
[Emmanuel Lincot] La Chine et le monde musulman: de nouvelles configurations dans la formation des élites
Il existe une empathie très réelle du monde arabo-musulman pour la Chine. Solidarité tiers-mondiste depuis Bandung, aide financière et politique aux mouvements nassérien pour l’Egypte, palestinien jadis en accueillant à Pékin Yasser Arafat ou encore vis-à-vis du FLN algérien…Tous ces faits historiques rassemblés expliquent que l’image de la Chine auprès des opinions arabes soit plutôt bonne. La visite très médiatique du Président Xi Jinping entreprise successivement à Ryad puis au Caire, en janvier 2016, en confirme l’importance. Au-delà de l’effet d’annonce lié à la poursuite de la politique « une route, une ceinture », certains spécialistes comme Peter Cai, chercheur à l’Institut Lowy pour l’étude des relations internationales à Sydney, note la volonté du gouvernement chinois d’améliorer encore davantage son image grâce à des programmes de coopération, et en particulier l’attribution de bourses, sur le modèle déjà existant mis en place par les pays européens. Dans cette optique, Pékin a développé depuis ces dernières années une politique visant à promouvoir ses intérêts dans le domaine à la fois éducatif et culturel, destiné au monde arabo-musulman. Cette politique ne s’embarrasse d’aucun préjugé idéologique et ne cesse de démontrer au contraire sa très grande capacité d’adaptation. Ainsi, l’université jésuite Saint Joseph de Beyrouth au Liban a ouvert ses portes à l’Institut Confucius. Plus au sud, à Jeddah (Arabie Saoudite) a été fondé le « Gulf Research Center » ; think tank travaillant à la promotion des Routes de la soie. Ces relais d’opinion complètent les activités de la « Egyptian Chinese University » fondée à l’initiative du Président Morsi, en 2013 au Caire. Elle est la première université en médecine créée dans le monde arabe et en Afrique du Nord avec le concours de l’Université chinoise du Liaoning. Indépendamment de ces initiatives conjointes, l’intérêt pour la langue et la civilisation chinoises s’intensifie dans la région.
L’Université du Qatar est à l’avant-garde dans la promotion de cours axés sur les relations séculaires entre la Chine et le monde musulman. Plus généralement, on observe qu’en 2012, le nombre d’étudiants arabes en Chine atteignait le nombre de 10 000 personnes. Soit 70 % de plus qu’en 2010 et ce nombre croît de 30 % chaque année. Cette appétence pour la Chine a trouvé un écho très favorable puisqu’en janvier 2016, le China Scholarship a annoncé l’attribution de 10 000 bourses pour des étudiants arabes, ainsi que la mise en place de 10 000 formations et l’organisation d’un programme de 10 000 visites mutuelles d’artistes arabes et chinois. Notons à ce sujet la tendance déjà existante de l’envoi des enfants d’élites de certains pays sur les campus chinois. Et ce, en provenance des pays africains plus particulièrement. L’exemple bien connu est celui de l’actuel Président éthiopien, Mulatu Teshome. Ce dernier a étudié pendant 12 années en Chine et était un camarade de classe de Li Keqiang, le premier Ministre chinois. Pour la formation de ces élites, la Chine pourrait être amenée à définir des synergies voire des projets de coopération avec un pays musulman, précisément, qui en Asie du Sud-Est, demeure un pôle d’attraction privilégié pour les élites du monde islamique. Il s’agit de la Malaisie. Kuala Lumpur, en effet, est un haut lieu de formation dans le domaine de l’éducation. Selon les chiffres du Ministry of Higher Education Malaysia, 86 923 étudiants non-autochtones viennent y suivre des cursus aussi divers que des études scientifiques ou théologiques. Fait intéressant, en quelques années, les étudiants chinois sont devenus la seconde population étudiante étrangère de la fédération. Parmi eux, des Huis ou Chinois convertis à la religion de Mahomet… Ils étaient 10 214 en 2010 (9 177 en 2009). Ils se classent derrière le contingent des étudiants iraniens (11 823 en 2010), mais devant celui des étudiants indonésiens (9 889 en 2010), qui constituaient jusqu’alors la population étudiante étrangère la plus importante présente en Malaisie. De ces nouveaux viviers naîtront de nouvelles configurations culturelles issues d’un monde globalisé. Elles contribueront certainement au changement du monde musulman, arabe et non-arabe, comme à celui de la Chine.
Emmanuel Lincot
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