Les congés menstruels en Chine : avancée sociale ou fausse bonne idée ?
Ce 8 mars 2021, nous fêtons la journée internationale
du droit des femmes. Une occasion pour interroger leur place dans le monde du
travail. Ce mois-ci, une province chinoise de plus adopte une réglementation
bien particulière : les congés menstruels. Oui, vous avez bien lu. L’idée
peut paraître surprenante et pourtant, les congés pour « règles douloureuses
» sont en passe de devenir la nouvelle tendance en Chine.
La province du
Liaoning s’apprête à instaurer un congé d’un à deux jours par mois pour les
femmes qui souffrent de règles douloureuses, connues scientifiquement sous le
nom de dysménorrhée. Le Liaoning n’est pas la première province à le faire.
Le sujet est de moins en moins tabou, même si de nombreuses femmes souffrent
encore de ce mal en silence, en partie sur leur lieu de travail. Cette nouvelle
législation alimente un débat enflammé sur la définition du féminisme :
pour les uns, les congés menstruels constituent une importante avancée pour
la condition des femmes en Chine. Pour les autres, une telle réglementation
risque au contraire de renforcer les inégalités de genre dans le monde du
travail.
Une réglementation régionale novatrice sur un sujet
souvent tabou
À partir du 1er mars 2021, selon la
branche régionale de la fédération nationale des syndicats de Chine (ACFTU),
les femmes de la province du Liaoning pourront bénéficier d’un « congé
menstruel ». Pendant leurs règles, les femmes qui travaillent en position
debout pourront notamment bénéficier d’une pause de 10 minutes toutes les
deux heures. Comme le précise Jiemian.com, les femmes souffrant
de dysménorrhée pourront également, sur présentation d’un certificat d’un
centre médical ou d’un centre de protection de la santé des femmes et des
enfants, exiger un repos pour une à deux journées. Ce n’est pas une première
en Chine, puisque ce type de réglementation existe déjà dans de nombreuses
provinces du pays comme Pékin, le Shandong, le Zhejiang, Shanghai, le Shaanxi,
le Shanxi et le Jiangsu.
La dysménorrhée
est encore un tabou. Elle se caractérise par des douleurs, sous la forme de
crampes, situées au bas du ventre au moment des menstruations. Cette douleur
est propre à chacune et n’est pas soignable, elle est liée à la contraction
de l’utérus. Pour beaucoup de femmes, qui souffrent en silence, ces douleurs
peuvent être très fortes et même s’étendre au dos ou aux jambes. Selon le
Livre blanc de 2015 sur la santé physiologique des femmes en Chine, publié
par l'Institut de recherche clinique de la faculté de médecine de
l'Université de Pékin, 80 % des femmes chinoises seraient concernées (tech.cnr.cn). 14 % d’entre elles en souffrent au point que cela
nuise à leur vie quotidienne, et plus de la moitié renonceraient même à prendre
un traitement pour y faire face. Le plus souvent, elles avalent simplement
quelques antidouleurs avant de reprendre le travail.
Une nouvelle avancée sociale... ou risque de
discrimination supplémentaire ?
Comme avec le
modèle du #BalanceTonPorc en France,
certaines Chinoises ont lancé le hashtag #痛经假应该全国推广吗 (tongjingjia yinggai tuiguang
ma)
Partant pourtant
d’une bonne intention, cette réglementation ne risque-t-elle pas d’augmenter
les inégalités de genre au travail ? Comme le soulignent certains, le
problème se situe du côté de la réaction de l’employeur. Sur les réseaux
sociaux chinois, le problème avait déjà été soulevé en 2018 au moment de
l’adoption d’une réglementation similaire dans la province du Shandong. Comme
le rapporte le Quotidien des travailleurs, de
nombreux internautes étaient alors plutôt sceptiques. C’était l’avis de
@CherryFlavoreSummer : « Obtenir une
attestation n’est pas si facile, je préfère encore rester au travail ! ». Et @LUNA815 d’ajouter : « Si je prends des congés menstruels, qu’est-ce qui me
garantit que je ne serai pas finalement licenciée ? » Enfin, pour @AboutMiracle : « Lors d’un entretien, les entreprises demandent déjà si
nous avons des enfants, dorénavant elles nous demanderont aussi si nous avons
des règles douloureuses... ».
Derrière le droit des femmes, le droit du travail
En définitive,
le débat porte sur la position d’infériorité du salarié par rapport à son
employeur. Dans la pratique, les entreprises risquent de considérer cette
réglementation comme un coût qu’elles pourraient répercuter sur
l’employabilité des femmes ou sur leur avancement de carrière. Les
entreprises pourraient aussi accroître la pression sur les femmes pendant
leurs heures de travail, pour compenser la période de congé menstruel.
Certains internautes vont plus loin et ramènent finalement le débat sur les
conditions de travail en Chine dans leur ensemble. C’est l’avis de @HeartStone
: « Pourquoi ne pas envisager de donner
aussi davantage de congés aux hommes ? En permettant aux hommes de prendre
davantage de congés de paternité, les femmes pourraient aussi se reposer, et cela
pourrait alléger la pression qui pèse sur elles. » Enfin, se pose
également la question du respect de la vie privée. Un employeur peut-il
exiger des informations confidentielles sur ses employés ? Selon un article
d’opinion paru dans le média ThePaper.cn, la dysménorrhée
devrait plutôt être intégrée dans le système de congé maladie déjà
existant, qui permet de ne pas essentialiser la maladie, et ainsi d’éviter le
caractère invasif de cette loi dans la vie privée des femmes. Car il est vrai
que de nombreuses dérives pourraient en résulter : l’employeur pourrait
exiger d’avoir des informations toujours plus précises, comme l’échelle des
douleurs ressenties, voire même exiger un « calendrier périodique » de toutes
les employées !
Le congé
menstruel renvoie somme toute au dilemme fondamental du féminisme : les femmes
doivent-elles revendiquer d’être traitées à égalité avec les hommes, où
doivent-elles revendiquer leur spécificité ? Il existe bel et bien une
différence entre un « féminisme égalitaire », qui considère les «
traitements spéciaux » comme une relégation des femmes au rang de « deuxième
sexe », et un féminisme différentialiste, qui exige que l’on reconnaisse
davantage ces différences. Une chose est certaine en tout cas, si les congés
menstruels sont encore inexistants en France, en Chine, le débat est très
animé !
Photo : XU Yu©Xinhua
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