Chine antique : quand les femmes chinoises prenaient le pouvoir

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L’histoire ancienne de la Chine est généralement une affaire d’hommes. Entre le fonctionnaire lettré et le paysan, le pêcheur et le guerrier, il n’y avait pas vraiment de place pour les femmes. Il est courant d’imaginer que dans la vie publique comme au foyer, la femme chinoise était soumise à un ordre confucéen patriarcal. Il suffit de songer à la mode des pieds bandés ou à la destinée des filles dans le contrôle des naissances... Pourtant, la dynastie Han semble faire exception. Et peut-être même, contre toute attente, constituer l’âge d’or d’un pouvoir matriarcal en Chine…

Le pouvoir entre les mains des femmes, voilà certainement la dernière des pensées qui vient à l’esprit quand on évoque la dynastie chinoise des Han. C’est pourtant ce qu’évoque Wang Zijin, professeur et écrivain à la prestigieuse Université Tsinghua. Celui-ci s’est pris d’un intérêt particulier pour le pouvoir des femmes pendant la dynastie Han. À travers son livre Histoire de la dynastie Han, paru en octobre 2017, il démontre qu’à l’époque, le modèle confucéen de la subordination de la femme à l’homme ne s’était pas encore imposé. Longue époque de virils combats guerriers, la dynastie Han qui s’étend de 206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C. est plutôt connue pour la formation d’un État centralisé et la diffusion du confucianisme. Pendant la même période, l’Europe en était aux conquêtes d’Alexandre le Grand et à l'essor de l’Empire romain.

Le règne autocratique des impératrices

Wang Zijin rappelle tout d’abord le pouvoir des impératrices, tout aussi craint que celui de l’empereur. Liu Bang a fondé la dynastie Han et régné entre 202 et 195 av. J.-C. Son épouse, Lü Zhi, réputée cruelle et machiavélique, est à l’origine de la trahison d’un général de haut rang, Han Xin, qui malgré sa loyauté, était finalement devenu dérangeant pour le royaume. Pendant la guerre qui opposa les Han aux Chu, royaume voisin, l’impératrice Lü Zhi complota également contre Peng Yue, lui aussi militaire de haut rang de ce qui restait de la dynastie des Qin, précédant celle des Han. Après la mort de son époux, Lü Zhi prit sa place sur le trône et gouverna sans partage pendant plus de huit ans, en infligeant les plus immondes supplices à ses opposants. C’est ainsi qu’est apparu ce qu’on a appelé le pouvoir des « impératrices », qui disposaient aussi d’un pouvoir d’influence dans la nomination des hauts cadres de l’armée. Trois célèbres hommes de guerre ont ainsi été promus sur recommandation de femmes dans la dynastie. Pendant son règne entre 141 et 87 av. J.-C., l’empereur Han Wudi avait par exemple nommé comme général Guang Li, le frère de son épouse, Li Furen. Il épousa ensuite Wei Zifu et nomma également le neveu et le demi-frère de cette dernière, Huo Qubing et Wei Qing.

Sculpture d'époque Han. Musée Hanyangling, Shaanxi

L’existence d’une filiation maternelle

Autre aspect du pouvoir des femmes dans la dynastie Han : il était courant que le nom de famille soit transmis par la mère. Une pratique qui existait déjà pendant la dynastie Qin (221 – 207 av. J.-C.), notamment chez les peuples nomades des Xiongnu, dans l’actuelle Mongolie. Bien après la dynastie Han, et encore jusqu’au XIe siècle après J.-C., les noms de lignages féminins étaient toujours répandus : (Jī, Jiāng, Yíng, Sì, Guī, Jí, Yún, Chōu, È, Lào. 姬、姜、嬴、姒、妫、姞、妘、婤、姶、嫪 ). Une exception qui n’allait pas perdurer après la diffusion des préceptes confucéens, qui construisaient la piété filiale, respect des ancêtres et des aînés autour de la figure du père. Avec le confucianisme, chaque père cherchait dorénavant à faire perdurer la lignée masculine. Au contraire, pendant la dynastie Han, l’empereur Liu Qiang n’avait pas eu de fils, mais trois filles, sans que cela fût considéré comme mal venu. La situation aurait été vue comme la pire malédiction plus tard dans l’histoire chinoise.

L’amour courtois version chinoise

Les hommes chinois de la dynastie Han savaient aussi avoir de délicates attentions envers leurs épouses, préfigurant en quelque sorte « l’amour courtois » de l’Europe du Moyen Âge. Dans son ouvrage, Wang Zijin raconte l’histoire de Zhang Chang, un officiel et fonctionnaire de haut rang à la tête d’une principauté, pendant le règne de l’empereur Xuan, sur le trône de 202 à 195 av. J.-C. Zhang Chang avait pour coutume de maquiller lui-même les yeux de son épouse. Lorsque la nouvelle se répandit dans l’empire, elle amusa les gens du peuple, surpris qu’un homme de si haut rang s’adonne à de si tendres attentions. Les annales rapportent que ce comportement, étonnant sinon inexistant chez les hommes de haut rang, lui avait valu d’être dénoncé à l’empereur. Ce dernier ne l’aura pourtant pas blâmé : il avait probablement trop d’estime pour Zhang Chang. Aujourd’hui « dessiner les sourcils de son épouse » est devenu dans la langue chinoise une expression figée pour désigner quelqu’un qui a des attentions envers sa femme et en fait son égale.

Il était courant que le nom de famille soit transmis par la mère. Une pratique qui existait déjà pendant la dynastie Qin (221 – 207 av. J.-C.)

Le droit des femmes et le mariage

Wang Zijin considère enfin que la dynastie Han a permis aux femmes de bénéficier d’un statut assez élevé dans le mariage. Pendant la période des Trois Royaumes, qui a succédé à la dynastie Han entre 220 et 265 après. J.-C., les premiers empereurs des pays de Wei, de Shu et de Wu avaient accepté leur union avec des femmes veuves. L’existence d’un premier mariage ne frappait aucunement celles-ci d’un quelconque rejet. Autre exemple, les femmes de pouvoir pouvaient également être à l’initiative dans le divorce, à l’image de l’histoire de Zhu Maichen. Ministre dans le Royaume de Wu et originaire d’une famille modeste. Il était passionné de culture et ne recherchait pas la fortune. Son épouse, qui n’acceptait pas cette modestie, décida de demander le divorce, avant d’épouser un fermier, dont le statut social était plus élevé. Zhu Maichen s’est donc enrichi et a finalement retrouvé son honneur, avant de reconquérir le cœur de son aimée. L’histoire de Zhu Maichen a marqué des générations en tant que symbole du divorce à l’initiative des femmes, allant jusqu’à inspirer une pièce de l’opéra de Pékin, intitulée : 马前泼水英语 (ma qian po shuai). Selon Wang Zijin, cette conception du divorce aurait presque disparu après la dynastie Han. Ce n’est finalement qu’au début du XXe siècle, que les mentalités ont changé, lorsque le droit chinois a reconnu enfin le choix des femmes, par l’introduction du principe du consentement mutuel des époux.

Photo: Scène de la peinture Aube de printemps dans le Palais Han de Qiu Ying, 1494–1552 – Musée National du palais, Taipei.


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