
Dong Chun : nos rencontres amicales avec Belmondo père et fils
Belmondo, père et fils, l’un célèbre sculpteur l’autre comédien de grand renom ont une place appréciable sur la liste des personnalités ayant contribué à la construction du pont d’amitié entre la Chine et la France.
À l’occasion du 60e anniversaire des relations diplomatiques sino-françaises, je suis heureuse d’évoquer ma rencontre avec Jean-Paul Belmondo et celles de mon époux, l’écrivain chinois Shen Dali, avec Paul Belmondo, son père. Nos rencontres amicales avec Belmondo père et fils sont liée au portrait en bas-relief de Zhou Enlai réalisé par Paul Belmondo.
En remontant à la fin des années 50 du siècle dernier, l’Université des études de langues étrangères de Pékin possédait un précieux document sonore au département de français. On le doit à Gérard Philipe, célèbre acteur du cinéma français. En 1957, il a fait un voyage en Chine. Durant son séjour, il a effectué une visite au département de français de notre université et a eu l’amabilité d’y enregistrer la fable de La Fontaine Le Cordeau et le renard. C’était une chance inouïe pour les étudiants chinois d’entendre la langue de Voltaire par sa voix.
Dès l’année 1958, en effet, les propos du général de Gaulle laissent entendre clairement que la France entend mener une politique indépendante. Six ans après, le 27 janvier 1964, la France rétablit les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine.
À l’été de la même année, je suis devenue enseignante au département de français. Un jour, je découvre dans notre groupe d’enseignement une Française qui s’appelle Dominique Curral avec qui j’ai été collègue pendant 2 ans. J’apprendrai plus tard qu’elle était la nièce du général De Gaulle.
De sa bouche, nous apprenons ceci : « Mon père participait à la Résistance sous l’Occupation nazie et ma grand-mère maternelle aidait Geneviève de Gaulle, sa cousine, à cacher des documents secrets des résistants, geste fort apprécié par le Général. À la mort de ma grand-mère maternelle, le Général est venu chez nous présenter ses condoléances. C’est ainsi que nous avons gardé des relations très intimes avec le Général. À l’été 1954, ma mère m’a emmenée, avec ma sœur cadette, passer deux jours chez mon oncle Charles. J’avais alors 15 ans et mon oncle Charles n’était pas encore au pouvoir. En ma présence, il a dit un jour à un ami que le gouvernement français devrait accorder une attention toute particulière à la Chine. Cela m’a inspiré l’envie d’apprendre le chinois. Je me suis inscrite par la suite au Département de chinois à l’Institut des langues et civilisations orientales à Paris. »
Et Mlle Curral poursuit : « En 1958, le Général est élu président de la République. Sous son impulsion, la France et la Chine établissent des relations diplomatiques en 1964. Monsieur Li Zhihua, le traducteur du classique littéraire chinois Le Rêve dans le pavillon rouge m’a alors appris que la Chine voulait engager des professeurs français pour l’enseignement de notre langue. J’ai donc déposé ma candidature et, avec quelques autres condisciples des Langues’O, nous sommes allés à Pékin en août de la même année. »
Vers la fin des années 70, la politique de réforme et d’ouverture qui démarrait en Chine attira de plus en plus d’étrangers à choisir la Chine pour y travailler. C’était une grande période d’échanges entre nos deux pays. Du côté chinois, les gens de lettres se voyaient offrir l’occasion d’aller voir ailleurs, notamment en France. C’est ainsi que Shen Dali a passé trois ans à Paris, à la fin des années 70. Tout en travaillant au siège de l’UNESCO, il a terminé son roman Les Enfants de Yenan édité chez Stock. Le livre a eu un grand retentissement après son passage à la radio et à la télévision françaises. Plusieurs personnalités du monde culturel ont souhaité le rencontrer, dont l’écrivain et sinologue René Étiemble et Han Suyin.
Han Suyin est une écrivaine anglaise d’origine chinoise de renom international. Ses nombreux romans sont publiés en France, aux éditions Stock. Elle est aussi l’auteur d’une biographie de Zhou Enlai.
Elle est une personnalité-clé dans l’affaire du portrait en bas-relief de Zhou Enlai à Paris. En 1978, de passage à Paris, elle a pris l’initiative de proposer à la ville de Paris d'ériger une plaque commémorative en l'honneur du défunt Premier ministre chinois Zhou Enlai, en souvenir de son séjour entre 1922 et 1924 en France. Cette requête ayant été accueillie favorablement, la municipalité s’est mise à rechercher un artiste. Sous le haut patronage de la Ville de Paris, Paul Belmondo a été choisi comme candidat.
Très tôt, Paul Belmondo s'investit dans la vie de l'École des Beaux-Arts de Paris et est nommé Grand Massier des Sculpteurs. Il reçoit beaucoup de commandes de l’État notamment pour le palais de Chaillot. Parmi les réalisations de son atelier, on note la copie en 1963 de La Danse, de Jean-Baptiste Carpeaux située sur le côté droit de la façade de l'opéra Garnier. Avec Charles Despiau, il est considéré comme héritier de l’école Rodin, ses œuvres apparaissent comme un prolongement de la tradition classique latine : à la recherche de l'harmonie par des lignes simples et des formes lisses. On ne pouvait pas espérer mieux pour la plaque commémorative de Zhou Enlai.
À cette époque, Shen Dali fréquente Paul Belmondo, par l’intermédiaire d’Emmanuel Roblès de l’Académie Goncourt. Tous deux lui rendaient souvent visite dans son atelier situé 77 avenue Denfert-Rochereau à Paris. Quand Paul Belmondo fut chargé de sculpter le portrait en bas-relief de Zhou Enlai, ils ont pu voir comment le sculpteur travaillait. L’ambassade de Chine en France a fourni à Paul Belmondo une photo de face de Zhou Enlai, ce qui ne facilitait pas son travail. On préférerait toujours une image de profil. Un jour, Paul Belmondo leur dit : « Je veux concentrer davantage de lumières sur le visage de Zhou Enlai pour refléter son monde intérieur et mettre en relief sa vitalité... son esprit. » Les deux visiteurs ont pu ainsi voir, dans son atelier, des dizaines de croquis et médaillons préparatoires, faits d’après cette photographie.
Portrait de Zhou Enlai, bas-relief sculpté par Paul Belmondo - Nouvelles d'Europe
Paul Belmondo avait l’habitude de se lever tôt et de prendre son petit déjeuner dans un petit café situé en face de son atelier et de se mettre tout de suite au travail. Pour répondre à cette commande, pendant deux semaines, il ne rentre chez lui qu’à la tombée de la nuit.
Le portrait en bas-relief de Zhou Enlai achevé, modelé par Capri et moulé par Dino, la plaque commémorative fut déposée le 16 octobre 1979 sur un mur de l’Hôtel Godefroy. La cérémonie inaugurale eut lieu à 4 heures de l’après-midi, en présence du président français Giscard d’Estaing, du premier ministre chinois Hua Guofeng et du maire de Paris, Jacques Chirac. Plus d’un millier de spectateurs étaient massés sur la place d’Italie. À cette occasion, tout le monde souhaitait voir le sculpteur, mais Paul Belmondo n’était pas là. En fait, il s’y était rendu le matin, et repartit sans se faire remarquer avant l’arrivée de la grande foule.
Témoin de l’enthousiasme général suscité par l’œuvre de Paul Belmondo, Shen Dali livra plus tard ses impressions à l’artiste. Celui-ci lui répondit : « J’en suis alors très heureux ! J’ai fait ce travail dans la hâte, car je disposais d’un temps très court. Dans d’autres conditions, j’aurais sculpté une statue grandeur nature, pour mieux exprimer sa personnalité captivante. Je reste très admiratif de votre ancien premier ministre. C’est avec un vif plaisir que j’ai accepté cette commande et j’en suis très fier. À travers lui, j’exprime mon amitié pour le peuple chinois. »
Shen Dali a continué à aller le voir, à Denfert-Rochereau et à son autre atelier, situé au Palais de l’Institut de France. Il était tout le temps au travail, « Sinon, je m’ennuierais » disait-il. Tout en maniant son burin, il racontait des anecdotes à ses deux amis : « Un jour, à l’entrée d’un musée, je cherchais attentivement dans la foule des visiteurs un sujet à dessiner, quand le contrôleur m’a demandé mon billet. J’ai alors sorti de ma poche, à son grand étonnement, un ticket de métro ! Une autre fois, dans le métro, j’étais assis juste devant une jeune fille. J’en profitais pour croquer son joli minois. Au bout de quelques instants, elle s’en est aperçue et s’est fâchée en me lançant : ‘Espèce de voyou, vous avez sans doute trop de crayons !’ »
Artiste de tempérament latin, Paul Belmondo était attiré par l’art oriental. Et il en a fait état à Shen Dali. Le maître aspirait notamment à voir les statues bouddhistes de grottes de Yungang à Datong, dans la province du Shanxi, dont les images à la télévision l’avaient enthousiasmé. C’est d’ailleurs l’un des sites que le président français Georges Pompidou a visité, au cours de son voyage en Chine en septembre 1973. À cet effet, l’écrivain chinois a fait en 1981 une démarche auprès de Zhou Yang, alors président de la Fédération des artistes de Chine. Une invitation a été rapidement lancée à Paul Belmondo. Tout était prêt pour l’accueillir en Chine. Par malheur, le 1er janvier 1982, il quitte le monde, à l’âge de 84 ans. La France perdait un artiste éminent, et la Chine un grand ami.
Le 14 janvier 1982, Emmanuel Roblès écrivit dans sa lettre adressée à Shen Dali : « Je viens de rentrer des États-Unis et du Canada après une tournée de conférences. C’est en Floride que j’ai appris la mort de notre cher ami Belmondo. Tout de suite, j’ai appelé son fils Jean-Paul pour lui exprimer ma peine. J’aimerais bien vous revoir... »
Jean-Paul Belmondo interviewé par Shanghai TV au Théâtre des Variétés à Paris - Nouvelles d'Europe
Pour lui rendre hommage, Shen Dali a écrit plusieurs articles dont « À la mémoire de Paul Belmondo » et « L’Œuvre d’un grand artiste ». Au dire de M. Roblès, Jean-Paul, son fils cadet, s’est rendu spécialement à l’Ambassade de Chine en France pour chercher ces articles publiés dans la presse chinoise au sujet de son père.
Jean-Paul a dit que son père était « un boulimique du travail ». Quand le fils demandait « Pourquoi retournez-vous tout le temps au Louvre ? » Le père répondait : « Pour apprendre, mon fils. »
En 1967, père et fils ont été invités à l'Élysée. Jean-Paul se tenait à côté de son père. Le général De Gaulle a dit au jeune homme : « J’aime déjà ce que fait votre père. Pour vous, mon garçon, tout commence. » Sa mère Madeleine l’avait encouragé : « Tu dois être comme ton père, avoir du courage. »
Ce sentiment d’amour profond et de modestie sincère, je l’ai senti au cours d’une interview que le comédien nous accordait. C’était à l’automne 1995, une équipe de tournage de la télévision de Shanghai est arrivée à Paris pour réaliser le documentaire « Sur les pas des géants ». Ce téléfilm avait pour but de tracer le parcours en Europe de jeunes révolutionnaires chinois devenus plus tard les principaux fondateurs de la République populaire de Chine. L’équipe de tournage se rendait dans plusieurs pays d’Europe en vue de collecter des faits historiques passés alors en terre locale liés à ces personnalités. Le petit hôtel parisien situé rue Godefroy où était posé le portrait de Zhou Enlai était inclus dans la liste des lieux de tournage. Mais personne ne savait qui était le créateur de l’œuvre.
Lorsque le réalisateur shanghaien m’a entendu décrire l’amitié entre mon époux et Paul Belmondo, il exprima son vif souhait de rencontrer le fils du sculpteur. Je décidai de tenter ma chance pour obtenir une entrevue avec la star du cinéma français. Je me suis rendue au Théâtre des Variétés, car je savais qu’il s’y produisait régulièrement. Il en était d’ailleurs le propriétaire à cette époque-là.
À l’idée de rencontrer Jean-Paul Belmondo, l’équipe shanghaienne était toute excitée. Il faut dire que j’ai également été surprise par l’intérêt et l’enthousiasme du personnel présent à la réception du théâtre, lorsqu’il suivait mon petit discours sur Belmondo père et le portrait de feu le premier ministre chinois du 13e arrondissement parisien. Mes démarches se sont avérées fructueuses. Un mois plus tard, un rendez-vous d’une demi-heure a été accordé aux Chinois, au 7 Boulevard Montmartre, dans le 2e arrondissement de Paris.
Le jour venu, l’équipe de tournage fut installée dans la salle verte aux murs tapissés de velours rouge bordeaux du théâtre où devait avoir lieu l’interview.
Notre attente était joyeuse et pleine d’imagination, quand soudain une voix chaleureuse retentit de l’entrée : « Mes excuses pour ce retard ! » Un chiot sur l’épaule, un éclatant sourire aux lèvres, la grande star s'est présentée devant nous. Je servais d’interprète pour la présentation et on se mit tout de suite au travail.
Du dire de tous ceux qui ont été ses collaborateurs et partenaires de cinéma, Jean-Paul était la gentillesse même. Son énergie était proverbiale. Aussi grand était le sérieux qu’il mettait à son travail. Tout le monde sait que dans les films d’action où il a joué, il a participé à toutes les cascades passionnantes sans vouloir utiliser de doublures. Avant l’entrevue de ce jour-là, c’était pour nous du ouï-dire. Mais aujourd’hui, Jean-Paul Belmondo est présent, devant nous, assis à côté du réalisateur chinois. Il se tient comme un simple débutant, m’écoutant lui traduire en français des instructions sur le déroulement de notre tournage. La scène est sereine et très émouvante.
« Oui, mon père est bien l’auteur du portrait de feu votre premier ministre ! » a-t-il déclaré, « Et il en a mis du cœur, je vous assure. Il était parfois songeur. Ma mère lui demandait : ‘À quoi penses-tu, Paul ? – À Zhou Enlai, disait-il’ »
À la question que lui pose le réalisateur chinois « Comment a réagi votre père quand il fut chargé de cette mission peu commune ? », Jean-Paul répond que son père disait : « Je suis né la même année que Zhou Enlai, et je suis fier d’exécuter son portrait. Bien que le temps soit trop court ». Jean-Paul a aussi témoigné que « Durant ces deux semaines, l’univers chinois était fort présent dans notre famille. On est devenu presque tous fans de la Chine. »
Agréablement surpris d’apprendre qu’il est aujourd’hui plus connu que son père dans l’Empire du milieu, grâce notamment au film L’As des as, Jean-Paul Belmondo a prié l’équipe de tournage chinoise de saluer le public chinois. À part L’As des as, on sait qu’il a tourné en 1965 un autre film, un sujet ayant directement trait à la Chine : Les Tribulations d’un Chinois en Chine, produit par Philippe de Broca. À cette occasion, Jean-Paul a mis le pied en Chine, le tournage a eu lieu à Hong Kong.
Jean-Paul est un acteur très populaire, aimé de tous, y compris les enfants. On raconte qu’un soir, au cinéma Bretagne situé à Montparnasse à Paris, on projetait le film L’Homme de Rio où Jean-Paul Belmondo jouait le jeune soldat Adrien qui s’efforce de sauver sa fiancée. Un malfrat armé d’un pistolet apparaît sur l’écran et s’apprête à tirer dans le dos sur le jeune Adrien. Juste à ce moment, on entend soudain dans la salle une voix d'enfant qui s'écrie en donnant l’alarme : « Attention, Jean-Paul ! » L’enfant oubliait que son idole jouait dans un film.
Lui-même a dit un jour : « J’aime le public qui pleure et rit. »
Le critique de cinéma Gilles Denis a dit ceci : « Jean-Paul Belmondo fut le héraut de l’élégance décontractée, signe extérieur d’un homme français, sûr de lui sans être dominateur. Il ne cesse de l’incarner. Mieux qu’un manifeste. »
Les bons moments sont toujours trop courts. Une demi-heure s’est vite envolée. Tout le monde se rassemble autour de son idole et lui demande à tour de rôle de signer son autographe. À la fin, une photo de groupe nous a permis d’éterniser cet instant inoubliable.
En faisant ses adieux à tous les membres de l’équipe chinoise, Jean-Paul Belmondo a exprimé sa gratitude envers le peuple chinois de ne pas avoir oublié l'œuvre d'art réalisée par son père il y avait 17 ans, et il a insisté en disant : « Mon plus grand souhait, c’est de faire connaître l’œuvre de mon père en Chine. C’est lui, le grand artiste, pas moi ! »
Nos rencontres amicales avec Belmondo père et fils ont été de courte durée, mais l’amitié et la sincérité dont tous deux témoignaient envers le peuple chinois nous ont laissé une forte impression. Nous sommes persuadés qu’elles ont fait date dans l’histoire des échanges entre nos deux pays.
Aujourd’hui, à Paris, le pont de Bir-Hakeim, situé sous le viaduc du métro aérien, a été rebaptisé en avril 2023 « Promenade Jean-Paul Belmondo », en hommage à l’acteur décédé en 2021. Il y avait tourné le film Peur sur la ville d’Henri Verneuil, avec une scène mythique où il poursuivait un tueur sur le toit du métro. Le pont et ses vieux piliers métalliques surplombant la Seine servent aujourd’hui de décor de photo-souvenir aux amoureux venus du monde entier.
Quant à Paul Belmondo, après sa mort, ses enfants, Jean-Paul, Alain son frère aîné et et Muriel leur sœur cadette, ont fait donation en mars 2007 de l'ensemble des œuvres de leur père qu'ils possédaient à la ville de Boulogne-Billancourt où a été aménagé en 2010 dans le château de Buchillot le Musée Paul-Belmondo.
Musée Paul-Belmondo - Ville de Boulogne-Billancourt
Photo du haut : Jean-Paul Belmondo entouré de ses parents - DR.
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