À Hong Kong, retour au réel
Le premier volet de
la réforme porte sur la sélection des candidats aux élections législatives. Le
texte précise que « le comité pour la sécurité nationale et la police de la
sécurité nationale » prépareront des rapports sur chacun des candidats afin de
garantir « le processus de contrôle du comité de validation ».
Avec cette
procédure, le gouvernement chinois se réserve donc la possibilité de déterminer
si un candidat est suffisamment patriote pour prétendre à un siège au comité
législatif, et il est clair qu’il fera en sorte d’écarter les candidats ayant
eu des activités antichinoises. Le deuxième volet de la réforme prévoit que le
nombre de sièges au comité législatif passera de 70 à 90. Seuls 20 sièges (soit
22 % du total) seront désormais attribués au suffrage universel direct, contre
35 sièges, soit la moitié du total, jusqu’à présent. 40 sièges seront octroyés
par un comité de personnalités qualifiées. Les 30 derniers sièges seront
désignés par les groupements socioprofessionnels.
Cette réforme a été
votée courant mars à l’unanimité des 167 membres du Comité permanent du
Parlement chinois, et elle entre désormais en application. Le Congrès des
États-Unis, en accord avec la Maison-Blanche, a immédiatement réagi en
confirmant les décisions prises sous l’administration précédente visant à
abolir le traitement spécial dont bénéficiait le territoire de Hong Kong. Mais
cette ingérence de Washington dans les affaires intérieures chinoises risque
d’être un coup d’épée dans l’eau. Comme le relève, le 4 avril, la chaîne CGTN,
le montant des capitaux affluant à Hong Kong en 2020 a atteint 50 milliards de
dollars, et le montant des capitaux levés par les introductions en Bourse à
Hong Kong s’est classé à la deuxième place mondiale. Et de nombreuses
entreprises américaines ont déclaré qu’elles allaient augmenter leurs
investissements à Hong Kong au cours des trois prochaines années.
Cette intervention
des États-Unis dans la gestion interne d’un territoire chinois est donc vouée à
l’échec. Mais il faut aussi rappeler qu’elle n’a aucune légitimité sur le plan
juridique. C’est une ingérence flagrante dans les affaires intérieures d’un
État souverain. En clair, c’est une violation inadmissible de la Charte des
Nations Unies. Depuis quand un État est-il fondé à prendre des dispositions à
propos de l’administration territoriale d’un autre État ? La République populaire
de Chine s’occupe-t-elle de la gestion administrative de la ville de New York ?
Le gouvernement chinois se mêle-t-il du système électoral américain, pourtant
moribond, et dont la planète entière a contemplé le spectacle pathétique ? En
fait, l’attitude de Washington repose constamment sur des distorsions de
langage, et elle occulte l’histoire des relations entre la Chine, Hong Kong et
les puissances occidentales.
Ainsi la gestion de
Hong Kong est une affaire intérieure chinoise. Mais la propagande occidentale
la transforme en un conflit international. Le retour de Hong Kong à la mère
patrie est une décolonisation. Mais la propagande occidentale fait comme si
c’était une colonisation de Hong Kong par la Chine. En réalité, la question de
Hong Kong est le legs historique d’une époque passée et définitivement révolue.
Les Occidentaux sont-ils mûrs pour l’accepter ? Ce territoire était chinois
depuis toujours. Il est devenu une colonie britannique lorsqu’il a été arraché
à la Chine. Aujourd’hui, le temps des colonies est terminé. Hong Kong a un «
régime d’administration spéciale » que la République populaire de Chine a
instauré lors de la signature de l’accord sino-britannique. C’est dans ce cadre
juridique que le gouvernement chinois administre de manière souveraine le
territoire de Hong Kong. Car Hong Kong c’est la Chine, au même titre que Pékin
ou Shanghaï.
Il semble que le
monde occidental ait oublié la véritable histoire de Hong Kong, et cet oubli
est la cause de nombreuses confusions. La conquête coloniale du « port parfumé
», au XIXe siècle, s’est déroulée en trois étapes. Les Britanniques ont annexé
l’île de Hong Kong en 1842 à la suite d’une « guerre de l’opium » qui a
précipité la ruine de l’empire des Qing et livré la Chine à la voracité des prédateurs
coloniaux. La presqu’île de Kowloon a ensuite été arrachée à l’empire en 1860
lors de l’intervention militaire franco-britannique qui a dévasté le palais
d’été à Pékin. Enfin, les « nouveaux territoires » ont été cédés à Londres en
1898 pour une durée de 99 ans à la suite des nouvelles humiliations infligées à
la Chine par les envahisseurs étrangers. C’est cet ensemble territorial –
aujourd’hui dénommé « région d’administration spéciale de Hong Kong » – qui a
été solennellement restitué à la République populaire de Chine en 1997 selon
des modalités définies par l’accord de 1984.
Cet accord était un
compromis entre une puissance coloniale déclinante, la Grande-Bretagne, et une
grande puissance émergente qui privilégiait la négociation, la Chine. Pékin
aurait pu reprendre Hong Kong par la force au colonisateur britannique qui se
l’était approprié de la même façon. Mais Deng Xiaoping a préféré une solution
négociée. L’accord sino-britannique a créé à Hong Kong un régime de
semi-autonomie fondé sur le principe : « un pays, deux systèmes », du moins
jusqu’en 2047. Pour Pékin, ce compromis présente un double avantage. Le premier
est d’ordre politique. Adeptes du temps long, les dirigeants chinois ont opté
pour une transition en douceur. La dépendance croissante du territoire à
l’égard du continent favorisera son assimilation progressive, sans préjuger de
son futur statut au-delà de 2047. Le second avantage est d’ordre économique :
dotée d’une rente de situation géographique, la place de Hong Kong s’est transformée
en plaque tournante de la finance asiatique.
En y maintenant un
régime spécifique, Pékin a pu l’utiliser afin d’attirer en Chine les capitaux
de la diaspora chinoise et ceux des investisseurs étrangers. Sas d’entrée pour
les flux financiers captés par les réformes économiques, ce minuscule
territoire de 1 106 km² et 7,5 millions d’habitants a continué à jouir, depuis
1997, d’un statut particulier dont il n’existe aucun équivalent (hormis Macao)
en Chine populaire. Le territoire a sa propre législation, sa propre monnaie,
ses propres équipes sportives. Mêlant élection et cooptation des dirigeants,
son système administratif est plus « démocratique » que celui qu’ont légué les
Britanniques. Les manifestants de 2019 réclamaient la démocratie en brandissant
des drapeaux britanniques, mais les premières élections au suffrage universel
ont eu lieu en 1991, c’est-à-dire après les accords de 1984.
Le retour au calme,
depuis plusieurs mois, montre que les contestataires hongkongais ont réfléchi
aux conséquences d’un embrasement de leur îlot de prospérité. La réforme du
système électoral va peut-être susciter des protestations, mais pour Pékin, la
priorité est d’assurer la stabilité politique du territoire afin de garantir
son développement. Les velléités séparatistes qui s’affirment sous couvert de «
démocratie à l’occidentale » n’entrent pas dans le futur de Hong Kong. Elles
seront combattues et éradiquées, car Hong Kong fait partie intégrante de la
Chine, et cette situation est irréversible. Pourquoi les Chinois devraient-ils
adopter un système politique inspiré de l’étranger, alors que leur propre
système fonctionne ? Et de quel droit les puissances occidentales exigent-elles
de la Chine qu’elle obéisse à leurs injonctions ? Cent ans de colonisation
étrangère n’ont pas réussi à priver la Chine de ce territoire qui lui
appartient depuis des millénaires et relève exclusivement de son
administration. Alors ce n’est pas un chiffon de papier du Congrès des
États-Unis, totalement illégal du point de vue du droit international, qui va y
parvenir.
Bruno Guigue
Photo © LI Gang/Xinhua
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