Paysans mais aussi vlogeurs professionnels : comment l'e-commerce a sauvé ce village chinois

1632909268467 Le 9 / L'Humanité CHEN Guanzhi

Comment un jeune fonctionnaire local a introduit la vente en ligne dans son village pour augmenter les revenus de ses habitants et leur redonner espoir.

À la frontière de la partie nord de la province du Hubei et de la province du Henan, se situe le village de Mutaqiao. Classé « très pauvre » depuis de nombreuses années, ce village d’un peu plus de 1 000 habitants est devenu aujourd’hui un modèle de développement. Sa recette : le commerce en ligne, permettant d’exporter hors de ses montagnes sa spécialité fruitière locale, la « pêche rouge », jusqu’aux tables des Chinois urbains. 

L’idée serait venue de Du Shuai, 34 ans, aujourd’hui directeur du comité du village de Mutaqiao (un échelon administratif plus ou moins équivalent à nos conseils municipaux). Comme beaucoup d’autres jeunes de son âge, il avait choisi de quitter son village natal pour aller travailler dans les villes côtières en plein boum économique. Mais en août 2016, un brin nostalgique, il décide de quitter Shenzhen, où il a travaillé pendant près six ans dans l’e-commerce, pour retourner à Mutaqiao. Un jour, il reçoit les compliments de ses collègues alors qu’il leur apporte quelques pêches de sa région ; une idée germe alors. Le vrai déclic survient suite à un appel téléphonique de son père : au village les pêches étaient mûres, mais les villageois peinaient à écouler leurs récoltes. « Après des années de travail dans ce secteur, j’ai pensé qu’il fallait aider les habitants en développant la vente en ligne », se souvient-il. 

C’était l’époque où la fameuse plateforme de commerce en ligne, Taobao, l’« Amazon chinois », développée par Alibaba, lançait un projet ciblant tout particulièrement les internautes des régions rurales. Déjà très populaire dans les villes, la plateforme était encore peu connue dans les campagnes. Sachant les paysans de son village parfois un peu récalcitrants face aux innovations, Du Shuai n’hésite pas à rejoindre le comité de son village pour tenter de convaincre les habitants. C’est un succès : dès 2018, la boutique en ligne du village de Mutaqiao réussit à rapporter les premiers revenus aux ménages investis dans le maraîchage. Influencés par Du Shuai, de nombreux jeunes seraient même retournés dans leur pays natal, une tendance d’ailleurs loin d’être marginale en Chine. « Comme souvent, on quitte la campagne pour mieux y retourner », admet-il. 

Début 2020, la Covid-19 frappe. Dans les régions chinoises les plus reculées, les produits agricoles ont de nouveau du mal à s’écouler. De nombreux travailleurs des villes revenus voir leurs proches pour le Nouvel An chinois, sont bloqués à la campagne à cause des mesures de quarantaine, sans revenus. Pour éviter un retour en arrière économique, Du Shuai décide de lancer son village dans les méthodes dernier cri de vente en ligne : le live-streaming. Mis en place par de nombreuses plateformes chinoises, comme Taobao mais aussi Douyin, la version chinoise de TikTok, les Chinois sont depuis peu largement consommateurs de ce genre de contenu vidéo. Pour les habitants de Mutaqiao, il s’agit donc de vendre en direct devant une caméra sur plusieurs plateformes en ligne en exposant leurs produits frais. 

« Nous avons vendu au total près de 400 000 yuans de produits dès les premières diffusions en direct, affirme Du Shuai. Les effets de ces nouvelles techniques de vente sont très positifs et permettent l’acquisition d’une clientèle fidèle tout en élargissant les canaux de vente. Avant l’essor du live-streaming, il était difficile de vendre des pêches à plus de 2 yuans le kilo (25 cents d’euros environ). Mais avec la vidéo, on atteint 5 yuans par kilo, le revenu des ménages a été démultiplié », précise-t-il. 

En juin 2020, Du Shuai réfléchit à maintenir du mieux qu’il peut la réputation des pêches de Mutaqiao, dans un esprit de marque commerciale. Pour éviter de brader les produits durant les mauvaises années, ou les baisses de revenus dues aux mauvaises récoltes, il réfléchit à diversifier la production. Mais les habitants demeurent réservés sur l’idée d’introduire d’autres cultures. En respectant leur choix, Du Shuai décide de faire un essai de culture de patate douce avec deux autres habitants. Or durant l’été 2020, la Chine connaît de très fortes pluies et les 2/3 de ses champs d’essai sont détruits. Ses pertes atteignent même 50 000 yuans (plus de 6 000 euros). Il ne regrette rien : « Quand je suis parti sur l’idée d’une plateforme de commerce en ligne, j’étais conscient de la difficulté de promouvoir ce genre de nouveauté en zone rurale. Pour que les habitants l’acceptent, il faut qu’ils puissent voir les gains réels de leurs propres yeux. » 

Du Shuai ne s’arrête pas là et réessaie autre chose : une autre spécialité peu exploitée de la région, le radis vert, qu’il plante sur un hectare. « Là aussi, personne ne voulait cultiver de radis vert au début. Mais tout a changé dès que les habitants ont vu que nos radis s’étaient tous vendus en une seule semaine. Certains sont même venus nous voir pour se renseigner. » En 2021, Du Shuai tente de prendre contact avec les marchés de gros en produits frais, toujours dans une optique de diversification des canaux de vente. « Le prix des produits sur les marchés hors ligne sont relativement bas, du moins au début. Mais en travaillant bien l’image de marque, ça peut devenir rentable avec le temps », explique-t-il. 

Pour bien travailler la marque « Mutaqiao », Du Shuai a dû mettre en place des formations annuelles. Les plus jeunes du village se réunissent alors pour enseigner aux paysans comment ouvrir leur boutique en ligne, emballer les produits et les expédier. En outre, deux groupes sur la culture du radis vert sont créés pour les intéressés. Près de la moitié des habitants (environ 700) auraient participé à ces cessions de formations. Le village s’est aussi débrouillé pour concéder à chaque ménage parmi les plus pauvres cent pêchers à cultiver. En tout, c’est une mobilisation de toute la communauté pendant près de 2 ans, de 2017 à 2019. En 2020, le village est officiellement sorti de la pauvreté.

Article publié dans L’Humanité Dimanche n°770 en partenariat avec Nouvelles d’Europe / Le 9.

Photo : Nouvelles dʼEurope

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