Baidu à la loupe : le SEO est-il vraiment efficace ? - Décryptage avec Véronique Duong

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Le marché chinois, très attractif, n’est pourtant pas aisément pénétrable par les marques étrangères. Un des premiers défis consiste à asseoir sa notoriété auprès des nombreux internautes Chinois dont moins de 2 % utilisent Google. Or, peu d’entreprises étrangères maîtrisent les rouages de Baidu, le plus important des moteurs de recherche en Chine. Décryptage avec Véronique Duong, experte du plus grand moteur de recherche en Chine.

Les controverses quant au plus grand moteur de recherche chinois – Baidu – ne sont plus à citer. En janvier dernier, le géant chinois du Web était accusé de mener une course effrénée aux profits sans se soucier de promouvoir l’accès à une information de qualité (voir Le 9 n°16). Pourtant, avec près de 60 % des internautes utilisant ce moteur de recherche, Baidu apparaît comme une des meilleures vitrines pour gagner en visibilité sur le marché chinois... Véronique Duong, directrice de l’agence RANKWELL, experte SEO depuis 2010, est spécialisée dans le référencement naturel sur Baidu. Auteure de plusieurs ouvrages sur ce thème, la jeune femme dresse un portrait de cette discipline – encore peu maîtrisée par les entreprises françaises –, et des enjeux liés.

SEO : référencement naturel. L’ensemble des techniques pour améliorer la visibilité d’une page web dans les résultats de recherche.

SEA : référencement payant. Amélioration de la visibilité d’une page web via des liens subventionnés.

Le 9 : Qu’est-ce qui, selon-vous, différencie le SEO chinois du SEO en occident, sur Google ou Bing par exemple ?

Véronique Duong : Le moteur de recherche Baidu accorde beaucoup d’importance à l’aspect communautaire et social : le nombre d'abonnés sur Weibo (Ndlr : site chinois de microblogage, l’équivalent de Twitter), le nombre de mentions dans les forums chinois, les avis Baidu, etc. ont un impact non négligeable sur le SEO Baidu (ainsi que sur Qihoo 360, Shenma, etc. d’autres moteurs de recherche chinois). Au contraire, Google et Bing se focalisent d’abord sur la qualité des contenus et des liens externes. De plus, en Chine la compatibilité mobile est primordiale afin que les mobilautes puissent naviguer et acheter facilement sur un site depuis leur téléphone (Ndlr : selon le CNNIC, en 2016, 95,1 % des internautes chinois accédaient à Internet via leur téléphone et 60,1 % utilisaient un ordinateur de bureau) . Baidu privilégie également les sites en « .cn », hébergés en Chine continentale. Afin d'obtenir un nom de domaine en « .cn », une société doit justifier d’une implantation physique sur le territoire chinois. Une autre option pour les entreprises étrangères, consiste à choisir un hébergement à Hong Kong ou Macau. Un site en « .com » peut être bien référencé à condition de bien travailler les contenus en chinois simplifié, les ancres de textes, les liens externes, etc.

Le 9 : Pourquoi le référencement Baidu est-il important pour une entreprise souhaitant être visible en Chine ?

V. D : Aujourd’hui, le Web et les outils digitaux sont devenus le meilleur moyen pour obtenir une notoriété et visibilité à l’étranger sans être déjà physiquement implanté là-bas. Le SEO sur Baidu est indispensable (Ndlr : En 2017, Baidu détenait 59,32 % du marché des moteurs de recherche en Chine, contre seulement 1,6 % pour Google) ! Pour optimiser la visibilité d’un site, Baidu offre également la possibilité d'acheter des sortes d'icones, dénommés Vcards, qui indiquent la fiabilité du site. Pour 3 000 RMB par an (environ 400 euros), les sites peuvent également faire l’acquisition d’un macaron bleu, visible sur les pages de résultats, et indiquant qu’il s’agit d’un site officiel. Des procédures existent pour empêcher les sites de contrefaçon d’obtenir ces labels.

Le 9 : En janvier, un journaliste chinois du média Newslab a publié un article « Le moteur de recherche Baidu est-il déjà mort ? » dans lequel il critique la quête de profit de Baidu, via la promotion de ses propres sites ou de liens sponsorisés (voir Le 9 n°16). Dans ce contexte, le SEO est-il suffisant pour être bien référencé ?

V. D : Cela fait plusieurs années que Baidu pousse ses propres sites, comme Baike (encyclopédie en ligne), Zhidao (plateforme où les internautes partagent leurs expériences, similaire à Yahoo Questions/Réponses), etc., en tête des résultats. Selon moi, ces sites d’informations génériques sont destinés à des requêtes génériques. Cela n’empêche pas les marques et sites officiels de remonter lors de requêtes ciblées et correspondant à leurs activités. Le travail des experts en SEO est de trouver les domaines sémantiques et les termes pertinents qui « dessinent » au mieux la communication et la visibilité d’une marque sur la toile chinoise. Une grande maison de luxe préfère être bien référencée pour des requêtes portant sur sa marque plutôt que sur un mot clef générique tel que « chaussure » ou « sac ». Un portail plus générique, espérant remonter lors de requêtes sur des thèmes du quotidien, rencontre plus de difficultés car Baidu Baike ou Baidu Zhidao sont très bien classés parmi les résultats de recherche. Cependant en travaillant bien le SEO, celui-ci peut remonter sur des requêtes génériques et pertinentes.

Le 9 : Toujours selon le même article, Baidu, en privilégiant la monétisation du trafic, se soucie peu de la qualité des articles référencés. Notamment la plateforme de blogging Bai jia hao hébergerait beaucoup de contenus de mauvaise qualité, des fake news et même des articles plagiés. Est-il courant que des articles de qualité médiocre soient bien référencés ?

V. D : Effectivement, il fut un temps où un article mal écrit, plagié, dupliqué pouvait être bien référencé dans Baidu (grâce à un netlinking plus ou moins agressif par exemple, c'est-à-dire l’augmentation du nombre de liens hypertextes pointant vers ce site, ce qui permet de favoriser son référencement naturel). Mais Baidu a finalement mis en place en 2015 un système de balisage pour protéger les contenus d'un site, le Baidu Original Protection Spark Project. Cette démarche permet aux entreprises de protéger leurs contenus et ainsi de donner de l’information de qualité aux internautes.

« Un site à destination des consommateurs chinois doit être pensé comme un site chinois et non se contenter de traductions littérales sur un arrière plan rouge. »

Le 9 : Comment Baidu pourrait-il améliorer son image et sa crédibilité, en Chine comme à l’étranger, après les scandales liés à son référencement payant, notamment celui de la mort de Wei Zexi en 2016 (voir Le 9 n°16) ?

V. D : Il existe effectivement des scandales liés au SEA en Chine car le corps médical pouvait acheter des mots-clés et faire de la publicité (alors que cela est interdit pour Google). Je pense notamment au scandale lié aux poudres de lait infantile : en 2008, des additifs chimiques ont été ajoutés dans du lait en poudre pour bébé. Les mots-clés liés à cette thématique sont interdits désormais. Au final, ces mauvaises pratiques contraignent Baidu à censurer l'emploi et l'achat de certains termes pour protéger les internautes des informations présentées comme fiables mais en réalité fausses ou nonavérées ce qui aurait été en effet pénalisant pour l'image du moteur de recherche.

Le 9 : Cette méthode, en empêchant les internautes de tomber sur des informations fausses, limite également l’accès aux informations en général. Que pensez-vous de sa valeur éthique ?

V. D : Il ne faut pas se mentir, un vrai problème de transparence des informations existe. Alors que la CNIL surveille de très près Google en France, aucun équivalent n’existe en Chine. Baidu a donc une certaine liberté pour censurer des informations. Suite au scandale de la poudre de lait infantile, il est quand même possible de trouver des informations générales, sur comment préparer son lait par exemple. Cependant l’achat du produit est plus compliqué et pratiquer du SEA n’est même pas imaginable. Il en est de même pour le domaine médical et l’industrie de l’alcool : l’achat de mots clés est proscrit (aussi bien sur Baidu que sur Google). En conséquence, cela complique l’accès aux informations sur ces thématiques sur Baidu.

Le 9 : Selon l’agence de référencement CVFM, malgré sa position de leader, Baidu n’est pas le meilleur « pourvoyeur de trafic et de clients ». Présenter ses produits et être bien référencé sur la plateforme de e-commerce Tmall, qui détient plus de 60 % du commerce en ligne chinois, est-il plus judicieux pour ceux qui souhaitent exporter en Chine ?

V. D :D'un point de vue purement technique, Tmall est un très bon moyen pour vendre ses produits, mais cela reste une marketplace qui n'appartient pas aux marques elles-mêmes. Les sous domaines de Tmall (les sites marchands) ne sont pas indexés dans les moteurs de recherche car Tmall veut générer uniquement du trafic direct sur son site. De plus, un site sur Tmall n'appartiendra jamais à la marque, ce qui limite sa personnalisation. Au contraire, créer son propre site à l'image de sa marque et le référencer correctement dans les moteurs de recherche permet de mieux maîtriser son image et sa communication.

Le 9 : Selon vous, les entreprises européennes interagissent-elles efficacement avec le consommateur chinois sur des plateformes comme WeChat ou Weibo ?

V. D : Les marques européennes deviennent de plus en plus sensibles aux plateformes comme WeChat et Weibo. Celles qui s'intéressent à la Chine possèdent un compte sur ces deux applications afin d’interagir au mieux avec la communauté chinoise. Cependant, les marques doivent encore améliorer leur compréhension des codes culturels tels que les couleurs et les designs à employer. La plupart des marques ne s'adaptent pas assez aux codes chinois. Un site à destination des consommateurs chinois doit être pensé comme un site chinois et non se contenter de traductions littérales des textes originaux sur un arrière plan rouge. Les marques chinoises voulant être commercialisées en France doivent également faire cet effort d’adaptation aux valeurs locales : en proposant l’euro comme devise d’achat ou en positionnant le menu en haut de la page (celui-ci peut se trouver en bas de la page en Chine) par exemple.

Illustration : Wilson CHEN

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