
[La Chine et ses voisins] Chine-Afghanistan : désenclaver, sécuriser… une relation qui peut rapporter gros à Kaboul
Moins de 80 kilomètres de frontière séparent les deux pays, laquelle se trouve dans le prolongement du corridor de Wakkan. Son existence est la conséquence du Grand Jeu, politique visant à définir les aires d'influences respectives de la Russie (actuel Tadjikistan au nord) et de l'Empire britannique (actuel Pakistan au sud) et qui fit de l'Afghanistan un État tampon entre eux deux. Située dans une région de haute montagne, son point culminant se situe à 4 923 m d'altitude et donne accès à l'Hindu Kush. La différence de fuseau horaire entre la Chine et l’Afghanistan est la plus grande au monde. Les différences culturelles ne le sont pas moins. Pourtant les relations entre les deux États ont été établies dès 1955 et Zhou Enlai, alors ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, s’y rendit moins de deux ans plus tard. Pékin a su maintenir des contacts avec les différentes factions tandis que le pays était déchiré par la guerre civile d’une part, et l’invasion de son voisin soviétique à partir de 1979, de l’autre. Le gouvernement de Kaboul n’a jamais cessé depuis de se rapprocher des positions défendues par la Chine pour l’avenir de la région. Retour à la paix et développement économique demeurent plus que jamais à l’agenda des relations bilatérales. Le règlement du problème sécuritaire en Afghanistan est aussi la clé pour un avenir pacifié dans toute l’Asie centrale.
Longtemps discrète, la diplomatie de la Chine s’est traduite par un engagement pragmatique vis-à-vis de son voisin afghan. Même si les Occidentaux occupent encore aujourd’hui le devant de la scène, l’audience acquise par la Chine dans ce pays après la chute du régime des Talibans et les attentats du 11 septembre n’a cessé de s’amplifier. Dès l’intervention militaire des États-Unis dans ce pays, la Chine a soutenu des principes qu’elle considère comme intangibles : respect de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Afghanistan. Pékin a également soutenu l’envoi d’une force multinationale (ISAF – International Security Assistance Force) – sans y prendre part – tout en soutenant l’idée d’une coalition permettant de représenter l’ensemble des groupes ethniques du pays. À la différence des Occidentaux, Pékin n’a donc pas écarté des négociations les Talibans ; position que partage également son allié pakistanais. Le but étant pour Pékin de prévenir le maintien d’un foyer d’instabilité qui, par contagion, pourrait provoquer des troubles dans sa province occidentale du Xinjiang. Enfin, le retour à la stabilité en Afghanistan permettra d’éviter une pérennisation de la présence et de l’influence américaines dans ce pays que convoite également l’Inde, autre grand rival de la Chine. Que ce soit par la construction du barrage Salma ou celle du parlement de Kaboul, les initiatives de New Dehli sont nombreuses et elles ne laissent pas les autorités chinoises indifférentes. Non plus que les potentialités et les ressources du pays estimées à plus de 3 000 milliards de dollars.
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Des initiatives ambitieuses
C’est dans ce contexte de compétition intense que Pékin a massivement investi dans l’exploitation des mines de cuivre de Mes Aynak. La China Metallurgical Group Corporation (MCC) et la Jiangxi Copper Company Limited dans le sud-est du pays, y ont investi, là même où se trouvent de très importants sites archéologiques fouillés avec la coopération de la DAFA (Délégation archéologique française en Afghanistan) – dans une région réputée pour son histoire liée aux anciennes routes de la soie. Ce projet s’est pour la première fois concrétisé à l’issue de la visite du président Hamid Karzai à Pékin en janvier 2002. À cette occasion, le gouvernement chinois s’était engagé à fournir 150 millions de dollars à Kaboul (un montant comparable à celui accordé par les Occidentaux et le Japon réunis). Cette aide, déjà substantielle pour l’époque, s’inscrivait dans une volonté pour Pékin de contribuer au développement de son voisin pour y éradiquer à terme les maquis islamistes d’Al Qaida qu’avaient alors rejoints un certain nombre de terroristes ouïgours, mais aussi le trafic de drogue. C’est dans ce cadre aussi que le Premier ministre Zhu Rongji avait décidé de mettre en œuvre sa politique de « développement du grand Ouest » (Xibu da kaifa) et d’étendre sa « politique périphérique » (zhoubian zhengce) afin d’assurer un environnement régional stable et garantir ainsi la croissance du Xinjiang et celle des pays limitrophes. Pour ce faire, la Chine incite dès le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) se tenant à Tachkent, en 2004, à associer les autorités afghanes à leur groupe de discussion comme membre observateur. L’intensification des relations sino-afghanes se traduit par ailleurs dans le secteur des télécommunications par une percée significative de Huawei et ZTE. En 2006, un contrat de 64,5 millions de dollars est signé avec le gouvernement afghan pour le développement par ZTE du réseau de la fibre optique à travers le pays. Moins de dix ans plus tard, 90 % de la population sera déjà en mesure d’en bénéficier.
Le désenclavement du pays passe aussi par l’aménagement de routes. À ce titre, la China Road réalise des travaux préliminaires sur la route Kalaikhoum–Rushan, à la frontière afghane. Elle offrira à l’Afghanistan d’autres débouchés sur l’Asie centrale que ceux reliant le pays au Pakistan. Cette ouverture est essentielle et les grandes capitales centrasiatiques l’ont compris chacune à leur tour. Ainsi, à l’issue de la conférence de Doha de septembre 2020 qui réunissait les représentants des Talibans et le gouvernement afghan, le chef de l’État ouzbek Shavkat Mirziyoyev a proposé l’établissement d’un comité permanent des Nations Unies sur l’Afghanistan. Force de proposition, l’Ouzbékistan s’est vu confier par l’Organisation de coopération de Shanghai l’ouverture d’un Bureau général de renseignement pour rendre plus efficace la lutte entreprise par chacun de ses membres contre le terrorisme islamiste. Une préoccupation également partagée par la diplomatie turque qui, chaque année davantage, et voyant sa candidature à l’Union européenne rejetée, s’est vu reconsidérer sa diplomatie plus à l’est. Très significatif est le lancement depuis 2011 par Ankara du « Processus d’Istanbul ». Il se donne pour objectif « la stabilité et la prospérité au cœur de l’Asie par des mesures de confiance et des intérêts régionaux partagés ». Quinze pays d’Asie et du Moyen Orient (dont la Chine et la Russie) en sont membres. Le Processus avait été accueilli à Pékin, en octobre 2014, pour aborder les problèmes sécuritaires posés notamment par le retrait programmé des troupes de l’OTAN de l’Afghanistan. Un an plus tard et en décembre, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, assistait à la 5e conférence ministérielle du Processus d'Istanbul sur l'Afghanistan, se déroulant cette fois à Islamabad, au Pakistan. Si les initiatives des pays membres du Processus d’Istanbul n’ont pas été abandonnées, comme le rappelle avec force le sommet organisé par le président turc Erdogan à Istanbul même en décembre 2019, elles ont laissé place à un projet plus global et qui reste une priorité pour le président chinois, Xi Jinping : Les Nouvelles Routes de la soie (Belt & Road Initiative – BRI –, en anglais).
La Belt and Road Initiative (BRI) au service de la paix
La rencontre en cela entre les chefs de l’exécutif chinois et afghan (à l’époque Abdullah Abdullah, aujourd’hui président du Haut conseil pour la réconciliation nationale) à Pékin en mai 2016, apparaît rétrospectivement comme un tournant. C’est à la suite de cette rencontre que les autorités chinoises obtiennent de leur allié pakistanais l’ouverture de cinq postes de douanes pour désengorger l’une des rares routes permettant l’approvisionnement de l’Afghanistan depuis le port de Chabahar, en Iran. L’objectif est clair : créer un vaste réseau de communication pour à la fois pacifier et faciliter les débouchés et les infrastructures nécessaires à l’exploitation chinoise des gisements miniers mais aussi pétroliers de l’Afghanistan ; ces derniers étant particulièrement prometteurs dans le bassin de l’Amou Darya où la China National Petroleum Corporation (CNPC) est également présente. En 2018, le volume total des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afghanistan s’élevait à 690 millions de dollars. En comparaison, sur l’année fiscale 2017/18, le volume des échanges sino-pakistanais correspondait à 13,2 milliards de dollars. Cette insuffisance des échanges bilatéraux est liée au contexte politique de l’Afghanistan, ravagé depuis plus de 40 ans par la guerre civile. Reprise des liaisons aériennes entre Kunduz, dans le nord-est afghan et Urumqi, la capitale de la province chinoise du Xinjiang d’une part, et développement des voies d’accès terrestres d’autre part, devraient contribuer à l’augmentation de ces échanges.
Pour sécuriser le pays et les points névralgiques où sont concentrés les intérêts chinois, l’aide apportée par Pékin au développement des capacités de l’Armée nationale afghane (ANA) et du reste des forces de sécurité du pays s’est élevée à plus de 70 millions de dollars entre 2015 et 2018. Tous ces facteurs contribueront à porter à l’avenir la coopération économique entre les deux pays à un niveau supérieur, à asseoir davantage le rapprochement sino-afghan et l’audience chinoise à Kaboul.
Emmanuel LINCOT est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.
Photo du haut: le corridor de Wakhan, langue de terre longue de 210 km et large de 20 à 60 km, relie l’Afghanistan à la Chine dans l’une des régions montagneuses les plus reculées du pays. Faiblement peuplée, elle n’est franchie par aucune route. © Pixy
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