[La Chine et ses voisins] Chine - Kazakhstan : la lune de miel ?

1613993238308 Le 9 Emmanuel Lincot

Cherchant un contrepoids à l’influence de Moscou, ce géant de l’Asie centrale s’est naturellement tourné du côté de Pékin. Un partenaire très apprécié en Chine quand on connaît les incroyables richesses que recèle le pays. Côté kazakh, on ne démord pas non plus de l’intérêt pour la Chine avec le temps.

Indépendant depuis 1991 à la suite de l’effondrement de l’URSS, le Kazakhstan, véritable État-continent (2 724 900 km²) partage plus de 1 500 kilomètres de frontière avec la Chine. Ce pays représente 2 % des réserves mondiales de pétrole ainsi que la deuxième réserve mondiale d’uranium. En étant le 9e plus grand pays du monde, le Kazakhstan assume sa place de pont entre l’Extrême-Occident et l’Extrême-Orient. Sa partie orientale et la province chinoise du Xinjiang constituent un axe-pivot des intérêts stratégiques chinois et pour la réalisation du projet des Nouvelles Routes de la soie. C’est aussi un État tampon entre la Fédération de Russie et la plus grande partie de l’Asie centrale. Au reste, un tiers des 1 874 4548 habitants que compte le pays sont d’ethnie russe, majoritaire au nord. Ce fait n’est pas sans rapport avec l’implantation de sa nouvelle capitale Astana (désormais baptisée Noursoultan) en lieu et place d’Alma-Ata (Almaty), plus méridionale. Cette très forte relation russo-kazakhe, signifiée par son adhésion à la Communauté économique eurasiatique ou encore à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), ne doit pas dissimuler la volonté pour le Kazakhstan de développer une diplomatie multivectorielle afin de réduire sa dépendance envers Moscou. Membre actif de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le Kazakhstan entretient des relations soutenues avec la Chine vers laquelle des quantités croissantes de pétrole et de gaz sont exportées à travers la porte de la Dzoungarie (lieu de passage des invasions mongoles dans le sens inverse au Moyen Âge). 

CARTE

Une coopération économique soutenue 

Les dirigeants kazakhs voient en leur pays le prototype de l’État eurasien. Nul ne peut comprendre la politique de son premier dirigeant, Noursoultan Nazarbaiev, non plus que son adhésion au projet chinois des Nouvelles Routes de la soie sans se référer à cette dimension historique. C’est d’ailleurs depuis le Kazakhstan que le président Xi Jinping a prononcé son discours fondateur annonçant, en 2013, le lancement de son projet « yi dai yi lu » (en anglais : « One Belt One Road »). Au fil des ans, le gouvernement du Kazakhstan s’est employé à renforcer les liens avec la Chine, avec pour objectif de consolider l’indépendance de son pays. Après l’Union européenne (très présente dans l’exploitation pétrolière dont la France est de tous les Européens le premier importateur), arrivant largement en tête des investisseurs étrangers au Kazakhstan, la Chine continue d’investir massivement chez son voisin. D’après les annonces du président Kassym-Jomart Tokaïev, au début du mois de septembre 2019, le volume des investissements chinois depuis l’indépendance a atteint les 20 milliards de dollars (18,44 milliards d’euros) – sur les 300 milliards de dollars (276,6 milliards d’euros) d’investissements étrangers au total. Ces investissements sont garantis pour l’essentiel par l’État chinois dont les entreprises sont présentes dans le domaine des infrastructures. 

Ainsi, le réseau de transport de la capitale est aménagé grâce à des investissements chinois. Il en va de même pour le projet d’infrastructure reliant la Chine à l’Europe par le rail avec l’aménagement du gigantesque hub ferroviaire de Khorgos à la frontière de Yining, ou par l’extraction et l’exportation de matières premières, telles que les métaux (4e réserve mondiale de cuivre ; 6e réserve mondiale de zinc ; 7e réserve mondiale de cobalt et cadmium ; 8e réserve mondiale d'or sans compter de nombreuses réserves en terres rares et en charbon) ou le pétrole, du Kazakhstan vers la Chine. La proximité géographique est naturellement l’atout du Kazakhstan aux yeux de Pékin, dont le principal intérêt est de s’assurer un approvisionnement supplémentaire en matières premières. Un oléoduc reliant Atasu (centre du Kazakhstan) à Alashankou dans le Xinjiang a été inauguré en 2006. S’y est ajoutée, trois ans plus tard, la construction d’un gazoduc reliant également la Chine. Il permet à Pékin d'accéder directement aux gigantesques réserves pétrolières de la mer Caspienne et d’établir ainsi un continuum avec le Turkménistan voisin où la Chine a engagé de très nombreux projets d’exploitation gazière. D’après les estimations des experts, la Chine a absorbé depuis 2005 près d’un tiers de la croissance de l’offre mondiale en pétrole. En mai 2003, la Chine, se calquant sur les stratégies occidentales, a commencé à se constituer des réserves stratégiques de pétrole. Les prévisions estiment que, d’ici à 2025, les membres de l’OPEP fourniront 66 % des importations chinoises en pétrole, contre 20 % pour les pays post-soviétiques. 

Un renforcement du dispositif sécuritaire et culturel 

La pérennité de ces échanges nécessite le développement d’une coopération contre le terrorisme. Pékin est préoccupé par la stabilité du Xinjiang et de son voisinage proche. Elle a ainsi transféré des équipements non létaux (systèmes de communication et de transport) au Kazakhstan et, en 2016, des drones Wing Loong. C’est à des fins à la fois économiques et sécuritaires que répond l’Organisation de coopération de Shanghai, créée à l’initiative de la Chine et dont le Kazakhstan est membre. Si elle n’est en aucun cas une alliance militaire comparable à l’OTSC (l’Organisation du traité de sécurité collective) fondée par les Russes, elle n’en est pas moins une plateforme de coopération pour la sécurité régionale. La lutte contre les « trois forces » – le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux – a été mise à l’agenda des activités réunissant ses membres. Il existe toutefois une coopération militaire au sein de l’OCS, mais celle-ci se limite aux exercices conjoints « Mission de paix » qui ont lieu annuellement. Cependant, ces exercices ne permettent pas une réelle intégration des chaînes de commandement, ni l’interopérabilité entre les forces. La coopération en matière de lutte antiterroriste est le seul domaine à avoir été véritablement institutionnalisé au sein de l’OCS, au travers de la Structure régionale antiterroriste (RATS en anglais). Institution créée en 2004 et basée à Tachkent en Ouzbékistan, elle constitue une plateforme d’échange de renseignement entre les militaires, les services de renseignement et les services de police des États membres. Si la présence d’organisations terroristes islamistes (Tablighi Jamaat, Jamaat of Central Asian Mujahedins, Hizb-ut-Tahrir) sur le territoire kazakh a été plus d’une fois avérée, c’est surtout la East Turkestan Liberation Organization (ETLO) dont les membres prônent une indépendance du Xinjiang qui est la plus activement recherchée. 

Apprendre et utiliser le chinois au Kazakhstan devient important, au point que 14 000 Kazakhs étudient désormais en Chine chaque année. Un chiffre en hausse constante.

Le trafic d’héroïne dans le pays est insignifiant comparé à d’autres pays de l’Asie centrale, au Tadjikistan ou à l’Afghanistan. Toutefois, à partir des années 2000, il a significativement augmenté dans l’ouest du pays. En difficulté du fait même des restructurations industrielles, ces régions riveraines de la Caspienne ont été victimes d’émeutes (2011) puis d’attentats terroristes (2012) perpétrés par des islamistes, tous d’ethnie kazakh. Ces attentats ont choqué l’opinion alors que l'islam n'est pas profondément ancré chez ces nomades que furent les Kazakhs. L’islam y reste d’ailleurs teinté de pratiques traditionnelles, chamaniques entre autres. Pour éradiquer ces risques de radicalisation, le pouvoir kazakh mise sur un développement économique avec la Chine en particulier qui a su développer une politique de coopération pour la formation de ses jeunes et mettre en valeur les progrès technologiques. Ainsi, l’octroi de bourses spéciales, baptisées « Routes de la soie », qui couvrent les frais des étudiants kazakhs à Lanzhou a été mis en route. Rien qu’en 2016, 14 000 étudiants sont venus en Chine, dépassant les limites du programme kazakh « Bolachak », le programme phare du gouvernement kazakh pour les bourses à l’étranger. Il existe par ailleurs à l’heure actuelle cinq Instituts Confucius au Kazakhstan. Apprendre et utiliser le chinois au Kazakhstan devient important. Au point que 14 000 Kazakhs étudient désormais en Chine. Ce chiffre est en hausse chaque année. Plus les initiatives chinoises prennent de l’ampleur et se développent sur le territoire du Kazakhstan, plus ce dernier a besoin de cadres qui maîtrisent le mandarin. L’intérêt pour la Chine se renforce au Kazakhstan, notamment à travers cette volonté d’en étudier la langue. Lors de sa visite au Kazakhstan en 2017, le président Xi Jinping a annoncé qu’au cours des cinq prochaines années, le gouvernement chinois augmenterait le nombre de bourses accordées aux étudiants du Kazakhstan. L’ambassade de Chine s’est considérablement impliquée dans ce programme et souhaite continuer d’œuvrer à l’amélioration des conditions d’apprentissage du chinois et à l’élaboration, en collaboration avec la partie kazakhe, d’un programme d’études adapté aux étudiants kazakhs. 

L’ambition de cette coopération est de faire du Kazakhstan un partenaire de longue durée, et dans un contexte de paix en privilégiant le domaine de la formation des jeunes dans les secteurs de l’innovation technologique et de l’énergie du futur. Au reste, c’est à partir de ce thème que la capitale du Kazakhstan avait accueilli en 2017 l’exposition universelle à laquelle la Chine avait naturellement participé. Un programme d’action pour la durabilité mondiale qui ne demande qu’à être tenu. 

Emmanuel Lincot est spécialiste d'histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l'Institut catholique de Paris.

Photo : Vue d’Almaty, l’ancienne capitale du Kazakhstan, avec en fond, les monts Tianshan qui séparent le pays de la Chine. © Michael Grau, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

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