Le C-drama, nouveau fer de lance du soft power chinois

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Connaissez-vous The Untamed ? Empresses in the Palace ? ou encore Nirvana in Fire ? Ces séries produites en Chine sont désormais visionnées sur tous les continents où elles rassemblent des millions de fans et engrangent des milliards de yuans... Panorama d’une industrie florissante.

Savez-vous qu’en 2018, la série la plus recherchée sur Google est une série chinoise ? Il s’agit d’une série historique sur la dynastie Qing, Yanxi Palace. Une performance étonnante et paradoxale quand on sait que Google est bloqué en Chine... Avec l’expansion des plateformes de streaming et VOD, de sites de diffusion vidéo tels que Viki, Netflix et autres concurrents, les séries produites et principalement diffusées en Chine gagnent de plus en plus en visibilité à l’international.

Les séries télévisées chinoises, en anglais chinese dramas ou simplement C-dramas – par opposition aux K-dramas de Corée du Sud ou J-dramas du Japon – sont des œuvres de fiction dont l’intrigue se poursuit au fil d’épisodes d’environ une heure. Une saison de C-dramas est généralement plus longue que celle des K-dramas coréens, 40 ou 50 épisodes contre 16 en Corée.

Avec plus de 140 dramas diffusés en 2019, la Chine est actuellement le plus grand producteur de séries télévisées. Mais ce n’est que depuis quelques années que les C-dramas commencent à attirer un public international. Parmi la centaine de productions diffusée tous les ans, on trouve tous les genres : histoire, comédie, société, guerre, policier, wuxia (style « de capes et d’épées »), romance, fantaisie, etc. Et c’est un genre qui mélange les deux derniers qui est le plus populaire et qui arrive à toucher un public international. Aujourd’hui, les séries chinoises sont régulièrement diffusées dans les pays d’Asie de l’Est, mais séduire un public occidental est un défi pour populariser la culture chinoise au-delà des frontières.

Développement fulgurant d’une jeune industrie

L’histoire des séries télévisées chinoises est relativement jeune et remonte à 1980, l’année où la Chine produit sa première série, une fiction de 9 épisodes sur l’histoire d’un jeune étudiant membre secret du Parti communiste chinois qui tente de faire son devoir patriotique durant l'insurrection révolutionnaire au printemps 1927.

Une dizaine d’années plus tard, une résolution du gouvernement publiée en juin 1992, intègre les activités de la radio et de la télévision dans la liste des industries clés pour le développement de l’industrie tertiaire du pays au même titre que l’industrie de la finance, du sport, du tourisme, du transport, du logement et des télécommunications. Plus tard, toutes les chaînes de télévision de Chine ont été poussées à passer d’une diffusion par câble à une diffusion numérique. À la même période, le nombre de téléspectateurs en Chine continentale s’accroît considérablement, phénomène qui coïncide avec l’établissement d’une classe moyenne chinoise.

À partir de 1999, tandis que toutes les chaînes du pays achevaient le passage au numérique, l’industrie de la radiodiffusion et de la télévision a connu une réforme qui visait à séparer la production de la diffusion de contenus. Le marché de la production audiovisuelle, dont les séries et émissions télévisées font partie, s’est alors ouvert aux productions privées et étrangères, entrant dans une dynamique de compétition qui va tendre à augmenter la qualité de ces dernières.

Surf sur la vague coréenne

Dans les années 1990, les dramas historiques, les plus populaires de Chine à cette époque, voient la vague coréenne déferler sur le rivage de l’industrie audiovisuelle chinoise en plein développement. Terme popularisé par les médias chinois, le Hallyu (韩流, « vague coréenne ») désigne cette rapide diffusion de la culture sud-coréenne en Chine, notamment grâce à une pop culture qui séduit massivement les jeunes, le phénomène arrivant en Occident seulement dans les années 2000. La K-pop et les K-dramas étant les précurseurs d’une tendance qui continue de captiver encore aujourd’hui.

Avec plus de 140 dramas diffusés en 2019, la Chine est actuellement le plus grand producteur de séries télévisées.

Dans les années 2000, le nombre de programmes audiovisuels sud-coréens diffusés en Chine dépassait largement le nombre de tous les autres programmes étrangers réunis, si bien que le gouvernement chinois a même dû imposer des quotas afin de limiter la diffusion de K-dramas en faveur des productions domestiques. Malgré cette concurrence, les C-dramas ont réussi également à surfer sur la vague coréenne pour atteindre un public occidental déjà conquis par un nouveau genre de séries de culture asiatique.

« L’année 2016 a été pour moi une année pleine de surprises dans le ‘Royaume des dramas asiatiques’. J’ai été marquée par le K-drama Scarlet Heart : Ryeo, une fiction historique fantastique basée sur la série chinoise à succès du même nom diffusée en 2011, racontant l’histoire d’une jeune femme moderne qui se trouve projetée dans le temps et contrainte de vivre à l’ère Goryeo dans la peau d’une aristocrate qui fréquente les princes de la cour royale. Le drama se termine sur un tel cliffhanger que j’en suis restée sur ma faim et j’ai décidé de me tourner vers la série originale ! J’ai donc cherché la suite chinoise, Scarlet Heart 2 et c’est ainsi que j’ai découvert mon tout premier C-drama », témoigne cette bloggeuse sur Hotpot TV, première plateforme de vidéos streaming et de VOD de dramas chinois à destination des États-Unis lancée en mars dernier. Depuis cette première expérience, cette passionnée de K-dramas est devenue une fan inconditionnelle de dramas chinois.

Le C-drama s’exporte vers l’Occident…

Dès les débuts de leur internationalisation, les dramas chinois ont trouvé un public passionné en Amérique latine, comme en témoigne Daniela Alarcón, jeune chilienne de 25 ans qui est tombée sous le charme des séries chinoises à 16 ans. « J’ai beaucoup aimé Love O2O (diffusée en 2016) parce qu'elle raconte les histoires de cœur d'un groupe d'étudiants en informatique et que je fais moi-même des études d'informatique. Nirvana in Fire fait également partie de mes séries préférées. Je suis d’ailleurs fan des deux acteurs principaux Hu Ge et Wang Kai qui sont mes nouvelles idoles », explique-t-elle dans un article de China Today publié en 2017. D’ailleurs, cette année-là, la jeune femme se rend en Chine pour la première fois et pour y apprendre le chinois.

Pour le critique de films chinois Zeng Nianqun, ce sont les séries en costumes qui ont été le plus exportées, surtout ceux qui abordent des thèmes historiques. « La Chine a une longue histoire et une culture riche et mystérieuse qui captive les téléspectateurs d'Asie-Pacifique et d'autres régions du monde. » Si bien qu’à la fin des années 1990, les séries telles que Le Règne de Yongzheng, Le Règne de Kangxi ou Les Trois Royaumes ont commencé à conquérir les marchés étrangers jusqu’aux États-Unis. Plus récemment, on peut citer La Légende de Mi Yue ou Empresses in the Palace, qui est la première série chinoise à être diffusée sur Netflix.

Les dramas chinois détiennent également un fort potentiel en Afrique où les fictions urbaines sont particulièrement appréciées. C’est par exemple le cas de A Beautiful Daughterin-law Era ou Doudou et sa Belle-mère, qui a connu un grand succès en Tanzanie où la série a été diffusée en 2011, car les conflits sentimentaux et la relation entre Doudou et sa belle-mère ont fait écho à une réalité socio-culturelle du pays.

… Mais reste résolument chinois

Depuis quelques années, les séries chinoises les plus populaires, telles que Nirvana in Fire, The Journey of Flower, Eternal Love, The Princess Weiyoung, Just One Smile Is Very Alluring, Empresses in the Palace, Scarlet Heart, The Mystic Nine... pour n’en citer que quelques-unes, peuvent engranger des milliards de vues sur les plateformes vidéo les plus prisées comme iQiyi, Youku ou Tencent Video.

© Compte officiel Weibo, Yanxi Palace

Un schéma semble se dessiner : les séries les plus « tendance » sont souvent tirées de romans ou de webromans à succès. Réussite garantie avec un public déjà conquis et impatient de voir leurs personnages préférés prendre forme humaine ? Une stratégie risquée mais qui peut fonctionner si la qualité intrinsèque du drama est à la hauteur des attentes d’un fan club exigeant.

C’est le pari qu’a gagné l’année dernière The Untamed, la série chinoise la plus rémunératrice de 2019. Les 50 épisodes du drama, diffusés sur WeTV (Tencent Video) entre le 27 juillet et le 20 août, ont généré plus de 97,87 millions de yuans (environ 12,55 millions d’euros) de bénéfices (données observées le 15 août, soit 5 jours avant la diffusion du dernier épisode de la série), plusieurs milliards de vues par épisode sur ladite plateforme et des millions de vue pour chaque épisode sur YouTube. Les gains provenant non seulement de la diffusion de l’œuvre mais également des rencontres avec les fans, des concerts, des ventes d’albums et des produits dérivés.

La raison de la grande popularité de The Untamed est due au fait qu’il s’inspire d’un boys’ love, un genre de fiction centré sur les relations sentimentales entre hommes, principalement destiné à un public féminin, très populaire en Chine.

The Untamed est une série basée sur le roman xianxia (仙侠, un genre fantastique inspiré par la mythologie chinoise, le taoïsme, le bouddhisme, les arts martiaux) Mo Dao Zu Shi, qui a également donné lieu à une adaptation en série d’animation du même nom diffusée depuis 2018. Le succès du drama est incontestablement lié aux succès précédents du roman et de l’anime.

Sa grande popularité est due au fait qu’il s’inspire d’un boys’ love, un genre de fiction (terme issu de la pop culture japonaise utilisé essentiellement dans le domaine de la littérature, du manga et de l’anime) centré sur les relations sentimentales entre personnages masculins, principalement destiné à un public féminin, très populaire en Chine depuis quelques années. Il trouve son équivalent occidental dans le terme « bromance » – abréviation des mots anglais brother (frères) et romance (idylle) – et souvent mis en scène dans les dramas asiatiques.

The Untamed a notamment favorisé la croissance de WeTV sur les marchés étrangers de 250 % avec en moyenne 1 million de téléchargements de l’application par mois depuis le début du lancement de la série, comme l’a annoncé Tencent en octobre dernier. Le drama est aujourd’hui traduit en 11 langues et diffusé sur Netflix en Amérique, dans quelques pays européens, en Australie, aux Philippines et en Inde depuis octobre. Il est classé 36ème sur la Liste des meilleures émissions TV en direct sur Tumblr en 2019, devenant ainsi le premier drama chinois à faire partie du palmarès.

Qu’un succès local tel que The Untamed – loué par le Quotidien du Peuple pour son « exceptionnelle présentation des caractéristiques chinoises » à travers les costumes, les instruments de musique traditionnels ainsi que la transmission de valeurs tels que le courage et la loyauté – puisse gagner une telle ampleur internationale contribue indéniablement au soft power chinois. Mais cette popularité démontre avant tout la puissance et l’importance du marché chinois pour les géants du web, et vient ensuite confirmer qu’en dehors de toute volonté d’influence culturelle, la Chine est un marché largement autosuffisant dans le domaine du divertissement.

Photo du haut © Compte officiel Weibo The Untamed

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