La prochaine capitale de la mode pourrait bien naître en Chine

1613490984552 Le 9 Kavian Royai

La Chine, l'un des rares pays où tenir une fashion week physique est encore possible... Alors qu'une bonne partie du globe souffre des confinements à répétition et de la récession économique, pour les marques de mode, la Chine n'est plus seulement un marché incontournable, mais un vrai filet de sécurité pour toute bonne stratégie internationale.

La Chine devrait détrôner les États-Unis en tant que première puissance économique d'ici 2028, avec l'Inde talonnant ces derniers en 3e place. C'est ce que prévoit le Centre de recherche en économie et affaires, basé au Royaume-Uni (BBC), qui a avancé la date de cette prédiction au vu de la gestion chinoise réussie de la pandémie, et de celle catastrophique, de nombreux pays riches. Et si on savait déjà que la Chine était un terrain de jeu incontournable pour de nombreuses enseignes internationales du luxe et de la mode, la récession en Occident et la croissance en Chine qui s'annoncent, confirment plus que jamais la tendance. 

La Chine a sauvé les marques de mode qui s'y étaient implantées 

Les entreprises avec de bonnes parts de marché en Chine, comme LVMH et Kering, ont affronté plus facilement 2020, l'impact économique des confinements y étant moins fort. L'analyse des chiffres par McKinsey de 311 entreprises de mode, dans son dernier rapport « The State of Fashion 2021 » publié fin 2020, révèle ainsi que « Les marques qui génèrent plus de 30 % de leurs ventes annuelles dans la région Asie-Pacifique (APAC – comprenant Chine, Japon, Corée du Sud) ont obtenu des scores plus élevés pendant la pandémie que leurs homologues qui n'y ont pas de forte présence. En moyenne, les entreprises axées sur la région APAC affichaient une capitalisation boursière supérieure à 18 %. » 

Autre avantage du marché chinois : son incroyable digitalisation, qui a pu, selon le même rapport, « combler les problèmes de la vente physique en redirigeant davantage d'interactions sur les plateformes de ventes en ligne. » Là encore une tendance de fond depuis 2016, dont l'effet a été décuplé par la crise sanitaire. On pense évidemment à Alibaba, qui a su courtiser très tôt les grandes marques internationales grâce à sa plateforme en ligne dédiée, Tmall. Un phénomène qui s'est vérifié ailleurs qu'en Chine, puisque tous les pure player de la mode comme les britanniques Farfetch, Asos, ou l'allemand Zalando, ont affiché une santé insolente durant toute l'année 2020 en dépassant de 76 % leurs ventes de mars à octobre par rapport à 2019 (et 42 % de plus en moyenne que les concurrents non spécifiquement revendeurs en ligne). 

« Une diminution des voyages dans le monde a incité les consommateurs chinois à faire leurs achats de luxe au niveau national plutôt que dans des centres de négociation internationaux. »

Acteur numéro 1 absolu du commerce électronique de luxe, Alibaba a même annoncé en grande pompe l'arrivée de Gucci sur Tmall en décembre dernier, qui y vendra toute la gamme de ses produits. Attention toutefois à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, comme le rappelle le média JingDaily : le géant chinois est en pleine tempête depuis que les autorités ont décidé de placer le groupe sous enquête pour pratiques monopolistiques en décembre. Le spectre de sanctions pourrait pousser davantage de marques dans les bras d'autres concurrents chinois, JD.com en premier – à l'instar de Prada ou Pinko en novembre dernier –, achevant de démocratiser l'écosystème e-commercial chinois entre de plus nombreux acteurs, et d'en faire le paradis de la vente en ligne pour les grandes marques et les marques de luxe. 

Le luxe au beau-fixe 

L'avenir radieux du luxe semble bien pointer ses rayons au-dessus de l'empire du Milieu. Un autre rapport de Tmall en partenariat avec le cabinet Bain & Company le confirme (« Instoppable chinese market », déc. 2020) : « La vente de produits de luxe en Chine s'est fortement redressée à la suite des premiers verrouillages de Covid-19. Une diminution des voyages dans le monde a incité les consommateurs chinois à faire leurs achats de luxe au niveau national plutôt que dans des centres de négociation internationaux. En conséquence, le marché des produits de luxe en Chine continentale a commencé à grimper en avril 2020 et atteindra probablement une croissance d'environ 48 % en 2020. » La tendance devrait continuer en 2021. Même si le rapport prévoit un début d'ouverture des frontières chinoises d'ici mi-2021, la situation ne devrait pas revenir à la normale avant 2022 ou 2023. 

À noter toutefois que cette croissance en Chine continentale pour le luxe ne compensera malheureusement pas la consommation chinoise perdue à l'étranger. Pour cela, les maisons de luxe devront redoubler d'efforts pour convaincre une partie des habituels consommateurs chinois, parcoureurs d'avenues Montaigne et autres via Montenapoleone, qu'acheter en Chine... reste chic malgré tout. 

Shenzhen, Shanghai ou Pékin vont-elles détrôner New York, Paris ou Milan ? 

Conséquence majeure de ce changement : les marques de luxe mettent donc tous leurs efforts de marketing sur le marché chinois, là où auparavant une grande partie d'entre elles se contentait de séduire en Europe et aux États-Unis, espérant que le consommateur chinois suivrait dans la foulée. Ce modèle est terminé. Dès cet été, Louis Vuitton a ainsi été l'un des premiers à revenir à un mode de fonctionnement plus traditionnel avec un vrai défilé sur les rives du fleuve Huangpu à Shanghai. Quant à la Fashion Week de Shanghai, elle aura été l'une des seules à avoir été organisée en physique, en octobre 2020. L'événement lui aura apporté une légitimité internationale qui lui manquait encore jusque-là (BOF). 

Mais ce n'est pas seulement que Shanghai se retrouve, un peu par procuration, propulsée nouvelle capitale de la mode. L'année 2020, rapporte JingDaily, aura aussi été l'année d'une certaine reconnaissance internationale des designers chinois, notamment via un nouveau type de co-branding (association de 2 marques pour créer un produit exclusif). Situation impensable il y a quelques années encore, les marques internationales ne rechignent plus à faire appel à des designers locaux pour leurs opérations de co-branding, là où autrefois, il était plus courant d'avoir recours à un designer, certes reconnu en Chine, mais étranger. Les exemples se multiplient : Canada Goose avec Angel Chen, l'étoile montante de la mode chinoise ; Asics avec le designer Gong Li, fondateur de 8ON8 ; Diesel avec Li Yushan et Zhou Jun, de la marque chinoise Pronounce… Le phénomène révèle un changement majeur qui ne pourra que s'amplifier, avec la montée en puissance du design chinois (Cf. Le 9 n°10 octobre 2018). 

Shanghai future capitale de la mode ? Il est encore tôt pour dire si la supériorité que la Chine retire de la situation, sera acquise ou juste passagère. Sans aucun doute, l'attrait redoublé qu'elle suscite attisera davantage de concurrence sur ce marché déjà réputé pour être très difficile.

Photo : L’alliance d’une marque étrangère avec un designer chinois n’est pas nouvelle, mais ces collaborations devraient se multiplier. Ici, en 2015, un défilé de la collection Gilette Vénus conçue par le designer chinois Niki Qin à la Fashion Week de Shanghai. © PAN Sufei/CNS

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