Le premier Code civil chinois : une encyclopédie de la vie sociale à l'ère du numérique

1592391328000 Chine-info Pierre Picquart

Le 1er Code civil de la République populaire de Chine est né. Si ce n’est pas un grand bouleversement des principales règles du droit chinois qui détermine le statut des personnes, comme celui des biens et des relations entre les personnes privées, c’est une véritable révolution dans le domaine de la justice chinoise. C’est aussi une innovation majeure, car ce Code civil était attendu depuis la création de République populaire de Chine en 1949.

Ce Code civil entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Lors de la 3e session de la 13e Assemblée populaire nationale (APN), la plus haute législature de la Chine, les parlementaires chinois ont voté le 28 mai 2020 en faveur du premier Code civil. Malgré six décennies de discussions, 4 tentatives infructueuses (de 1954 à 1956, de 1962 à 1964, de 1979 à 1984 et de 1998 à 2002) et des amendements, aucune version finale n'avait abouti pour diverses raisons, dont l’oscillation sur les questions de l’ouverture et du protectionnisme.

Origines et adaptation du droit chinois

Si la Chine attend son Code civil, sa tradition juridique est ancienne. Avant sa révolution de 1911 et la fin de la dynastie Qing, son système juridique était influencé par divers courants traditionnels. D’une part, la pensée confucianistei, hiérarchisée, morale et sociale, visait l’harmonie des relations humaines et de la société, avec un chef pour chaque lieu. D’autre part, l’école légiste favorisait des règles écrites. Puis, le Code Tangii fut la base des systèmes pénaux chinois jusqu’en 1912. Avec la fondation de la République de Chine (1912-1949), ce fut le tour des juristes du droit civil et du droit européen romano-germaniqueiii.

À la naissance de la République populaire de Chine, en 1949, le droit est influencé par l'Union soviétique puis il est remis en question par la révolution culturelle (1966-1976). Dès 1979, la politique de « réforme et d'ouverture » de Deng Xiaoping impliqua la réforme essentielle d’établir la primauté d’un État de droit universel dans la Constitution chinoiseiv. Cela renforce la gouvernance de la Chine, avec un État plus diligent et plus responsable.

Renforcer l’autorité du droit est une tendance irréversible en Chine. En atteste la Constitution de 1982, qui fixe le but de développer et de perfectionner la démocratie et la légalité. La Chine a gagné ce 1er pari de la légalité administrative avec les compétences et l’organisation des gouvernements – central et locaux – définies dans les textes législatifs. De la politique du Parti à la loi de l’État, nous sommes témoins de la dépolitisation des activités administratives avec « la légalité administrative » et « l’administration en vertu de la loi ».

Depuis 1980, pour élaborer sa nouvelle législation, les juristes chinois et les experts internationaux ont examiné les droits des autres pays, qu’ils soient d’origine occidentale, asiatique, d’inspiration marxiste ou capitaliste. Avec son ouverture au monde, sa volonté de bâtir un État de droit respectant les droits de l’homme, ses efforts dans le domaine de la législation et de la réglementation, et un bon équilibre entre le pouvoir administratif et ses administrés, la Chine a désormais un système juridique, certes perfectible, mais qui constitue un régime de droit complet semblable à celui de la plupart des pays du monde.

Les textes empruntés aux codes juridiques des pays tiers sont débarrassés de leurs fondements originaux et adaptés à la réalité et au contexte chinois. Le nouveau Code civil chinois respecte la hiérarchie occidentale des normes. Ainsi, la Constitution et les traités internationaux sont supérieurs aux lois qui l’emportent sur les règlements centraux et locaux. La loi protège la propriété privée et la propriété publique. Depuis les années 1980, le Parlement a adopté de nombreuses lois dans le domaine économique, commercial et administratif afin de faciliter le développement du pays et les relations avec les étrangers. Il restait à rendre le droit civil chinois plus accessible et plus lisible, un pari gagné en 2020.

Un Code civil, pour quoi faire ?

Dix consultations sur Internet ont recueilli les opinions des citoyens. Le cœur du Code civil est de donner la primauté au peuple et de placer l'être humain au 1er plan, devant les biens. En 1986, la Chine avait adopté les Principes généraux du droit civil. Dès 2014, des lois actualisées formaient un socle juridique cohérent, mais ni codifié, ni homogène. En 2017, la partie générale est adoptée, mais il fallait relier en un seul document les textes législatifs.

Avec 1 260 articles, le Code civil inclut 7 livres : partie générale, droits réels, contrats, droits de la personne, mariage et famille, successions et responsabilité civile. Pour la 1ère fois, tous les chinois seront soumis à une loi identique. C’est une encyclopédie de la vie sociale. Il favorise la protection des droits civils, au moment où la Chine édifie une société de moyenne aisance, une meilleure gouvernance et un État de droit. Première loi en Chine à porter le titre de Code, il établit les principes relatifs aux activités, au respect de la loi et aux relations civiles. Il reflète la volonté du peuple, ses droits et intérêts. Face au Big Data, il protégera la vie privée et la confidentialité des informations privées et personnelles.

En effet, le Code civil aborde pour la 1ère fois la notion de «données privées», en interdisant à une entreprise et au gouvernement d’accéder à ces informations sans un consentement préalable… Pour pallier aux divorces impulsifs, 30 jours seront nécessaires pour pouvoir divorcer... Couvrant les champs de la vie, des droits d'exploitation des terres, aux règles sur les transactions commerciales, en passant par le jet des détritus, ou la protection de la propriété virtuelle... le texte ne fait pas référence au planning familial et le nombre d’enfants par couple reste limité à deux. Pas d’avancée sur la légalisation du mariage homosexuel, une des principales suggestions des citoyens invités à donner leur avis sur ce Code civil.

Le nouveau Code civil chinois, très commenté sur les réseaux sociaux, va améliorer la gouvernance chinoise. Il est très attendu par les juristes, les cabinets d’avocats et la population. Peu de pays ont des textes dans leur Code civil dédiés à la protection des droits de la personne. Cette partie du Code civil chinois comprend des dispositions sur les droits d'un sujet à sa vie, à son corps, à sa santé, à son nom, à son image, à sa réputation, à sa dignité, et à sa vie privée : « Les droits de la personne, les droits de propriété et d'autres droits et intérêts légitimes des parties impliquées dans les relations civiles juridiques doivent être protégés par la loi et ne doivent pas être transgressés par aucune organisation ou aucun individu ».

Ce succès devait faire la fierté du Président Xi Jinping. Le Code civil chinois protège les intérêts des citoyens, en donnant une place croissante à l’individu, au peuple, à la société et à l’époque numérique. Le Code civil est un jalon dans le développement du système juridique à la chinoise. La rédaction a été enrichie par les conseils d'experts étrangers, notamment français. Ainsi, la codification créatrice française reste une référence, à l’image du Code Napoléon qui s’adaptera à divers régimes. Même si son contenu n’est pas révolutionnaire, le Code civil chinois devrait mieux répondre aux souhaits du peuple chinois.


[i] Confucius (551 av. J.-C. - 11 avril 479 av. J.-C.), philosophe de la civilisation chinoise est considéré comme le 1er éducateur de la Chine. Il a donné naissance au confucianisme, doctrine politique et sociale érigée en religion d'État dès la dynastie Han.

[ii] Le Code Tang, mélangeant l’héritage légiste et l'influence confucéenne, est l'une des grandes œuvres du système juridique chinois. Code pénal au début de la dynastie Tang (618-907) et enrichi par des ordonnances et textes, il fut la base des systèmes pénaux jusqu’en 1912 et inspira les codes d'autres pays d'Asie tels le Japon et la Corée.

[iii] Ce système a ses sources dans le droit romain, un système de règles codifiées, appliquées et interprétées par des juges.

[iv] La Constitution chinoise compte parmi les textes fondamentaux les plus fréquemment révisés au monde ; elle l’a été quatre fois depuis son adoption en 1982 : en 1988, en 1993, en 1999 et en 2004.

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