
[Ces chinoises au destin exceptionnel] Madame Zheng, la femme pirate la plus puissante de l'histoire
À la tête de la plus grande confédération de pirates jamais constituée, cette femme aura, au faîte de sa puissance, régné sans partage sur les mers de Chine.
Shi Yang, née en 1775, commence comme prostituée dans un petit bordel de Canton, avant d’être capturée par un groupe de pirates. Le chef du groupe, un puissant loup de mer issu d’une famille de pirates, Zheng Yi, tombe sous son charme et demande à l’épouser. Intelligente, la jeune fille saisit l’occasion et accepte le mariage à condition que son amant lui donne le commandement de l’une de ses flottes. Marché conclu : à 16 ans, Shi Yang devient alors « Madame Zheng » (Zheng Yisao en mandarin, ou Ching Shih selon la transcription anglaise depuis le dialecte cantonnais). Faisant montre de talent pour l’organisation et la cohésion, elle commence une ascension fulgurante. Elle aura avec Zheng Yi deux garçons, mais fera preuve de beaucoup d’égards pour Zhang Bao, le fils adoptif de Zheng Yi, dont elle fera son dauphin.
Illustration de 1836 représentant des pirates bataillant contre des soldats mandchous. Domaine public, via Wikimédia Commons.
La situation n’est pas étonnante quand on sait que la profession de matelot n’était pas réservée aux hommes en Chine. Le couple se partage le pouvoir et Madame Zheng obtient près de 200 navires sous son commandement, naviguant de la Malaisie à la Corée. Au cours des années qui suivent, la flotte de Zheng Yi voit ses rangs grossir considérablement, d’autres brigands rejoignant le couple en une vaste confédération de pirates. Mais Zheng Yi meurt accidentellement à 39 ans au large des côtes vietnamiennes. Madame Zheng réussit à se servir de son prestige pour prendre la tête du groupe de pirates à 22 ans. S’en suivront trois années d’une épopée folle où aucune autorité n’arrivera à bout de l’insaisissable Madame Zheng et sa flotte. Les amiraux de l’armée Qing, les flottes alliées sino-portugaises autant que la marine britannique se casseront les dents sur l’immense flotte pirate (en 1809, les 3 pays unissent leurs forces en vain, subissant tous de lourdes pertes). Selon Richard Glasspoole, un employé de la Compagnie des Indes orientales, capturé par Madame Zheng en 1809 et qui en réchappa contre rançon pour conter ses aventures, la flotte pirate aurait été alors composée de près de 1 000 grandes jonques et presque autant d’embarcations plus petites, réunissant 80 000 hommes ! Un chiffre certainement exagéré, quoique les historiens aillent parfois jusqu’à 1 000 navires et 60 000 hommes. Pour régner, Madame Zheng impose un règlement strict : les décisions importantes prises et les attaques menées sans son aval sont punies de décapitation ; la désertion, comme les congés non autorisés, sont sévèrement punis (comme partout ailleurs dans le monde marin) ; le pillage non autorisé de villageois ou le vol dans le butin pirate commun est puni de mort ; on retiendra son impitoyable exemplarité à l’égard du viol de femme captive, puni de décapitation ; si consenties, les liaisons peuvent être toutefois approuvées... à condition que l’homme soit prêt à épouser la captive !
Dame Ching, personnage inspiré de la célèbre pirate dans Pirates des Caraïbes. Capture d'écran. Walt Disney Pictures tous droits réservés.
En 1810, le vent tourne, la confédération pirate se fissure. Le pouvoir impérial chinois lui non plus ne sait plus quoi faire contre cette démone et son gang. Madame Zheng en profite pour négocier magistralement sa sortie en acceptant l’amnistie de l’empereur offerte à elle et ses hommes. Autorisée même à se marier avec Zhang Bao, son fils adoptif, qui meurt en mer 9 ans plus tard, Madame Zheng revient finalement avec son butin dans son pays natal où elle ouvre un bordel. Elle y mourra de vieillesse, à 69 ans.
Article initialement paru dans Le 9 magazine n°41, Juillet/ Août 2021.
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