La Chine, poule aux oeufs d’or des horticulteurs ?

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Le grand projet de reforestation chinois lancé en 1978 sous Deng Xiaoping doit continuer jusqu'en 2050. Mais qui sont ceux en charge de replanter ces nouvelles forêts ? À la frontière de l’écologie, de l'histoire et du business, le « grand renouveau » des forêts chinoises s’est longtemps résumé à planter des arbres au kilomètre sans une profonde réflexion sur la biodiversité.

La « Grande Muraille verte » : 350 000 km², soit une surface équivalant à l’Allemagne, à reboiser avant 2050 sur le territoire chinois. Avec un tel projet, tout entrepreneur pourrait facilement s'imaginer un avenir radieux dans le domaine de l'horticulture. Une poule aux œufs d'or qui ne doit pas occulter certaines données écologiques rendant l'entreprise plus compliquée qu’il n’y paraît.

Les forêts de l’empire du Milieu ont subi de nombreuses vexations au cours des siècles : extension des terres arables, érosion, crues, guerres de la première moitié du XXe siècle. Et puis il y a eu la politique du Grand bond en avant (1958- 1960). Trois années où un quart de ce qui restait encore des forêts chinoises ont été englouties par les 600 000 fourneaux qui devaient permettre à la Chine de rattraper la production d’acier de l’Angleterre... En 1978 seulement 12 % du territoire chinois demeurait encore recouvert de forêt.

À la fin de la Révolution culturelle (1966-1976), alors que la désertification commençait à prendre des proportions inquiétantes, a été mis en place sous l’égide de Deng Xiaoping un ambitieux plan de reforestation, prosaïquement appelé « Programme de reforestation des 3 régions du Nord » (三北防护林), ou plus poétiquement « Grande Muraille verte ». En effet un tiers du territoire chinois, soit 170 millions d'habitants, était alors la proie des déserts qui chaque année grignotaient 2 640 km² de terre. Suite à cette forte volonté politique, la taille des forêts chinoises s'est agrandie pour atteindre 22 % du territoire aujourd’hui. Le nombre de tempêtes de sable s’abattant sur Pékin a lui aussi été divisé par deux entre 2000 et 2010. Un phénomène pas seulement conscrit à la Chine : en 1985, 14 % de la France était couverte de forêt contre 30 % en 2019.

Reboiser : un travail d’orfèvre

Plantation de conifères au Qinghai. Produisant du bois rapidement, le sapin a longtemps été une solution de facilité en Chine. © LI Peiyuan/CNS

En plus de stopper l'avancée des déserts, la reforestation possède aussi de nombreux avantages, dont économiques, comme l’explique Anna Finke, manageur à l’APFNet (Asia- Pacific Network for Sustainable Forest Management and Rehabilitation) : « Replanter des forêts permet aussi de lutter contre l’érosion des sols et filtrer les impuretés de l’eau. Les arbres réduisent le niveau du CO2 dans l’atmosphère, bien qu’un jeune plant retienne moins de carbone qu’un vieil arbre. Par ailleurs cela encourage l’emploi dans l’horticulture, le commerce du bois, la culture de plantes médicinales pour la médecine traditionnelle et dans certaines régions comme le Yunnan, la production de caoutchouc. Enfin l’une des conséquences indirectes, c’est l’attraction de touristes, notamment suite à la montée de la classe moyenne chinoise ». Selon la Banque mondiale, la désertification coûterait 31 milliards de dollars à la Chine. À l’heure où la crise du Covid-19 a mis des millions de travailleurs migrants au chômage, le développement des forêts n’est donc pas qu’un simple vœu d’écologie.

Mongolie-Intérieure, Gansu, Ningxia, Xinjiang... De nombreuses régions ont mis ainsi en place des plans de reforestation. Cependant les méthodes employées lors des premières décennies n’ont pas toujours été les bonnes. « Le problème c’est que vous ne pouvez pas juste repeindre le désert en vert, car certains sols sont si dévastés qu’ils ne peuvent plus accueillir de plantes, explique l’horticulteur américain David Hoven, fondateur et CEO de la start-up RPM China. Replanter des espèces dans ces conditions, c’est un travail d’orfèvre qui nécessite de choisir les bonnes plantes ». Un constat que partage en partie Huang Wenbin, directeur des projets forestiers pour WWF Chine, sur China Dialogue : « Il ne faut pas ignorer le contexte historique : dans les années 70, les ressources, la technologie et les lois sur le sujet que pendant trop longtemps la question de la reforestation dans le pays se basait plus sur la taille des parcelles reboisée que sur la qualité de ce qui y poussait ».

Ainsi depuis 1978 et pendant plusieurs décennies, les mêmes arbres, souvent des clones, ont été plantés sur des millions d’hectares, afin d’obtenir une reforestation intensive et efficace au niveau des chiffres, avec tous les problèmes classiques que posent les monocultures... Cao Shixiong, professeur à l’Université de foresterie de Pékin raconte ainsi comment en 1994, quatre millions d’hectares de Populus tremula dans le nord-ouest de la Chine ont tous souffert de la même manière de mauvaises conditions climatiques. Par la suite, c’est 120 000 hectares de ce cousin du peuplier qui sont morts à cause de seulement deux espèces d’insectes invasifs. Penser à un travail de reforestation minutieux, et non uniquement à grande échelle, s’est imposé pour améliorer la diversité nécessaire à la survie des nouvelles forêts. La diversité étant par ailleurs la clé pour faire revenir les animaux qui fuient les espaces de monoculture.

« Il faut au contraire se spécialiser sur des arbres touchant à l'aménagement paysager comme le cerisier ou l’agriculture avec des arbres fruitiers. »

Comme toute autre profession, les horticulteurs peuvent répondre aux appels d’offres des autorités qui définissent les zones à reboiser pour une période donnée. Mais la grande surface des terrains et la perspective d’opportunités jusqu’en 2050 ne sont pas toujours synonymes d’argent facile. David Hoven déplore que la majorité des arbres qui sont plantés restent des espèces bon marché à 1 yuan l’unité (12 centimes d’euro). Son entreprise développe une technologie rendant les arbres plus résistants aux conditions les plus extrêmes, notamment en créant des espèces avec un réseau racinaire plus développé. La technique consiste à appliquer un « cocktail de bactéries » dans les racines pour que ces arbres puissent survivre plus longtemps sans intervention humaine en cas de sécheresse. Mais la qualité a un coût : 25 yuans (3,14 euros) le plant. Pour cet entrepreneur du Colorado qui a œuvré dans plusieurs régions chinoises, « Travailler dans cette industrie peut être profitable en Chine, mais uniquement si vous avez une spécialisation. Nous espérons montrer la voie en utilisant des arbres qui auront un impact positif sur l'environnement. Mais actuellement le marché de la reforestation n’est pas toujours facile pour les horticulteurs. L’utilisation massive de certaines espèces fait automatiquement baisser les prix et certains y perdent même de l’argent. Il faut au contraire se spécialiser sur des arbres touchant à l'aménagement paysager comme le cerisier ou l’agriculture avec des arbres fruitiers ».

Selon Zhao Sumin, fondatrice et CEO de la société Fat Dragon, propriétaire de 9 pépinières dans la région de Pékin, un changement de mentalité et de pédagogie doit être engagé auprès des professionnels du secteur : « J’avais commencé ma carrière dans les années 90 comme enseignante et j’avais pu me rendre pendant une année dans le Minnesota aux États-Unis dans le cadre d’un programme d’échange. La qualité de l’environnement naturel m’avait énormément impressionnée, ainsi à mon retour en Chine, j’ai changé de profession pour travailler dans l’agriculture et l’aménagement paysager. Il y a eu d’ailleurs un véritable boom dans ce milieu avant les Jeux olympiques de Pékin de 2008, car la ville devait être plus verte. Cela fait qu’aujourd’hui, j’ai 150 concurrents rien que dans la municipalité de Pékin. Certains d’entre eux continuent d’utiliser massivement des pesticides et se gaussent que ma société préfère embaucher des jardiniers qui enlèvent manuellement les mauvaises herbes. Pourtant, c’est la voie à suivre, qui ne peut qu’être bénéfique pour la nature ».

Un plant développé par RPM China (à droite) et un plant conventionnel (à gauche). DR.

Ce ne sont pas seulement les œuvres d’art que les puissances coloniales ont dérobé à la Chine

La volonté de reforestation se heurte donc au besoin d’établir un écosystème diversifié, alors même que de nombreuses plantes disparaissent du fait de l’urbanisation galopante et du réchauffement climatique. Déjà en 1998, le gouvernement chinois dans son « Rapport sur la biodiversité » avait pris acte de la disparition de 200 espèces de plantes sur son territoire en l’espace de 50 ans, et ce, alors que le pays possède la plus grande biodiversité de l'hémisphère nord. En 2019 une étude de l’université de Stockholm alertait sur le fait que près de 600 espèces de plantes suite aux interventions humaines avaient disparu dans le monde.

Cependant, par un rebondissement dont seule l’Histoire a le secret, cette diversité pourrait être en partie retrouvée dans les jardins botaniques des anciens signataires des traités inégaux... Suite à l’ouverture forcée de la Chine après le traité de Nankin (1842) et la convention de Pékin (1860), de nombreuses villes chinoises furent ouvertes au commerce avec l’Occident. Certains individus profitèrent de l’occasion pour s’aventurer au-delà des limites autorisées et exploiter les vastes ressources chinoises. L’un de ces aventuriers est Robert Fortune (1812-1880). Sous la direction de la Société Royale d’Horticulture, il commença dès 1843 à étudier les plantes chinoises. Il rapporta ainsi plus de 250 espèces, dont des plants de thé qui, apportés en Inde auront aidé la Compagnie britannique des Indes orientales à conserver son monopole sur ce produit. Une pratique particulièrement défavorable à la Chine alors que sa balance commerciale avec l'Occident était négative. L’un de ses successeurs, Ernest Henry Wilson (1876-1930) a rapporté quant à lui plus de 2 000 espèces de toute l’Asie. Pour le Britannique Simon Toomer, conservateur au sein du National Trust, l’intérêt pour ces plantes n’était pas qu’économique : « Ces expéditions étaient en partie financées par des personnes souhaitant voir leurs noms attachés à une plante ou enjoliver leurs jardins. Il faudra attendre 2010 pour que le traité international de Nagoya de 2010 mette en place des standards empêchant ces pratiques. À l’heure actuelle près de 1 000 espèces asiatiques se trouvent au Royaume-Uni ».

La diversité perdue de la Chine pourrait être en partie retrouvée...dans les jardins botaniques des anciens signataires des traités inégaux !

Si certaines espèces sont maintenant protégées et cultivées par certaines institutions à l’étranger, pour autant les horticulteurs de Chine ne peuvent pas importer n’importe quelle ancienne espèce. Comme l’explique Zhao Sumin : « Pendant une décennie nous avons importé près de 1 500 espèces de plantes afin de voir lesquelles seraient les mieux adaptées au sol chinois. À notre grande surprise des espèces qui étaient autochtones, tel le Malus baccata que l’on retrouve dans le Minnesota, se sont adaptées le mieux à notre environnement. Mais à partir des années 2012-2013 les règles sur l’importation de plantes ont changé et dès lors, nous n'avons pas pu en acheter autant qu’avant ».

Et quand bien même des espèces disparues en Chine se trouveraient dans toute bonne serre d’une ancienne puissance impérialiste et pourraient être importées dans leur pays d’origine afin d’augmenter sa biodiversité, cela ne suffirait pas. Selon Martin Gardner, coordinateur au programme international de conservation des conifères du jardin botanique royal d'Édimbourg : « Pour la première fois de son histoire, notre organisation a en 2020 réintroduit une espèce dans son milieu d'origine, l’Amentotaxus argotaenia, natif de la région des nouveaux-territoires de Hongkong. Mais si aujourd’hui les zoos, jardins botaniques et certains jardins privés possèdent des plantes qui pourraient être réintroduites dans leurs milieux d’origines, cela arrive rarement, car encore trop d’endroits restent menacés ».

« Si la Chine est l’un des seuls pays au monde à voir la taille de ses forêts augmenter, elle devrait se doter de lois plus concrètes sur le sujet afin de pousser la qualité des nouvelles plantations, regrette Anna Finke. Ce n’est pas parce qu’on trouve des arbres vivants quelque part que l'environnement est forcément positif pour la nature ». Un avis que partage Zhao Sumin. Si elle a pu observer des améliorations dans les deux dernières décennies en travaillant dans le marché des arbres, pour elle un changement des mentalités du grand public demeure aussi nécessaire : « Nous devrions mettre en place des circuits courts et améliorer les normes environnementales afin de protéger notre environnement. Peut-être que les fleurs de mes pépinières sont moins belles que celles du Yunnan, mais au moins je ne les importe pas par avion ! ».

Aladin FARRÉ est producteur et journaliste à Pékin. Fondateur de la société de production China Compass Productions, il anime aussi le podcast Middle Earth sur l'industrie culturelle chinoise.

Photo du haut © Fat Dragon

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