
[Ces chinoises au destin exceptionnel] Kang Tongbi, héritière de l'esprit réformiste du XIXe siècle
Figure de l’ombre dans les mouvements révolutionnaires qui embrasèrent la Chine à la fin de la dynastie Qing, elle sut pourtant marquer l’histoire récente par son intelligence et sa détermination.
Née en février 1883 à Canton (Guangzhou), Kang Tongbi est la deuxième fille du célèbre politicien et intellectuel chinois Kang Youwei, qui fut l’un des six principaux réformistes à l’origine du mouvement avorté de la Réforme des Cent Jours, censé remettre la vieille dynastie Qing sur les rails de la modernité.
De tempéraments très différents, Kang Tongwei (sa sœur aînée) et Kang Tongbi sont toutes deux devenues des femmes célèbres de leur époque. Si la première était en première ligne des mouvements réformistes de 1898 par son travail de journaliste et de traductrice, Kang Tongbi opérait dans l’ombre, en disciple fidèle de son père et dépositaire de son héritage intellectuel. C’est à 18 ans que Kang Tongbi commence son apprentissage tout en soignant son père malade sur l’île de Penang en 1901. Comme elle est curieuse et vive d’esprit, son père décide de l’envoyer l’année suivante en Europe et aux États-Unis pour se former en politique. Elle choisit de rester aux États-Unis et suit des cours au Radcliffe College et au Trinity College. En 1904, elle rejoint son père dans sa tournée en Europe au Danemark où elle fait la rencontre de son futur mari, Luo Chang, étudiant chinois à Oxford qui deviendra plus tard agent de liaison pour l’ambassade de Chine à Tokyo. Poursuivant ses études en Amérique, Kang Tongbi fut la première étudiante asiatique inscrite au Barnard College d’où elle sort diplômée de journalisme en 1907.
DR.
Durant son séjour aux États-Unis, elle instille des idées réformistes chez les Chinois d’outre-mer et développe des réflexions sur le féminisme dont les prémices lui ont été insufflées par son père qui avait fondé la première « Association pour l’émancipation des pieds bandés » dès 1885. Pour donner l’exemple, il avait demandé à ses deux filles, Tongwei et Tongbi, de libérer leurs pieds, après quoi, le mouvement a gagné du terrain en Chine. Dix ans plus tard, les différentes associations contre le bandage des pieds recenseront près de 300 000 membres. Après la révolution de 1911, Kang Tongbi devient vice-présidente de l’Association internationale des femmes et présidente du Congrès national des femmes chinoises. Depuis elle n’aura eu de cesse d’allier engagement féministe et révolutionnaire. En tant que pionnière féministe chinoise, Kang Tongbi fut la première représentante officielle chinoise à assister à la « Conférence mondiale sur les femmes », un événement qui eut une grande influence en Chine jusque dans les années 1930. Après la proclamation de la République populaire de Chine en 1949, elle est élue tour à tour représentante municipale populaire de Pékin, membre du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois et membre du Musée national des lettres et de l’histoire.
Kang Tongbi a passé ses dernières années de vie à compiler les idées de son père et a produit successivement deux ouvrages Suite des chroniques de M. Kang Youwei et Manuscrit posthume de Wang Mu Cao Fang du nom de l’école privée que Kang Youwei avait fondée à la fin du XIXe siècle à Canton. C’est à son travail de transmission que l’on doit la plupart des informations existantes sur Kang Youwei et ses idées progressistes. On perd le fil de sa vie à partir de la Révolution culturelle (1966-1976) pendant laquelle il semble que Kang Tongbi ait été emprisonnée. Elle meurt à Pékin en 1969 à 89 ans.
Photo du haut : DR.
Commentaires