Vaccins chinois : défiance justifiée ou simple malentendu ?

1622539926207 Le 9 Sacha HALTER

Certains pays européens n’ont pas attendu l’autorisation de mise sur le marché du vaccin Spoutnik V par l’Agence européenne du médicament (EMA) pour passer commande auprès de la Russie. Ils ont décidé de la « jouer perso », en passant par des procédures nationales d’homologation. Certains font aussi ce choix avec les vaccins chinois, comme la Hongrie, qui s’est procuré des doses du laboratoire chinois Sinopharm sans attendre que le débat sur son efficacité clinique n’atteigne les couloirs de Bruxelles. Pourquoi l’Union européenne tarde-t-elle tant à acheter des vaccins chinois ? Sa défiance est-elle vraiment motivée ? Où en est-on dans la recherche sur les vaccins chinois ?

Il aura fallu attendre le début du mois de mai pour que l’Agence européenne du médicament (EMA) lance une procédure d’examen continu pour un premier vaccin chinois, conçu par le laboratoire Sinovac. Une longue procédure dont se sont justement passés certains pays européens non membres de l’UE. L’image du président serbe, Aleksandar Vucic, vacciné avec le vaccin chinois Sinopharm, a par exemple fait le tour des médias européens. Plus dernièrement, c’est aussi le cas de la Hongrie, pourtant membre de l’Union européenne. Si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’efficacité des vaccins chinois, la dispersion des résultats au niveau des tests cliniques continue d’alimenter un certain scepticisme. Pourtant de plus en plus de pays dans le monde passent commande auprès de la Chine. 

L’OMS reconnaît l’efficacité des vaccins chinois 

Si l’Union européenne est longtemps restée réticente à l’idée de se procurer des vaccins chinois, c’est parce que leur efficacité clinique n’est pas très élevée. C’est en tout cas ce qu’affirmait Gao Fu, directeur du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, à l’occasion d’un colloque organisé à Chengdu le 10 avril dernier. Certains journalistes européens n’avaient alors pas hésité à évoquer une « faille dans la communication chinoise ». En réalité, il n’y a pas de scoop. Les laboratoires chinois n’ont jamais nié que le taux d’efficacité de leurs vaccins n’atteignait pas ceux développés par les laboratoires russes et occidentaux. Dans une interview accordée au Global Times, le 11 avril, Gao Fu a par ailleurs rappelé que ses propos avaient fait l’objet d’un malentendu. Il affirmait ainsi que « la voie à suivre pour remédier aux faibles taux de protection des vaccins existe, et doit être envisagée. » 

Le jugement de l’OMS est un peu plus mesuré. Le média chinois Economic Daily a ainsi rapporté les propos d’Alejandro Cravioto, président du Groupe consultatif d’experts de l'OMS. Selon ce dernier, les informations communiquées publiquement par les deux laboratoires chinois Sinopharm et Sinovac ont clairement démontré l’efficacité de leurs vaccins, qui répondent aux exigences de l’OMS pour « une protection vaccinale d’environ 50 %, et de préférence proche ou supérieure à 70 % ». Margaret Harris, porte-parole de l’OMS, a également ajouté que les deux nouveaux vaccins de Sinopharm et Sinovac allaient recevoir des « autorisations d’utilisation d’urgence ». C’est chose faite depuis le 7 mai dernier, pour le vaccin de Sinopharm, aussi intégré au dispositif financier Covax, qui vise à assurer une distribution équitable des vaccins dans tous les pays du monde. 

Les raisons du malentendu : la dispersion des résultats 

Les résultats des tests cliniques des vaccins chinois sont assez dispersés. Comme le mentionne le média chinois de santé cn-healthcare, le vaccin de Sinovac, de type « inactivé », a été testé au Brésil, en Turquie et en Indonésie. Les taux d’efficacité annoncés y ont successivement varié. En Turquie, le 24 décembre dernier, ce taux était de 91 %. En Indonésie, il était de 65,3 % le 11 janvier. Au Brésil, en février, il était de 50 %. Il serait pourtant hasardeux d’assurer que cela prouve une « faible efficacité » des vaccins chinois. En effet, à la différence de leurs homologues occidentaux, les laboratoires chinois n’ont pas pu effectuer les tests cliniques de leurs vaccins au sein de leur propre pays. La raison est simple : la Covid-19 ne circulait plus assez en Chine pour que l’efficacité puisse y être mesurée correctement. Les laboratoires chinois ont donc été contraints de signer des partenariats avec des pays touchés de plein fouet par le virus. Le problème étant que ceux-ci ont des caractéristiques assez différentes : niveau de circulation du virus, taille de la population, nombre de contaminations, normes au niveau des tests cliniques, etc. Il est donc normal que les résultats soient dispersés. 

De même, Sinovac n’est pas le seul laboratoire chinois à faire la course au vaccin. La société chinoise Cansino a elle aussi publié les résultats des tests de phase III pour son vaccin, en février dernier. Selon le média chinois jrj.com, ce vaccin a été testé sur une cohorte de 40 000 personnes, avec des résultats plutôt encourageants : 65,28 % d’efficacité, et même 90,07 % pour les formes graves de la maladie. Enfin, il est également désormais possible de compter sur le vaccin du laboratoire Sinopharm, efficace à plus de 79,34 % selon le Mécanisme conjoint de prévention et de contrôle du Conseil des Affaires de l’État. Pour résumer, les vaccins chinois ne sont pas si mauvais que cela. 

De plus en plus de pays passent commande auprès de la Chine 

La Chine continue d’exporter toujours plus de vaccins dans le monde. À la différence de l’Inde, des États-Unis ou de l’Europe, la situation sanitaire de la Chine est assez bonne. Elle n’a donc pas besoin de produire en priorité pour ellemême. Comme le mentionne Xinhua, la Hongrie a été l’un des premiers pays européens à passer commande des vaccins chinois. Le 22 mars, la directrice générale de la Santé en Hongrie, Cécilia Muller, annonçait ainsi que l’autorité hongroise de pharmacovigilance homologuait la mise sur le marché du vaccin de Cansino. L’attractivité des vaccins chinois se porte tout aussi bien en dehors de l’Union européenne. Comme le rappelle le média chinois Nanfang Ribao, la Chine a déjà exporté plus de 100 millions de doses, contre 55 millions pour l’Inde et 46 millions pour l’Union européenne. Selon cn-healthcare, ce ne sont pas moins de 40 pays qui ont reçu des doses de vaccins chinois, et notamment de nombreux pays en voie de développement. Il faut dire que les vaccins chinois sont plutôt bon marché : le prix moyen d’une dose est de 17 dollars (xianjichina.com). 

Quand la Chine milite pour que les vaccins deviennent un « bien public mondial » 

Selon le média chinois xianjichina. com, en avril, 87 % des vaccins contre la Covid-19 du monde étaient encore réservés aux pays les plus riches. Dans le même temps, les pays à très faibles revenus ne percevaient que 0,2 % de la production mondiale. Une injustice qui pousse certains à revendiquer que la propriété intellectuelle sur les vaccins contre la Covid-19 soit levée, au moins provisoirement. Sur ce sujet, les négociations n’ont pas lieu à l’OMS, mais à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et nécessitent le consensus de tous les États membres. La Chine n’a jamais caché qu’elle soutenait cette stratégie, et qu’elle souhaitait que les vaccins deviennent des « biens publics mondiaux ». Une position rappelée par le ministère chinois du Commerce, le 13 mai dernier (Global Times). Si les États-Unis ont finalement aussi soutenu cette possibilité, l’Union européenne continue encore de s’y opposer.


Photo © LUO Man/Xinhua

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