L'ancien palais des empereurs Ming et Qing fête ses 600 ans

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La somptueuse Cité interdite de Pékin a fêté le mois dernier son 600e anniversaire. Symbole du centre de la Chine et du monde, elle abritait le pouvoir politique de l’empire du Milieu. Les murs de la Cité interdite ont résisté aux invasions et soulèvements qui ont jalonné l’histoire chinoise. Ils préservaient l’empereur des dynasties Ming et Qing du regard extérieur, alimentant de nombreux fantasmes sur les trahisons et les complots de la vie de cour impériale. 

Trônant fièrement en plein cœur de Pékin, la Cité interdite est une forteresse, une ville dans la ville. Cachée derrière un mur de 10 m de haut, elle a été la résidence de 24 empereurs pendant plus de trois siècles, jusqu’à 1912. Il était interdit d’y entrer, mais également presque impossible d’en sortir. Conçue pour incarner le mandat céleste du souverain, la Cité interdite servait à asseoir l’autorité de la nouvelle dynastie Ming. Elle offrait aussi un condensé des prouesses techniques et architecturales de l’empire du Milieu. Mais surtout, elle abritait les résidences de l’empereur, de l’impératrice, des concubines et des eunuques, théâtres de multiples complots et trahisons.

Un palais pour des ambitions impériales

L’incroyable mur aux Neuf Dragons, un incontournable de la cour intérieure. © freepik.com

C’était pour protéger la Chine des invasions du nord que l’empereur Yong Le (永乐), fondateur de la dynastie Ming, décidait de faire construire la Cité interdite, déplaçant à cette occasion la capitale de Nankin, au sud, à Pékin, au nord. Un nouvel emplacement idéal pour trôner fièrement sous le nez de l’envahisseur de toujours : l’empire mongol. En 1402, Yong Le envoya donc une délégation trouver un architecte pour construire un palais gigantesque, qui serait érigé sur les vestiges d’un ancien palais mongol de la dynastie Yuan. L’édifice servait donc avant tout les ambitions impériales du nouvel empereur de la jeune dynastie Ming, qui venait de chasser du pouvoir les descendants de Gengis Khan et de son petit-fils Kubilaï, qui avaient régné sur la Chine pendant plus d’un siècle.

Des travaux titanesques

Les travaux de la Cité interdite ont duré 16 ans. En 1604, l’empereur Yong Le confia la conception de la Cité interdite à un très jeune charpentier, Kuaixiang, fils et petit-fils de travailleurs du bois. Ce dernier avait réussi à se tailler une solide réputation dans la région de Suzhou. Il ne ferait aucun doute : la Cité interdite serait construite en bois. Kuaixiang recruta donc 100 000 artisans et un million d’ouvriers. L’édifice devait être entouré d’un mur infranchissable et renfermer deux ambiances : une cour extérieure réservée aux cérémonies et une cour intérieure destinée à loger le pouvoir et son entourage.

La construction de la Cité interdite a nécessité l’abattage de plus de 100 000 arbres phoebe zhennan, rapporte Xinhua, coupés dans le sud-ouest, transportés sur le fleuve Jaune et au long du plus grand canal de l’époque : le Hangzhou-Pékin, long de 1 800 km. Pour tapisser le sol du palais, des milliers de feuilles d’or et de pierres précieuses ont été acheminées depuis Nankin, mais aussi depuis toute la Chine. Les ouvriers ne manquaient d’ailleurs pas d’ingéniosité pour transporter tous ces matériaux. Pour déplacer les milliers de tonnes de pierre, ils creusaient des puits le long des routes et attendaient l’hiver. Ils les faisaient alors déborder pour recouvrir les chemins de glace : il ne leur restait plus qu’à faire glisser les convois jusqu’au chantier (Global Times). Aujourd’hui, la Cité interdite s’étend sur près de 72 hectares : c’est trois fois plus que le Kremlin de Moscou.

Une conception qui symbolise le mandat céleste

© Unsplash

Chaque nouveau souverain cherchait à légitimer son pouvoir. Depuis la dynastie Zhou (1046 - 221 av. J.-C.), l’empereur devait prouver au peuple qu’il détenait le mandat du ciel, le tianming (天明). Pour Kuaixiang, le plan de la Cité interdite devait donc naturellement faire référence au ciel. Sept des pavillons qui se trouvent dans le palais étaient donc disposés en alignement avec la constellation de la Grande Ourse, (en chinois beidou qixing 北斗七星). Ces 7 pavillons sont identifiables aux sphères en or qui se trouvent à leur sommet (360doc.com). Toujours en référence au ciel, le palais ne devait pas compter plus de 10 000 salles, pour ne pas rivaliser avec le palais mythologique de l’empereur de Jade, (Yuhuang dadi 玉皇大帝, le chef du panthéon taoïste). C’est pourquoi il en compte 8 704. La couleur pourpre des murs du palais est par ailleurs une référence à l’Étoile polaire, « l’étoile pourpre » en chinois (ziwei xing 紫微星). L’harmonie entre le ciel et la terre devait faire également écho à l’harmonie taoïste du Yin et du Yang. C’est pourquoi chaque bâtiment est aligné sur un axe sud-nord, et que tout est espacé pour laisser circuler le flux d’énergie naturelle : le Qi (). Aucun arbre ne s’y trouve, à part dans le parc de la Cité interdite, afin d’empêcher que le bruit du vent dans les branchages ou que les gazouillis des oiseaux ne viennent perturber les cérémonies impériales.

Un Palais rempli de prouesses architecturales

La conception de la Cité interdite relève également d’une véritable prouesse technique. Si sa structure en bois l’avait rendue très vulnérable aux incendies, qu’elle a connus à répétition, la Cité interdite peut cependant très bien résister aux tremblements de terre (China News). Les fondations de chaque pavillon ne sont pas enterrées, mais simplement posées sur des dalles de pierre. Lors d’un choc sismique, les différentes parties du bâtiment peuvent glisser les unes sur les autres, sans jamais se briser. Les lanternes dans chaque salle étaient également suspendues de sorte que l’effet de balancier soit inversé au mouvement d’un tremblement de terre, ce qui permettait de compenser les secousses. La charpente de ses toitures repose enfin sur une pièce ingénieuse que l’on retrouve dans la plupart des constructions depuis la Chine antique : les dougong (斗拱). En plus de donner à la charpente chinoise son charme caractéristique, cette pièce porteuse est extrêmement solide. Elle est composée de plusieurs pièces en bois emboîtées, sans aucun clou, ni colle, ni ciment.

Derrière les murs : le destin tragique des concubines

La cour intérieure, au nord, abritait les lieux de pouvoirs, les résidences de l’empereur, de ses serviteurs, de ses concubines et des eunuques. C’était donc l’endroit le plus secret de la Cité interdite. L’empereur, polygame, choisissait l’impératrice parmi des dizaines de concubines recrutées dans tout l’empire par les eunuques. En plus de remplir des critères physiques aussi rigoureux que fétichistes, elles se devaient aussi de maîtriser parfaitement la calligraphie ou le service du thé. Elles n’avaient le droit d’avoir des relations sexuelles qu’avec l’empereur, et ne devaient surtout pas être jalouses de l’impératrice.

Certaines concubines complotaient pour atteindre le statut d’impératrice. C’est par exemple le cas de la célèbre Cixi, concubine favorite de l’empereur Xianfeng. À la mort de celui-ci en 1861, Cixi était parvenue à s’imposer en tirant les ficelles du pouvoir de son fils, Tongzhi, puis du successeur de ce dernier, Guangxu. Cixi était impitoyable : elle avait dirigé la révolte des Boxers contre les réformes de l’empereur en 1900, ou encore ordonné la mort de la concubine Zhenfei, favorite de Guangxu. La malheureuse avait été noyée dans un puits au nord du palais. Les concubines complotaient aussi parfois contre l’empereur lui-même. En 1542, l’empereur Zhu Houxuan s’était mis à dos ses concubines en se lançant à la recherche d’un élixir d’immortalité. Il les envoyait collecter la rosée du matin dans le jardin impérial, ce qui les faisait tomber malades.

L’une d’entre elle, Yang Jinying, fomenta donc, sans succès, une tentative d’assassinat contre l’empereur. Elle fut impitoyablement exécutée avec ses complices.

L’empereur cherchait aussi la tranquillité

L’empereur ne sortait quasiment jamais de la Cité interdite. Il pouvait donc parfois s’ennuyer.

L’empereur ne sortait quasiment jamais de la Cité interdite. Il pouvait donc parfois s’ennuyer. C’était particulièrement le cas de Puyi, le dernier empereur, qui logeait encore dans la Cité interdite alors même que l’empire s’était effondré en 1912. C’était aussi vrai pour Kangxi et Qianlong. L’émission télévisée Yuanzhuo pai (圆桌派) raconte comment ils avaient pour habitude de se couper des affaires de l’État en se retirant dans le pavillon Zhonghua, au nord-est de la Cité interdite. Ils s’y retrouvaient avec leurs ministres pour savourer des banquets, boire de l’alcool et écrire des poèmes. Sous le règne de Qianlong, ces petites beuveries ont été finalement remplacées par des cérémonies du thé. Les ministres s’asseyaient à côté de l’empereur, selon l’ordre hiérarchique. Ils se transmettaient alors des poèmes auxquels chacun ajoutait une ligne.

Le « Musée du Palais » (gu gong 故宫)

En 2019, la Cité a accueilli pas moins de 19 millions de visiteurs : c’est quatre fois plus que la Tour Eiffel.

Juste après le départ du dernier empereur Puyi, en 1925, la Cité interdite a été ouverte au public pour la première fois. L’État était désormais chargé d’en assurer la gestion et l’entretien. Les nombreux pavillons à l’intérieur de la Cité interdite renferment depuis de précieuses collections accessibles aux visiteurs : vaisselles, céramiques, statues, sculptures en jade, instruments de musique, peintures, etc., dont une partie toutefois a été déménagée ou pillée pendant la révolte des Boxers en 1900, la Seconde Guerre mondiale ou lors de la fuite du gouvernement nationaliste à Taïwan en 1949.

Les expositions du Musée du Palais (gu gong 故宫) structure qui s’occupe de la gestion et de la conservation de la Cité interdite, et les merveilles de la Cité interdite attirent les touristes du monde entier. En 2019, selon le Quotidien de la Jeunesse de Chine, la Cité a accueilli pas moins de 19 millions de visiteurs : c’est quatre fois plus que la Tour Eiffel. Certes, la crise de la Covid-19 a tout chamboulé, conduisant la Cité à fermer ses portes en janvier dernier. Mais elle est de nouveau ouverte au public depuis mai 2020. Lorsque la Chine rouvrira ses frontières, serez-vous son prochain visiteur ?

     Le pavillon de l’Harmonie du milieu (zhong he dian 中和殿) 

 © HU Wenfei/CNS

Le pavillon de l’Harmonie du milieu est au centre de la cour extérieure, entre le pavillon de l’Harmonie préservée et le pavillon de l’Harmonie suprême. Il servait de salle de repos pour l’empereur lors des grandes cérémonies. L’empereur pouvait y accueillir certains fonctionnaires et y prononcer des discours relatifs aux sacrifices. Dans la seule salle qui s’y trouve, des offrandes aux ancêtres étaient déposées sur un autel. On y apportait aussi des semences et des outils agricoles, soumis à l’inspection du souverain. 

     Le pavillon de l’Harmonie préservée (bao he dian 保和殿) 

© freepik.com

Pendant la dynastie Ming, le pavillon de l’Harmonie préservée permettait à l’empereur de se préparer aux cérémonies. Pendant la dynastie Qing, il accueillait les représentants d’États vassaux, les ducs et les ministres. Le pavillon de l’Harmonie préservée pouvait aussi servir pour les cérémonies de mariage. À partir du règne de Qianlong, il était utilisé pour faire passer les examens impériaux aux fonctionnaires. 

     Le pavillon de l’Union (jiao tai dian 交泰殿)

© Wikimedia Commons

Comme les autres bâtiments qui l’entourent, le pavillon de l’Union servait moins aux cérémonies de la vie publique qu’aux aspects plus privés de la cour impériale. L’impératrice y recevait ses invités lors des grandes occasions, comme à son anniversaire ou au moment du Nouvel an. Le pavillon servait aussi à entreposer les 25 sceaux impériaux de Qianlong, le célèbre et sixième empereur de la dynastie Qing. 

     Le palais de la Pureté céleste (qian qing gong 乾清宫) 

© Wikimedia Commons 

Le palais de la Pureté céleste était l’un des pavillons les plus importants. Situé dans la cour intérieure, il comportait deux étages. Sous la dynastie Ming, il était la chambre à coucher de l’empereur. Depuis les Qing, à partir du règne de Yongzheng, il abritait aussi son trône et son bureau. L’empereur y recevait des poètes, des musiciens et des lettrés. Le pavillon était luxueusement aménagé et comptait 9 chambres à coucher au second étage. Suite à la tentative d’assassinat par ses concubines, l’empereur Zhu Houxuan utilisait toutes les chambres à coucher et en changeait toutes les nuits pour ne pas risquer d’être tué dans son sommeil (360kuai.com). 

     Les 12 palais orientaux et occidentaux (dong liu gong, xi liu gong 东六宫 西六宫)

© Flickr

Les douze palais orientaux et occidentaux sont au fond de la Cité interdite, sur les côtés. Ils abritaient le harem de l'empereur, les résidences des concubines et des eunuques (jvnan.com). Les éléments les plus proches du centre logeaient l’empereur, ses familiers et les nobles les plus importants du régime. Plus les logements étaient éloignés du centre, plus le statut de leurs résidents était inférieur. S’y trouvait également la résidence de l’impératrice : le pavillon de la Longévité éternelle (yong shou gong 永寿宫). Ce pavillon aurait servi d'inspiration pour Le Rêve dans le pavillon rouge (hong lou meng 红楼梦), écrit au XVIIIe siècle par Cao Xueqin. Considéré comme l’un des plus grands livres de la littérature chinoise, il raconte l’ascension et le déclin d'une famille de nobles.  

 


Quelles sont les conditions pour visiter la Cité interdite ? 

Le site est fermé le lundi et les jours fériés. L’entrée se fait par la porte du Midi, au sud. En saison haute, le billet est à 60 yuans (7,5 euros), 40 en saison basse. Le billet est à 20 yuans pour les mineurs. Les visites tôt le matin et le soir sont les meilleures : vous pourrez profiter des magnifiques reflets du lever ou coucher du soleil sur les murs pourpres et les toitures dorées. 


 
 

 

 

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