Système chinois des retraites : quelle réforme?
En raison du vieillissement de la population, le financement du
système des retraites chinois est menacé. Il faut payer les
pensions des plus âgés alors qu’ils sont de plus en plus nombreux,
et alors que les jeunes cotisent moins longtemps que leurs aînés.
En mars dernier, le gouvernement chinois a donc annoncé la mise en
place d’une prochaine réforme des retraites, dont le contenu reste
encore à préciser.
C’est une scène très répandue dans les rues en Chine : les personnes âgées se retrouvent dans les parcs pour danser, jouer au mah-jong et garder leurs petits-enfants. Elles profitent d’une seconde jeunesse, celle que leur permet l’un des régimes de retraites les plus généreux du monde ; en tout cas concernant l’âge légal de départ : en Chine, celui-ci est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes. Le ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale envisage désormais de réformer ce système. L’âge légal sera progressivement repoussé et les départs se feront sur la base du volontariat. Il s’agit de composer avec le vieillissement de la population, qui pèse désormais sur le marché du travail et sur le financement de ses pensions de retraites. Les avis sont pourtant partagés sur cette réforme, qui reste encore à préciser.
L’âge de départ bientôt repoussé
L’annonce faite en mars par le ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale n’est pas passée inaperçue en Chine. Le 14e plan quinquennal et le programme « vision 2035 » prévoient une réforme des retraites, considérée comme inévitable. Ce serait une première puisque le système n’a jamais été modifié depuis… 1949. Actuellement, la loi est la suivante : l’âge de départ légal à la retraite des hommes est de 60 ans dans tous les secteurs, 55 pour les femmes fonctionnaires ou cadres de la fonction publique, et 50 ans pour les femmes employées. L’objectif serait de repousser progressivement cette limite. Si le ministère est resté flou sur la date et le contenu du nouveau système, la réforme sera vraisemblablement graduelle et devrait être mise en place au cours des prochaines années. Selon Xinhua, qui cite Jin Weigang, directeur de l'Académie chinoise des sciences du travail et de la sécurité sociale, l’âge de départ sera retardé de quelques mois chaque année, et s’appliquera classe d’âge après classe d’âge. Par exemple, lors de la première année après la réforme, l’âge de départ à la retraite des femmes passera de 50 ans pile à 50 ans et un mois, puis à 50 ans et quelques mois, et ainsi de suite pendant un certain nombre d’années. Pour les plus jeunes, le report de l’âge devrait être plus important, avec une plus longue période de transition.
Ce nouveau dispositif visera également à introduire une « retraite à la carte », qui n’est pas sans rappeler le modèle en vigueur en Europe du Nord. Selon Chi Fulin, directeur de l’Institut de la réforme et du développement de la Chine à Hainan, les individus devraient pouvoir être encouragés à choisir leur âge de départ ainsi que les différentes options de perception des pensions, en fonction de leur situation personnelle. Certains pourraient alors choisir de travailler plus longtemps pour obtenir une meilleure pension. Ce serait une nouveauté car jusqu’ici, le départ à l’âge légal était la norme. Tous les experts ne s’accordent pas sur une telle disposition. Pour Tian Xueyuan, membre de l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS), l’âge légal devrait rester le même, mais il devrait être négocié entre le salarié et l’employeur. Ce qui ouvrirait la voie à plus de flexibilité. D’autres chercheurs estiment également qu’il faut aligner l’âge de départ des hommes et des femmes, tout en prenant en compte de nouveaux critères de différences socio-professionnelles. La réforme pourrait aussi porter en priorité sur les emplois des secteurs à forte valeur ajoutée, pour lesquels la pénibilité du travail est souvent moins élevée.
Un système dépassé et trop généreux ?
Encore aujourd’hui, certains aspects du système de retraite chinois auraient de quoi faire pâlir d’envie de nombreux Occidentaux, y compris les Français que certains considèrent pourtant comme privilégiés. La législation actuelle en Chine date de 1949, et si elle avait été conçue selon les standards d’un pays communiste, qui octroie plus d’importance aux conditions de vie des travailleurs qu’à des équilibres financiers, elle reposait aussi sur l’espérance de vie de 1949, qui s’établissait alors… à 40 ans (Beijing Daily). La vie était dure aux débuts de la République populaire et les conditions de travail l’étaient tout autant. Après quatre décennies de croissance économique, les Chinois vivent désormais mieux, et plus longtemps. En 2019, l’espérance de vie était en moyenne de 77 ans dans tout le pays, et même de 80 ans pour les citoyens urbains. Alors, trop généreux le système chinois ?
Le vrai casse-tête chinois des retraites est lié à la démographie du pays. Avec l’amélioration des conditions de santé et de nutrition des Chinois dans les années 1950, le pays avait connu une importante croissance démographique. Un décollage qui avait finalement reçu un violent coup d’arrêt en 1980 avec la politique de l’enfant unique. Résultat : les plus âgés sont maintenant de plus en plus nombreux tandis que la population totale va commencer à diminuer. La Chine commence d’ailleurs à manquer de main d’œuvre : la population en âge de travailler diminue depuis 2012 et se réduit en moyenne de 3 millions de personnes chaque année. Dans le même temps, les nouvelles générations passent plus de temps sur les bancs de l’université, et contribuent donc moins longtemps aux pensions des retraités. Enfin, la Chine devient de plus en plus âgée. En 2019, 254 millions de Chinois avaient plus de 60 ans, soit 18,1 % de la population totale. Ils seront 300 millions d’ici 2025. En clair, les cotisations des uns ne seront bientôt plus suffisantes pour payer les retraites des autres.
Quelles réactions dans la société ?
Comme les Français, les Chinois sont attachés à leur actuel système de retraite. Selon le média chinois Xinye Caijing, l’option du recul de l’âge légal est d’ailleurs très largement rejetée dans les sondages, moins de 2 % des Chinois y seraient favorables. Aussi, l’idée d’une « retraite à la carte » pourrait-elle servir de compromis. Selon Mao Zongfu, député à l’Assemblée populaire nationale et directeur du Centre de recherche sur la santé mondiale de l'Université de Wuhan, certaines personnes âgées en bonne santé seraient en effet désireuses de conserver leur emploi après 60 ans, notamment chez les cols blancs. Certains seraient aussi très heureux de pouvoir s’investir dans la vie publique, en participant à des associations de quartiers, de villages ou d’arrondissements, ou en travaillant en tant que guides touristiques.
Pour beaucoup de Chinois, la solution est encore ailleurs. Dans les commentaires en ligne, les avis divergent. Un internaute s’indigne : « C’est injuste que les hommes prennent leur retraite à 60 ans et les femmes à 55 ans ! On sait que les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes ! ». Un autre d’ajouter : « Une retraite uniforme pour les hommes et les femmes à l'âge de 50 ans serait le mieux, il faut profiter de la vie. Faites place aux jeunes ! ». D’autres ne comprennent pas vraiment l’inspiration prise auprès du modèle scandinave : « La Norvège n’est presque pas peuplée et dispose de l'un des meilleurs systèmes de protection sociale des pays développés d'Europe et d'Amérique. La Chine est encore un pays en développement et sa population est l’une des plus importantes au monde ! Comment peut-on les comparer ? » L’équilibre est difficile à trouver pour les pouvoirs publics, qui doivent également arbitrer avec un dernier détail, et pas des moindres. Retarder le départ à la retraite implique aussi de se couper de la forte propension des personnes âgées à consommer. Or, on l’a vu ces derniers mois, la Chine a besoin plus que jamais de consommateurs pour tourner la page de la crise de la Covid-19. La réforme est pour bientôt, mais le débat, lui, est déjà bien lancé.
Article initialement paru dans Le 9 magazine n°39, Mai 2021.
Photo © ZHANG Tianfu/CNS
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