À Wencheng, des jeunes avides d'authenticité

1630489731603 Le 9 / L'Humanité HU Yan

Pour faire face à l’exode rural, le bourg a misé sur le tourisme et la jeunesse, dont celle de la diaspora européenne et les étudiants chinois à l’étranger. Ils réinvestissent leur patrimoine et participent activement à la revitalisation rurale.

En Europe, le nom de Wencheng peut évoquer cette ville-préfecture de Wenzhou, d’où est originaire une diaspora chinoise arrivée dans les années 1990, aujourd’hui principalement installée en France, en Italie et aux Pays-Bas. Mais, en Chine, le comté de Wencheng est avant tout associé au célèbre stratège Liu Bowen, dont on commémore cette année les 710 ans de la naissance. 

Né en 1311 dans le comté de Qingtian, rattaché aujourd’hui à la ville de Wenzhou dans la province du Zhejiang, Liu Bowen, connu également sous le nom de Liu Ji, fut un stratège militaire, philosophe et politicien. Très versé dans l’astronomie, les tactiques et les mathématiques, il fut le conseiller de Zhu Yuanzhang et un élément clé dans l’unification de la Chine dans la période charnière que furent la fin de la dynastie Yuan et le début de la dynastie Ming. Au XIVe siècle, Liu Bowen fut nommé « professeur de l’empereur » à titre posthume et reçut le nom de Wencheng par le dixième empereur Wuzong de la dynastie Ming, pour lui rendre hommage. Nom avec lequel sa ville natale fut ensuite rebaptisée. 

Plus de sept cents ans plus tard, Wencheng, avec ses plus de 250 000 habitants, reste imprégnée par ces événements et particulièrement de la philosophie de Liu Bowen dont les préceptes et interrogations existentielles semblent guider la politique locale : « Pourquoi vit-on ? Comment mener une vie épanouie ? » 

Fin 2020, Wencheng a été reconnue par le ministère de la Culture et du Tourisme comme un site touristique national réputé recelant la plus haute chute d’eau chinoise. © Hulilei

Les réseaux sociaux, le moyen de partager des connaissances sur des arts ancestraux 

Fin 2020, Wencheng a été reconnue comme étant un site touristique national au plus haut niveau (5A) par le ministère chinois de la Culture et du Tourisme. En effet, la région est dotée d’un environnement naturel incomparable, dont la plus haute chute d’eau chinoise (chutes de Baizhangji), un riche patrimoine culturel et une cuisine aux fortes saveurs locales. Une reconnaissance nationale qui va pousser le développement de nouvelles infrastructures, apportant des évolutions essentielles pour cette zone montagneuse qui faisait face à une importante désertification depuis plusieurs décennies. Parmi ces innovations, la création d’activités ludiques pour attirer les jeunes touristes : un village traditionnel qui propose une immersion totale dans la vie des Chinois sous la dynastie Ming, une varappe sur rochers en milieu naturel, ou encore une balançoire géante au bord des falaises. 

À 20 kilomètres en voiture de Wencheng, se trouve la petite ville de Baizhangji, nichée dans une vallée de 700 mètres de haut, et entourée de montagnes sur trois côtés. Dans ces lieux reculés du Zhejiang se trouve une auberge à l’ancienne baptisée Hanshe Huitang, tenue par un jeune couple chinois. Huang Jing et sa femme, tous deux la trentaine, sont revenus de l’étranger il y a quelques années pour rendre visite à la famille dans leur ville natale et pour donner un coup de main à la rénovation d’une maison familiale abandonnée. Au fur et à mesure des travaux, le couple eut l’idée de transformer la vieille demeure en une maison d’hôtes. Stimulée par le développement des routes et des infrastructures à Wencheng, la petite ville voisine de Baizhangji s’est considérablement modernisée et le comté attire de plus en plus de jeunes à la recherche d’une vie plus proche de la nature. C’est le cas aussi des frères jumeaux Hu Huixi et Hu Zhizhu, nés dans les années 1990 et originaires du village de Yuhu, près de Wencheng. Ayant émigré en Europe enfants, les deux frères sont revenus au village à l’âge adulte pour apprendre la sculpture en pierre, un art traditionnel de la région. 

« Avant, nous voulions partir en rêvant d’une vie meilleure alors que, maintenant, on peut réaliser ce rêve ici. » Huang Jing

D’autres jeunes autochtones, qui n’ont jamais quitté le pays, contribuent à leur manière au rayonnement de la tradition chinoise propre à ces lieux montagneux. C’est le cas de Su Qingwu, née dans les années 1990, qui apprit en autodidacte les techniques du mortaisage traditionnel et a reconstitué un pavillon de la Cité interdite à l’échelle réduite dans son jardin. Après cent cinquante jours de recherches et de fabrication, elle a construit le pavillon sans un seul clou et a attiré des millions de vues sur Internet. Photographe indépendante et passionnée par la culture traditionnelle chinoise, Su Qingwu n’hésite pas à utiliser les nouveaux médias et les réseaux sociaux pour partager avec un plus large public ses connaissances sur la calligraphie, la peinture, la céramique, la laque, etc. En cela, les jeunes qui choisissent de rester dans leur pays natal diffèrent de leurs aînés, pour qui la réussite sociale n’était possible qu’en ville. Il fallait partir, coûte que coûte. « Tout le monde me disait que j’étais fou de m’installer là, alors que le comté de Wencheng nous plaît beaucoup à ma femme et moi », explique Huang Jing, qui avait passé sept ans en Italie avant de revenir au village. Cette nouvelle jeunesse de Wencheng est comme une bouffée d’air frais qui souffle sur le comté. À travers leur maîtrise des nouvelles technologies, les jeunes réinvestissent leur patrimoine, jouent un rôle essentiel dans la transmission de la culture traditionnelle et participent activement à la revitalisation rurale. Voyant là une aubaine sociale et économique, les responsables locaux misent sur le fait de voir revenir des jeunes Chinois d’outre-mer originaires de Wencheng. Dès 2013, les autorités locales ont établi des stations de liaison dans huit grandes villes chinoises et étrangères afi n d’attirer de jeunes talents via des « jardins des rapatriés », des parcs culturel et agricole, des hubs d’investissement… Les projets sont nombreux pour créer un environnement propice au retour de ceux qu’on appelle en chinois les « tortues » (un jeu de mots qui désigne les étudiants chinois revenus de l’étranger). Cette année, dix autres grands projets privilégiant l’insertion des jeunes dans la région auront vu le jour. 

Huang Jing résume la situation : « Avant, nous voulions partir en rêvant d’une vie meilleure alors que, maintenant, on peut réaliser ce rêve ici ; comme moi, j’ai la vie que je voulais en revenant dans ma ville natale. » Et si c’était aussi cela, le rêve chinois : trouver sa place dans le monde, en étant au fin fond du monde ?

Article publié dans L’Humanité Dimanche n°770 en partenariat avec Nouvelles d’Europe / Le 9.

Photo du haut : Wencheng Statue de Liu Ji © Association des photographes de Wencheng

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