En Europe, l'e-commerce chinois a de beaux jours devant lui

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Ce n’est plus un secret pour personne, les géants de l’e-commerce surfent sur la vague de la Covid-19. La société Alibaba en fait partie et avec elle, d’autres entreprises chinoises du secteur. L’occasion est trop belle : avec les confinements et couvre-feux qui n’en finissent pas, les Européens se ruent sur les commandes en ligne. Ceux qui prophétisaient le retour des usines européennes autrefois délocalisées en Chine, à la faveur de la crise mondiale suscitée par l’épidémie, en sont donc pour leurs frais.

 

Le commerce électronique ne s’est jamais aussi bien porté en Europe. Il n’a d’ailleurs pas cessé d’augmenter ces dernières années. En 2020, il totalisait un chiffre d’affaires de 720 milliards d’euros, c’est deux fois plus qu’en 2015. Le chinois Alibaba s’est lancé à son tour sur un marché européen à fort potentiel, en arrivant par la Belgique. Évidemment, c’est à la faveur des mesures sanitaires que les géants de l’e-commerce chinois ont vu leurs affaires prospérer. Chacun y va de sa propre stratégie. Pour Alibaba, il s’agit de satisfaire l’appétit insatiable des consommateurs européens. Pour les autres, il est encore question de s’approvisionner en Europe pour vendre aux Chinois. Ces nouveaux acteurs n’arrivent cependant pas en terrain conquis : il faudra encore détrôner le mastodonte américain Amazon.

 

À Liège, Alibaba aux portes de l’Europe

 

Il figure déjà parmi les plus grands centres logistiques du monde. L’entrepôt de l’opérateur chinois Cainiao, filiale d’Alibaba, mesure plus de 220 000 m², soit une trentaine de terrains de foot. Situé à Liège, ville belge de moins de 200 000 habitants, il assure sans conteste une position stratégique pour les géants chinois de l’e-commerce. Rien ne prédestinait pourtant la petite ville de Liège à accueillir un site aussi important. Si ce n’est qu’elle se trouve au cœur de l’Europe. Dans un rayon de 300 km, l’entrepôt de Cainiao trône fièrement sur 60 % du PIB européen. En moins d’une journée, cette filiale peut livrer des colis à 400 millions de consommateurs potentiels. Elle peut déjà s’enorgueillir d’un premier succès : c’est par son entrepôt de Liège qu’elle livre les cargaisons de matériel médical à l’Europe, notamment les millions de masques dont on manquait il y a à peine un an. Avec ce centre logistique belge, Alibaba se situe donc aux premières loges du marché européen.


Comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ou dit autrement, il y a forcément des bons côtés dans la crise. Avec les couvre-feux et les confinements à répétition, les Européens n’ont jamais autant commandé en ligne. Selon Cao Lei, directeur du centre de recherche sur le commerce électronique de la société chinoise NetEase, ce n’est que le début : « Même si Alibaba est très bien positionné et a une bonne expérience en Europe, nous y réalisons moins de ventes par rapport au marché intérieur en Chine. Mais la tendance est bien amorcée. » Il faut dire que le marché européen commence à peine à s’habituer à l’e-commerce, il dispose donc naturellement d’un fort potentiel. C’est en tout cas l’avis de Wang Changhui, directeur général de la plateforme AliExpress en Italie, en Espagne et en France : « Le pouvoir d’achat des consommateurs du marché européen est assez élevé, et le taux de pénétration des achats en ligne est assez bas. De nouvelles mesures de confinement et de couvre- feu y ont aussi été prises depuis l’été dernier. Les achats en ligne y sont donc de plus en plus répandus. » Wang Changhui affirme que l’Europe a plus d’une corde à son arc, que le continent peut compter sur son haut niveau d’infrastructures de transports et de communication. Et tout cela pour le plus grand bonheur des consommateurs : le 11 novembre dernier, Alex, un madrilène de 35 ans, s’est par exemple fait livrer une télévision chinoise de 55 pouces en une demi-journée seulement.

 

Derrière Alibaba, d’autres géants chinois

 

« Les concurrents chinois de Alibaba n’ont donc pas les mêmes objectifs. Ils veulent s’approvisionner en Europe pour vendre aux consommateurs chinois. »

 

Alibaba a une stratégie : s’associer avec des milliers de petits détaillants et PME. Le géant chinois est donc très bien positionné en Europe, notamment en France et en Espagne, deux pays qui ont surfé sur la vague du 11 novembre, la fameuse « journée des célibataires » en Chine (shuang shiyi 双十一), bien placée pour rivaliser prochainement avec le Black Friday. Dans la demi-heure qui a suivi l’ouverture des promotions, les ventes en France et en Espagne auraient réalisé le chiffre d’affaires qu’elles avaient fait en 1 heure l’année précédente, un résultat encore peu probant duquel le groupe n’a pourtant pas manqué de se prévaloir... En Espagne, les ventes annuelles se sont même accrues de 60 % par rapport à l’année dernière. Bien sûr, les habitudes de consommation varient. En Espagne, les téléphones portables, les consoles de jeux et les téléviseurs sont toujours en tête des ventes. En France, ce sont plutôt les accessoires de jardinage et le petit électroménager. AliExpress, la version internationale d’Alibaba, est aussi parvenue à séduire de plus en plus de PME européennes. Depuis le début de l’année 2020, le nombre de commerçants espagnols qui passent par la plateforme AliExpress pour toucher leurs clients a augmenté de 260 %. Et les résultats sont là : en novembre 2020, le nombre de commandes quotidiennes de l’entrepôt situé en Espagne a été multiplié par 6 par rapport à novembre 2019. En France, de novembre 2020 à aujourd’hui, le nombre de commandes sur AliExpress a quant à lui augmenté de 100 %.

 

Pour Cao Lei, Alibaba est la seule société chinoise d’e-commerce à être vraiment compétitive en Europe aujourd’hui. Les autres géants chinois sont encore loin de peser sur le marché. En tout cas, leur stratégie est différente. C’est notamment le cas de JD.com. En 2018, son PDG Liu Qiangdong avait annoncé vouloir s’approvisionner en marchandises auprès d’autres pays européens que l’Allemagne. Trois ans plus tard, rien n’a bougé. Pour Suning, équivalent chinois de Darty et qui a diversifié son activité, le bilan est un peu plus encourageant. La société est parvenue à se positionner dans l’importation de produits européens à haute valeur ajoutée, et notamment des produits de mode. Pour Liu Qiangdong, les concurrents chinois d’Alibaba n’ont donc pas les mêmes objectifs. Ils veulent s’approvisionner en Europe pour vendre aux consommateurs chinois. Chacun aura donc bien sa part du gâteau.

 

De l’ombre à Amazon ?

 

Alibaba n’est cependant pas seul dans la course. Il faudra compter avec Amazon, que l’on ne présente plus. Ce dernier est justement en train de traverser une mauvaise passe, faisant l’objet d’une enquête par les régulateurs européens. Selon Xinhua, qui rapporte les propos de la commissaire européenne à la société numérique Margrethe Vestager, Amazon aurait bien violé les règles anti-monopoles de l’Union européenne. Margrethe Vestager a listé les différents points qui sont reprochés au géant américain. En épluchant près de 80 millions de transactions, la Commission européenne a révélé qu’Amazon abusait de sa position dominante auprès de ses clients européens. Les algorithmes et données des utilisateurs sont utilisés par Amazon pour adapter ses prix, ajuster ses stocks, optimiser sa chaîne d’approvisionnement. La société de Jeff Bezos est donc sous le coup d’une enquête, qui va entrer dans une nouvelle phase. La prochaine enquête de la commission portera sur les pratiques du label « BuyBox » (un dispositif garantissant une visibilité élevée pour les vendeurs), ou sur le fameux avantage « Amazon Prime». Malgré toutes ces casseroles, Amazon restera pourtant difficile à détrôner. Dans de nombreuses catégories, les produits d'Amazon représentent moins de 10 % des marchandises, mais plus de 50 % des ventes.

 

Toutes ces prouesses logistiques laissent pourtant encore les Européens dubitatifs. Sans doute ne voient-ils pas le potentiel offert par les exportations en Chine. Du moins pas pour l’instant. Le succès de la logistique dans l’e-commerce peut aussi laisser un goût amer, mais pour une tout autre raison, davantage liée au contexte actuel. Car ces temps-ci, les téléviseurs de 55 pouces devraient plutôt laisser place à des vaccins.

 

Photo © Hou Yu/CNS

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