
Cuisine fusion : de la cuisine française… pour faire briller la Chine
Caché derrière des buissons, se trouve le restaurant de la galerie d’art Fudao. Sur la porte on est averti : l’établissement est sélectionné dans le Guide Michelin. À l’intérieur, une décoration jaune et blanche, de nombreux tableaux accrochés aux murs, des figurines de danseuses étoiles posées sur les tables, de gros lustres au plafond, le tout dégage une curieuse atmosphère mélangeant art, décoration à l’européenne et Asie.
Situé dans le quartier d’affaires de la rue West Hepingli à Pékin, le restaurant est avant tout un espace d’art : son fondateur, Xie Jianjun, est diplômé de l’Académie centrale des beaux-arts de Chine, un établissement d’élite. Beaucoup des tableaux accrochés auraient d’ailleurs été réalisés par des professeurs de l’Académie, selon la gérante chinoise de l’établissement, qui répond au nom de Summer. Xie Jianjun nous explique ses motivations : « La cuisine française est celle qui se rapproche le plus de l’art. Or pour moi qui travaille dans l’art, la France centre mondial de l’art est aussi un endroit que j’ai toujours porté dans mon cœur. J’ai tout naturellement eu envie d’introduire sa gastronomie en Chine. »
Adapter la cuisine française au goût chinois
Restaurant Fudao © Su Chen / Nouvelles D’Europe
Ce 29 avril, à midi, les clients commencent tout juste à affluer. Dans ce restaurant où l’on sert de midi à 22 heures, il faut généralement réserver pour prendre un repas, les tables affichant souvent complet au dîner. Mais ça n’a pas été toujours le cas. La situation du commerce était loin d’être satisfaisante à ses débuts, en 2018. Zhao Lei, le chef, s’indigne : « À cette époque, on achetait nos assiettes à prix soldé pour économiser. »
Une situation que la direction a analysée comme étant directement liée au menu : « Au début, les plats étaient relativement variés, il y avait des burgers, des frites. Le restaurant proposait une cuisine occidentale ordinaire », explique Summer. Puis en 2019, le Fudao signe un accord de coopération avec l’Auberge de l'île Barbe, restaurant français étoilé au Guide Michelin situé à Lyon. Le menu s’est vu ensuite transformé par son chef et consultant Jean- Christophe Ansanay-Alex, qui n’a pas hésité à y ajouter aussi des touches italiennes, selon le Guide. On y retrouvera quand même quelques classiques, quoique revisités : cuisses de grenouilles avec mousse de cresson et nougatine d’ail, crème brûlée sur coulis d’hibiscus…
« L'ajout de quelques épices asiatiques au foie gras permet aux clients chinois de se sentir dans un environnement familier, mais leur permet aussi de toucher la France du bout de la langue. »
Sur les conseils du chef français, les affaires s’améliorent et l’équipe du restaurant pékinois approfondit également sa compréhension de la cuisine française, sans s’arrêter là : « Même si nous avons des clients français, nous espérons faire ressortir nos spécificités au-delà de ce que la cuisine française peut offrir, déclare Summer. Au lieu d’imiter mécaniquement et de déménager la France en Chine, nous souhaitons inventer un monde encore inconnu ». Le restaurant a en outre développé des partenariats avec des fermes situées dans la banlieue pékinoise, permettant d’allier un style de cuisine cosmopolite avec des ingrédients plus indigènes.
Millenial né après les années quatre-vingt, une génération de jeunes Chinois qu’on dit plutôt patriotes, le chef Zhao Lei pense, pour que la cuisine française puisse véritablement prendre racine en Chine, qu’il est nécessaire de bien comprendre le goût des Chinois et donc, de savoir combiner la cuisine chinoise avec celle-là.
Auparavant, Zhao Lei avait fait des études en hôtellerie en Australie, avant de retourner en Chine et de travailler dans la restauration. Une expérience qui l’aurait fait s’intéresser davantage au phénomène de cuisine « fusion ». « Prenez l’exemple du foie gras. Dans la préparation de ce plat traditionnel français, nous n’hésitons pas à ajouter quelques épices asiatiques. Un mélange qui permet aux clients chinois de se sentir dans un environnement familier, mais qui leur permet de toucher la France du bout de la langue », s’anime Zhao Lei, avant d’expliquer sa propre version sinisée du tartare de bœuf, dans laquelle il choisit des assaisonnements chinois à base de sauce soja et de gingembre.
Un restaurant en mission
Un plat typique dans le restaurant Fudao © Su Chen / Nouvelles D’Europe
Zhao Lei accorde une grande importance à sa sélection des plats. Le menu est revu tous les 6 mois avec de nouvelles créations : « Il faut environ deux mois pour la conception d’un nouveau plat. » Pour lui, l’intégration d’éléments chinois permet à la cuisine française non seulement, de mieux s’adapter au marché chinois, mais surtout de servir de medium pour justement mettre en valeur ces ingrédients chinois : « Il existe beaucoup de bons ingrédients en Chine, qui demeurent malheureusement assez peu connus outre-mer. En les ré-utilisant de cette nouvelle manière, on use de la cuisine française comme base pour promouvoir des ingrédients typiquement chinois et de manière un peu plus internationale. » Ainsi, si la démarche du Fudao permet certes aux Chinois de mieux connaître la cuisine et la culture française, elle permettrait aussi selon son chef, d’enrichir cette dernière.
Une vision que partage Summer, pour qui son lieu de travail n’est pas qu’un restaurant, mais une ambassade, investie d’une mission dans un contexte de mondialisation galopante : « Le restaurant est un ambassadeur culturel qui a à cœur de développer les échanges culturels entre la Chine et la France. C’est ce que la fusion des cuisines permet. » Restaurant désormais réputé à Pékin parmi ceux dits de gastronomie française, Fudao a déjà obtenu une sélection par le Guide Michelin et celle de son analogue chinois, le Guide de la Perle noire, lancé par une entreprise chinoise spécialisée dans la vente en ligne. Il ne veut pas s’arrêter là. Summer annonce : « Comme le dit un proverbe : N'est pas bon soldat celui qui ne songe pas à devenir général. Bien sûr, nous espérons ouvrir d’autres restaurants dans le futur ! »
Article publié dans L’Humanité Dimanche n°770 en partenariat avec Nouvelles d’Europe / Le 9.
Photo du haut : Zhao Lei, le chef cuisinier du restaurant Fudao. DR.
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