« La cuisine est notre langage de l’amour » - Céline Chung, cheffe et fondatrice des Petit Bao et Gros Bao

1632219265913 Le 9 / L'Humanité Lina Sankari

Tout à la fois art de l’évasion, du retour aux sources et du partage, la cuisine n’est jamais une expérience anodine. À Paris, les restaurants Petit et Gros Bao sont nés de la quête d’une petite-fille d’immigrés chinois, désireuse de partager la diversité d’une cuisine qu’elle aime tant avec une ville qu’elle chérit tout autant.

Redorer le blason de la cuisine chinoise, le défi était de taille. Entre les traiteurs abordables où la qualité n’est pas forcément au rendez-vous, les restaurants qui misent sur la méconnaissance de la Chine pour proposer plats vietnamiens et cambodgiens et les tables gastronomiques inabordables, la cheffe Céline Chung explore une cuisine authentique et populaire avec des produits sourcés. Rencontre avec la fondatrice des Petit Bao et Gros Bao

Céline Chung. DR.

Vous avez grandi dans une famille originaire de Wenzhou. Quelle place a occupé la cuisine dans votre enfance

Céline Chung : Toute la place! Ma mère cuisine tous les jours, matin, midi et soir. C’est ma grand-mère qui lui avait appris. J’ai grandi en France mais j’ai toujours mangé chinois. Dans la culture chinoise, la cuisine a une très grande importance.

Dans de nombreuses familles issues de l’immigration, la cuisine est aussi une manière d’exprimer ses sentiments. Qu’exprimez-vous en cuisinant

C. C. : Les familles chinoises sont très pudiques quant à leurs émotions et sentiments. Elles les expriment très peu. Pour moi, la cuisine, c’est de l’amour, une manière de prendre soin de l’autre, de s’assurer qu’il a mangé à sa faim et quelque chose de bon. Je l’ai compris très récemment en ouvrant les restaurants. Je le sentais en moi, je sentais que la cuisine était quelque chose de très important pour moi. J’avais envie de partager, de faire découvrir des plats, de faire plaisir aux gens sans réellement comprendre pourquoi c’était si important pour moi. J’ai compris qu’il s’agissait de mots d’amour, de notre langage de l’amour. 

Cette conception est-elle vraiment issue de votre héritage familial?

C. C. : Complètement. Dans notre famille, on ne se dit pas « je t’aime ». On demande à l’autre s’il a faim. On nous propose à manger toutes les heures. Et, par politesse, on mange même sans avoir faim parce qu’on sait que cela fait plaisir. Du coup, j’ai beaucoup mangé, tout le temps. 

Vous avez initialement suivi une formation en management, quel a été le déclic pour passer à la restauration

C. C. : J’avais besoin de réaliser un projet qui ait du sens pour moi, qui me tienne à cœur. J’ai cherché pendant un an quel pourrait être ce projet. Quand mon grand-père est arrivé en France, il a ouvert une maroquinerie dans le Marais, à Paris, et mon père l’a reprise. J’ai ainsi grandi dans la boutique de mes parents et j’ai toujours rêvé d’avoir un lieu auquel je tiens. La restauration, avec sa capacité à remonter le moral à des inconnus, m’a plu. Quand on a passé une mauvaise journée ou quand on a envie de se faire plaisir, bien manger donne le sourire.

Était-ce une façon de résoudre certaines questions inhérentes à votre double culture franco-chinoise

C. C. : J’avais besoin de trouver ma place. À la maison, je sentais que je n’étais pas complètement chinoise et, avec mes amis, je n’étais pas complètement française parce que j’avais des habitudes différentes. Les valeurs traditionnelles se conjuguaient avec celles de la République et de son école. C’est un peu dans cette quête d’identité que l’idée de la restauration m’est venue. C’était un bon moyen de faire le pont entre mes deux cultures en partageant la cuisine chinoise, que j’adore, avec les Parisiens, dans cette ville où j’ai grandi et que j’aime. Je voulais vraiment donner une autre vision de la cuisine chinoise, aujourd’hui un peu dégradée et empreinte de clichés. J’avais envie de montrer ce qu’était la cuisine authentique à partir de bons produits. 

Vous vous êtes formée à Shanghai. Qu’y avez-vous appris en termes de cuisine et d’expérience personnelle de la Chine

C. C. : J’y ai fait un échange de six mois pendant mes études. J’ai ressenti un réel besoin de visiter toutes les régions de la Chine, de me forger mon propre regard sur cette culture que je connaissais à travers les yeux de mes parents. Tous les étés, nous rendions visite à mes grands-parents à Wenzhou et j’ignorais tout du reste de la Chine. Or, il n’y a pas une mais des Chines, et je voulais me forger ma propre vision, vivre la culture chinoise par moi-même. Avec mon sac à dos, j’ai traversé plusieurs régions et j’ai découvert différentes traditions culinaires. C’est à ce moment-là que j’ai pris la mesure de la diversité de cette cuisine incroyable. De retour à Paris, je ne trouvais rien de ce que je mangeais là-bas. Mon projet est né pour retrouver ces saveurs. J’ai démissionné pour me faire une expérience dans la restauration avant de retourner, avec mon associé, à Shanghai pour prendre des cours de cuisine. Je voulais maîtriser ces recettes, faire des bao et des nouilles fraîches à la main. 

Quelles sont les similitudes entre les cuisines chinoise et française

C. C. : Dans chacune de ces cultures, la cuisine tient une place importante. En France, il y a une culture de bons vivants, on aime les bons produits, le repas est un moment important, de partage. C’est la même chose dans la culture chinoise. Les deux pays partagent également une diversité culinaire, cet amour des produits, de la complexité et des techniques. Il y a énormément de similitudes dans la manière de travailler les produits et les saveurs. 

Existe-t-il un plat que vos parents cuisinaient et que vous ne parvenez pas à reproduire

C. C. : J’ai tenté certaines choses que les clients n’ont pas trop aimées. J’avoue avoir du mal à utiliser certains aliments, comme les concombres de mer qui ont des vertus médicinales. Ma mère les cuisine parce qu’ils sont bons pour la santé mais pas forcément bons au palais. Je ne les cuisine jamais parce que je n’y prends aucun plaisir. 

C’est une cuisine d’une grande complexité en termes d’expérience sensorielle et gustative. À vous entendre, l’amour du produit est aussi important que la technique… 

C. C. : C’est un mélange des deux. Mes cuisiniers sont incroyables, ils sont en adoration devant les légumes ou le canard, ils en prennent soin, utilisent chaque partie. Ils subliment les produits à travers leur cuisine. Ce que j’adore dans la cuisine chinoise, c’est la complexité des saveurs et ce mélange d’acidulé, sucré, salé, pimenté. Il faut essayer de trouver un équilibre. Il y a aussi une complexité dans les textures et ce mélange de sauce, de croquant, de croustillant et de moelleux. Il y a enfin une complexité de cuisson entre le wok, la vapeur, le four, le mijotage pendant des heures. Ce que j’adore, c’est que tout est complexe mais à la fois très simple en bouche. C’est extrêmement addictif ! L’équilibre entre les saveurs, les textures et les cuissons rend cette cuisine très accessible et populaire.

Lina Sankari est journaliste. Entretien réalisé en partenariat avec L'Humanité Dimanche. 

Article publié dans L’Humanité Dimanche n°770 en partenariat avec Nouvelles d’Europe / Le 9.

Photo : Bao family. DR.

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.