« Nous avons bâti une relation passionnelle avec la soie "liangchou" » – Liang Zi, créatrice et fondatrice de la marque chinoise TANGY Collection

1634741081979 Chine-info HU Wenyan

Installée à Paris depuis 2019, la marque de luxe écologique TANGY Collection, qui met en lumière la richesse et la délicatesse du savoir-faire chinois, séduit par son style épuré et sophistiqué.

Élégante et discrète. La boutique parisienne de TANGY Collection, nichée dans une charmante ruelle sur la rive gauche, est à l’image de la clientèle de la marque. « Nos clients, très discrets, se passionnent pour la culture et l’art. À la recherche de la perle rare, ils ne se laissent jamais emporter par les aires du temps ou les signes extérieurs de leur statut social. » Sourires au coin des lèvres, la créatrice Liang Zi, qui nous a accueilli dans son magasin, à deux pas du Musée d’Orsay, ne tarit pas d'éloges sur les adeptes fidèles et précieux de la marque.

Tianyi, le nom chinois de TANGY qui signifie « la volonté du ciel », résume bien l'esprit et l'identité de la marque. C'était un pur hasard que Liang Zi et son mari aient découvert, il y a vingt ans, la soie liangchou. Teinte avec du jus d'igname (tinctoriale) puis traitée dans la vase des rivières et séchée au soleil, cette soie, digne d’un produit d'appellation d’origine contrôlée, ne peut être fabriquée qu’à Shunde, dans le Guangdong, grâce aux spécificités locales qui lui confèrent son caractère unique. Ce fut une révélation et un coup de foudre qui a bouleversé la vie de Liang Zi.

Liang Zi, créatrice et fondatrice de Tangy Collection @ compte officiel Weibo de Tangy Collection

En 1995, elle lançait, à moins de 30 ans, la marque TANGY à Shenzhen, mégapole frontalière de Hongkong, à laquelle elle a associé sa ligne écologique haut de gamme TANGY Collection en 2008. En explorant la soie traditionnelle chinoise, le liangchou, elle a imaginé un vestiaire alliant élégance et confort, tradition et modernité. Rencontre avec une créatrice remarquable.

Comment avez-vous vécu ces derniers mois, entre pandémie et confinements à répétition ?

La crise sanitaire a rabattu les cartes du débat aussi bien sur l'écologie que sur la santé individuelle et publique. Nombreux sont des designers qui se sont mis récemment à réfléchir sur le rapport entre les êtres humains et la nature. Contrairement à eux, nous avions toujours porté une grande attention à l'environnement, et ce depuis la fondation de notre société en 1995. La soie liangchou, notre marque de fabrique, est de fait une matière écologique car sa fabrication est étroitement liée aux éléments de la nature (la terre, l'eau, l'ensoleillement). Durant les derniers confinements, plusieurs établissements, chinois et français, spécialisés dans l’éthique du luxe nous ont invités à partager, en ligne, nos expériences dans le luxe durable. C'était inattendu, mais compréhensible. La crise sanitaire a plutôt conforté notre conviction initiale de développer le luxe éco-responsable.  

Série Encre claire

Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle impacté votre méthode de travail avec l'équipe basée à Shenzhen ?

Avant la crise sanitaire, je me rendais en Chine plusieurs fois par an pour valider les prototypes de nos nouvelles collections. Avec la pandémie, nous avons dû nous habituer au télétravail, mais sans toucher ni sentir les vêtements, je dois être encore plus méticuleuse dans le processus de vérification. Par contre, comme j’avais déjà l’habitude de travailler à distance avec mes collaborateurs, la période n’a pas joué contre moi en termes de créativité ni d’inspiration.

Séance photo dans le TANGY Silk Garden à Shunde @ compte officiel Weibo Tangy Collection

D’une manière générale, quelles sont vos sources d'inspiration ?

Si j’ai fondé ma propre marque, c’est tout d’abord pour créer des vêtements qui me plaisent ainsi qu’aux membres de ma propre famille. L’inspiration vient au fil de la vie. Elle est née parfois d’un questionnement. Par exemple, pourquoi ne pas faire un trench différent du modèle classique de Burberry ? Il m’est arrivé de se poser cette question. C’est ainsi que notre dernier modèle de trench en liangchou, d’un style particulier, est né : sans le col V mais avec des ourlets à bord brut. Entre trench classique et veste en cuire, ce vêtement donne un style à la fois décontracté et élégant.

Quelles sont les collections les plus représentatives de vos créations ?

Je suis particulièrement fière des collections Encre claire, Fleur de mucuna birdwoodiana Tutcher et La lune chante. La série Encre claire fait référence à la peinture au lavis, un genre typiquement chinois, en noir et blanc. La soie liangchou et la peinture traditionnelle partagent beaucoup de points communs dont la monochromie sur la forme, la discrétion et la paix intérieure sur le symbolique. La série Fleur de mucuna birdwoodiana Tutcher est née d’un voyage dans les montagnes que j’ai fait avec mon équipe chinoise de Shenzhen, durant lequel nous avons observé la floraison des mucunas birdwoodiana Tutcher. On a d’ailleurs présenté la collection en 2015 lors de la première édition de la Fashion Week de Shenzhen. Quelle que soit la collection, la soie liangchou se trouve toujours au cœur de mes créations. Comme dans la série La lune chante, présentée en 2007, la soie liangchou épouse les accessoires en argent, ce qui évoque chez moi l’image de la lune qui brille dans la nuit noire.

Série Fleur de mucuna birdwoodiana Tutcher, présentée en 2015 lors de la première édition de la Fashion Week de Shenzhen

Vous avez découvert la soie liangchou en 1995 et ce fut une révélation…

Avant 1995, je n’avais jamais entendu parler du liangchou, malgré ma formation durant quatre ans à l’Institut textile du Nord-ouest de la Chine, un des trois établissements sous l’autorité du Ministère chinois du Textile à l’époque, ainsi que plusieurs années de travail dans le secteur textile. Ce fut un bouleversement et une belle surprise lorsque j’ai découvert, dans les stocks d’un ami fournisseur, ce tissu original, naturel et traditionnel. Un coup de foudre, je dirais. La matière est lisse au toucher, sans être pour autant aussi douce que la soie traditionnelle. Les plis évoquent la carapace de tortue, telle une soie en armure. Intrigués, nous avons cherché l’origine de fabrication du liangchou partout en Chine, avant de trouver les derniers artisans de ce tissu dans la ville Shunde au Guangdong, qui avaient hérité du savoir-faire de génération en génération. Plus on apprenait le processus de fabrication du liangchou plus il nous séduisait. Nous avons bâti une relation passionnelle avec la soie liangchou. Pour nous, c’est un compagnon de vie dont on ne se sépare plus.

La fabrication de la soie liangchou remonte au moins au 15e siècle. Elle a failli disparaître dans les années 1990 du paysage textile en Chine. Comment expliquer ces tribulations ?

Derrière l'indifférence envers ce savoir-faire traditionnel se dressait le portrait d'une Chine en pleine révolution sur le plan politique et industriel. Suite à la fondation de la Chine populaire, on vivait un tel bouleversement idéologique et social que ces matières, autrefois utilisées par les classes bourgeoises, ont peu à peu disparu de la vie quotidienne des Chinois. De plus, dans les années 1980, le marché chinois, en pleine réforme économique et d'ouverture, a été inondé par les tissus synthétiques, portant un coup dur à la production des fibres textiles naturelles. Bien sûr que des gens connaissaient le liangchou avant nous, mais ils le jugeaient démodé. Ils avaient raison dans une certaine mesure, notamment sur le plan commercial. C'est un produit artisanal, complexe à fabriquer et monochrome. Mais pour nous, c’est une matière fantastique.

Série La lune chante

Pionnière dans la fabrication des vêtements en liangchou, quels défis avez-vous dû relever lors du lancement de votre marque ?

Le premier défi était esthétique. Comment mettre en valeur ce tissu en noir et en couleur café ? Il fallait travailler davantage sur le style pour tirer le meilleur de ce « défaut ». Si les consommateurs apprécient nos produits, c’est qu’ils se reconnaissent dans le liangchou, qui distille sérénité et élégance en toute discrétion. Il fallait également faire de la pédagogie auprès de la nouvelle clientèle qui ignorait ce qu’était le liangchou. Je me rappelle qu’on a dû imprimer des brochures pour expliquer notre soie et ses bienfaits pour la peau et la santé. Grâce au bouche-à-oreille, nos affaires ont très vite décollé. Le succès était tel que nous étions victimes de contrefaçons. Nous avons dû défendre et valoriser le savoir-faire de notre filière en fondant en 2008 à Shunde le TANGY Silk Garden, un parc certifié par les autorités pour la protection de la soie liangchou. Grâce à nos efforts, le liangchou fait partie de la liste du patrimoine culturel immatériel national chinois. Si le savoir-faire est un héritage et fait partie du patrimoine, dans le contexte actuel, l’innovation technique s’impose également. De ce fait, convaincre les artisans, plutôt réticents aux changements, était aussi un défi pour moi. Comment leur donner envie d’expérimenter de nouvelles choses sans trahir leur tradition ?

Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir en 2019 votre boutique à Paris ?

C’était une ambition de longue date. En 1999, je suis venue à Paris pour la première fois. À cette époque, mes créations ont séduit pas mal de monde et au fil des ans, de nombreux professionnels français du secteur de la mode, notamment des professeurs et des étudiants de l'Institut Français de la Mode, sont venus régulièrement visiter notre société à Shenzhen. Sous l’impulsion de leurs encouragements, j’ai décidé d’ouvrir notre boutique à Paris. En tant que capitale de la culture et de la mode, Paris était incontournable et le lieu idéal pour présenter une marque chinoise comme la nôtre, ainsi que l’art de vivre à la chinoise qui en découle.

Ouverture de la boutique à Paris en 2019 @ compte officiel Weibo de Tangy Collection

Vous faites partie de la première génération de créateurs de mode formée en Chine et témoignez de l'évolution de l'industrie...

La mode est une manière de tirer le meilleur de nous-même, ainsi que de notre pays. Elle est parfois l’incarnation même du pays. Dans les années 1990, les Occidentaux prenaient souvent les créateurs de mode chinois, sans doute mieux habillés que les Chinois lambdas, pour des Japonais. C’est peu dire sur la prospérité de l’industrie de la mode au Japon et le sous-développement de la Chine dans ce secteur. La situation a changé d’aujourd’hui. Pour moi, au lieu de suivre les tendances, je crée des articles humanistes et intemporels en suivant mes désirs profonds.

En Chine, on remarque un engouement pour le « hanfu », le costume traditionnel. Qu’en pensez-vous en tant que créatrice très attachée aux valeurs traditionnelles chinoises ?

J'ai entendu parler de cette tendance sans y prêter beaucoup d’attention mais c’est un phénomène de mode qui est en passe de devenir une industrie. C’est très bien qu’il y ait des gens réellement passionnés par le hanfu. Mais à mon humble avis, contrairement à nos créations, le hanfu n’est pas fait pour la vie quotidienne. C’est plutôt une tenue d’apparat que l’on porte pour des occasions très spéciales.

« Vénérer la nature • Se respecter soi-même ». C'est le slogan de votre marque. D'où vient cet attachement profond à la nature chez vous ?

Je ne parviens pas à l'expliquer précisément. J’aime la nature. J’ai toujours une prédilection pour les matières naturelles. Quand j’étais enfant, j’étais en contact avec les tissus en coton. C’est peut-être ça la raison. Même si j'ai moi-aussi porté des vêtements synthétiques comme tout le monde, je ne me suis jamais sentie à l’aise dans ces fibres chimiques.


Tangy Collection

Boutique Paris

41 Rue de Verneuil

75007 Paris

contact@tangysilk.com

www.tangysilk.com


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