques, puis par l'adhésion croissante de Français d'origine non asiatique. En 2020, environ 1 % des Français, soit environ 400 000 personnes, se déclarait bouddhistes.
Les courants principaux comprennent le theravāda indien, le zen japonais et le vajrayāna tibétain. La France accueille aujourd’hui
de nombreux centres de méditation et des temples, qui diffusent le bouddhisme et offrent des retraites spirituelles. Grâce à la présence de figures emblématiques et aux travaux de l'Union bouddhiste de France (UBF) fondée en 1986, le bouddhisme influence la culture française, notamment dans la philosophie et les arts.
Le bouddhisme chan chinois, bien que moins implanté que le zen japonais, gagne également en visibilité grâce à des événements culturels et à la présence de maîtres chan, contribuant à la diversité du bouddhisme en France et à l'enrichissement des échanges culturels sino-français.
Photo du haut : le 4 novembre, la délégation bouddhiste chinoise a récité des sutras avec des moines lao au temple du Wat Velouvanaram à Bussy-Saint-Georges, priant pour la paix dans le monde. © Ma Xingjian/Nouvelles d'Europe
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