« Nisu », quand les femmes posent un regard masculin sur les hommes

1613589724183 Chine-info Hu Wenyan

Tous les quinze jours, la rédaction décortique pour vous un phénomène social ou culturel à travers le jargon de l’Internet chinois. Au menu cette semaine : nisu (泥塑), fantasme de femmes hétérosexuelles qui célèbrent la part féminine de leurs idoles (et souvent objets de leur désir), au point de leur assigner un rôle social féminin.

Nisu (泥塑), littéralement « sculpture d’argile », tire son origine de l’expression homophone nisu 逆苏, qui signifie « aux antipodes du charme masculin ». Ni 逆, « inverser » ; su 苏, issue du concept « Mary-Sue », un parfait archétype de personnage stéréotypé, constituant un compliment pour un homme au physique avantageux. Nisu désigne aujourd'hui une série d’initiatives prises par les femmes qui, à travers des expressions écrites ou visuelles, mettent en lumière le côté féminin de leurs personnalités préférées. Né dans l’univers de la fanfiction en 2018, le phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années. Ces femmes posent volontairement un « male gaze » sur les idols, objets de leurs fantasmes. La preuve de l’intériorisation des stéréotypes sexistes ou un geste de révolte contre l’ordre genré ? À l’heure où les polémiques sur la « crise de la masculinité » battent son plein en Chine, le phénomène nisu divise l’opinion, et crée un certain trouble concernant l’identité de genre.

Si l’on peut comprendre que cela puisse être flatteur pour une femme d’être associée à certains caractéristiques dits masculins tels que la force ou le pragmatisme, il est moins vrai pour les hommes d’être identifiés par des qualités habituellements attribuées aux femmes tels que l’émotion ou la sensibilité. C’est sur ce terrain que les adeptes du nisu ont changé la donne. 

Sur les réseaux sociaux, ces jeunes fans hyperconnectées n’hésitent pas à dépeindre leurs idols masculins comme « jolis », « mignons », « ingénus », « sages » ou « adorables »… De plus, pour être tout à fait cohérentes, elles les appellent « soeur aînée », « soeur cadette », « petite mère », « belle-soeur » ou « épouse »… Les stars occidentales n’échappent pas non plus à cette tendance. Dans le groupe de discussions Nisu spécialisé en personnalités occidentales, hébergé par Douban, les membres font promotion de célébrités telles que la « soeur » Jesse Eisenberg (The Social Network), la « grande beauté » Jensen Ackles ou encore la « Reine du Nord » Vladimir Poutine…

Hu Xianxu (gauche) et une photo de lui en version femme (droite) © Dr.

C’est en janvier 2021 que le concept de nisu est devenu un vrai phénomène médiatique, après que des photos de l’acteur Hu Xianxu retouché en femme soient devenues virales sur Weibo. Si la star de la série Hikaru no go a préféré prendre ses distances avec les nisu à son effigie, d'autres célébrités, au contraire, se sont prêtées au jeu, à l’instar de Huang Zitao, ancien membre du célèbre groupe de pop musique EXO, qui a partagé une photo de lui en version femme. D’autres célébrités ont eu des réactions plus radicales telles que Wang Ziyi, membre du groupe de C-pop BBT qui a condamné le phénomène nisu en déclarant : « Je suis un vrai homme, plus vrai que vrai ». 

Mais qu’est-ce qu’un « vrai homme » ? Une question qui ne cesse d’enflammer les réseaux sociaux chinois, sur fond de « crise de la masculinité », comme l’appellent certains universitaires. Visant à limiter la « féminisation » des adolescents, le ministère de l’Éducation a proposé début février aux écoles de renforcer leurs cours d’éducation physique, créant un tollé sans précédent. Pour beaucoup, c’est la preuve ultime d’un sexisme institutionnel. « Si la gent masculine se dote davantage d'attributs féminins, le monde serait meilleur, avec moins de viols et moins de féminicides », s’emportait une internaute sur la plateforme Douban. 

La tendance nisu met effectivement en valeur certains attributs féminins mais peine à déconstruire les stéréotypes sexistes. L’ironie réside sur le fait que les femmes s'approprient un langage masculin et sexiste, mais cette fois pour décrire des hommes. Un procédé sarcastique, certes, mais qui demeure peu constructif. « Actuellement, il n’y a pas de vocabulaire pour décrire les désirs sexuels des femmes. J’espère que la tendance nisu pourra servir de déclencheur dans l’exploration linguistique et artistique de leurs désirs », a indiqué la chercheuse TANHA.  

Photo du haut : Wang Yibo (droite) et une photo de lui en version femme (gauche)

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