Shaun Rein : la «prospérité commune», un meilleur climat pour les affaires ?

1643110491840 China News
Shaun Rein, de son nom chinois Lei Xiaoshan, est fondateur et directeur général de la société de conseil China Market Research Group (CMR). Cet Américain de 44 ans, qui connaît la Chine sur le bout des doigts, a réussi à prédire les grands changements à l'œuvre sur le marché chinois, notamment dans plusieurs ouvrages à succès comme The End of Cheap China, (la fin de la Chine bon marché) ou The End of Copycat China (la fin de la Chine copieuse). Dans une interview accordée à China News, Lei Xiaoshan se veut catégorique : le nouveau mantra lancé par les autorités chinoises cet été, la « prospérité commune », offrira de meilleures opportunités aux entreprises occidentales souhaitant s’implanter en Chine.

China News : Qu’est ce qui a changé sur le marché chinois au cours des dernières années selon vous ?

"La Chine cherchera dorénavant à subvenir aux besoins des populations à faibles revenus sans pour autant remettre en question le capitalisme."

Lei Xiaoshan : Dans The End of Cheap China (2011), je soutenais déjà que les multinationales ne peuvent plus considérer la Chine uniquement comme l’usine du monde, mais aussi dorénavant comme un grand pays de consommateurs. Certes, le coût du travail y augmente chaque année, ce qui peut nuire au climat des affaires. Mais il ne faut pas non plus oublier que ces augmentations de revenus ont aussi permis de faire de la Chine le plus grand marché de consommateurs au monde. Lorsque j’ai sorti mes livres, beaucoup doutaient de mes arguments. C’était le cas de certains journaux américains comme The Wall Street Journal. Ces dernières années pourtant, ce que j’ai écrit s’est confirmé.

Même chose pour mon autre livre The End of Copycat China (2015). J’y expliquais comment la Chine allait devenir le pays le plus innovant du monde. Il faut rappeler que ce pays se concentrait auparavant sur des innovations commerciales. Je pense que la Chine se tournera de plus en plus vers l'innovation technologique. Il y a 10 ans, les entreprises chinoises n’étaient pas incitées à innover, elles pouvaient engranger des milliards de dollars en se contentant d’importer des technologies modernes depuis le marché mondial, notamment depuis les États-Unis. Aujourd'hui l'innovation chinoise est partout. On la retrouve dans l'intelligence artificielle, dans la robotique et même dans les ordinateurs quantiques. C’est l'équipe d’un académicien Chinois, Pan Jianwei, qui a mis au point le dernier ordinateur quantique, beaucoup plus rapide que celui développé par Google.

Aujourd'hui je m'intéresse surtout au nouveau concept de prospérité commune (le mot d'ordre lancé par les autorités chinoises lancé pendant l'été dernier : gongtong fuyu 共同富裕). Beaucoup d'Occidentaux ne comprennent pas vraiment ce principe, certains le craignent. En réalité, il signifie simplement que la Chine cherchera dorénavant à subvenir aux besoins des populations à faibles revenus sans pour autant remettre en question le capitalisme.

C.N. : Quelles sont les nouvelles opportunités que la prospérité commune pourrait apporter aux entreprises multinationales ?

"Sans la Chine, les Américains n'auraient jamais pu s'enrichir comme ils l’ont fait au cours des 30 dernières années."

L. X. : Sur le plan régional, les villes de premier rang comme Pékin, Canton et Shenzhen ont nettement profité de la « politique de réforme et d'ouverture » lancée en 1979. Si vous êtes originaire de Pékin par exemple, il vous est aujourd’hui plus facile d'intégrer des écoles prestigieuses comme Beida (北大) ou Tsinghua (清), que si vous venez des provinces pauvres comme l'Anhui ou le Henan. La prospérité commune vise à corriger ce type d'inégalité. En 2010, j’avais interrogé de nombreux Chinois et à l'époque, leurs principales préoccupations portaient sur la corruption et la pollution. En 2021, lorsque nous avons à nouveau mené ces types d’entretiens, les sujets comme la pollution ou la corruption ressortaient beaucoup moins. La plupart des personnes interrogées considéraient d’ailleurs que ces problèmes avaient été résolus. Aujourd’hui les Chinois se préoccupent plutôt du logement, de l'éducation de leurs enfants ou de leurs soins de santé. La prospérité commune est justement axée autour de ces thématiques nouvelles. Le gouvernement comprend qu’on ne peut pas se contenter d'enrichir uniquement un dixième de la population. Il faut permettre aux 90 % restants de prospérer à leur tour.

Shenzhen, Guangdong © Joshua Fernandez / Unsplash

Je pense que cette nouvelle ère profitera autant à la Chine qu’aux États-Unis. La prospérité commune fournira de meilleures opportunités et un meilleur environnement concurrentiel aux entreprises américaines opérant sur le marché chinois. J'espère donc que les entrepreneurs de notre pays se tourneront davantage vers le marché des villes de troisième, quatrième et cinquième rang en Chine, qui offriront de nouvelles opportunités dans de nombreux nouveaux domaines, comme le sport, la santé, le Smart Manufacturing, le tourisme, etc. Pendant l'épidémie de Covid-19, la ville de Sanya, sur l'île de Hainan, est par exemple devenue une destination touristique de premier plan. Le tourisme intérieur en Chine est largement stimulé par le fort développement des transports, en particulier des trains à grande vitesse. L’époque où les touristes se plaignaient du mauvais état des infrastructures chinoises, du mauvais état des hôtels, des sites touristiques etc., est révolue.

Les quatre rangs pour classer les villes en Chine

Le gouvernement chinois classe les villes chinoises en plusieurs rangs selon des critères démographiques, administratifs, mais aussi et surtout économiques. Ainsi les villes considérées comme faisant partie du premier rang possèdent un PIB annuel supérieur à 300 milliards de dollars américains, celles de second rang entre 299 et 68 milliards de dollars, celles de troisième rang entre 67 et 18 milliards, celles de quatrième rang en dessous de 17 milliards de dollars. (SCMP)

C.N. : Comment voyez-vous les relations économiques et commerciales entre la Chine et les États-Unis ?

L. X. : L’aisance matérielle de la classe moyenne américaine repose en grande partie sur la main-d'œuvre chinoise. Sans la Chine, les Américains n'auraient jamais pu s'enrichir comme ils l’ont fait au cours des 30 dernières années. Nous n’aurions jamais observé non plus un tel essor de la classe moyenne dans notre pays. Les Américains peuvent aujourd'hui facilement accéder à de nombreux produits de grande marque et de grande qualité. Même chose pour la Chine ; dans les années 1970, c’était un pays pauvre qui avait besoin de capitaux pour se développer. La plupart de ces capitaux sont venus des États-Unis. Il ne fait aucun doute que nos deux pays ont mutuellement bénéficié de leurs relations commerciales.

Les choses ont changé lorsque l'administration du président Donald Trump est arrivée au pouvoir et lorsque cette administration a lancé sa guerre commerciale contre la Chine, contribuant à diffuser une mauvaise image de la Chine aux États-Unis. Les raisonnements de Donald Trump sur la Chine ne tenaient pas la route. La vérité, c'est que la Chine a simplement dépassé les États-Unis dans certains domaines, grâce à sa main-d'œuvre bon marché et bien formée, grâce à la qualité de ses routes, de ses aéroports, de ses chemins de fer, etc. La vérité, c’est qu’il y a des politiciens américains qui ont vu en la Chine un parfait bouc émissaire.

C. N. : Quelle est la plus grande erreur de jugement que les Américains portent sur la Chine selon vous ?

L. X. : Beaucoup d’Américains ne comprennent pas à quel point le gouvernement chinois est soutenu par sa population. Contrairement à ce qu’on entend souvent, ce n'est pas parce que le peuple chinois a subi un « lavage de cerveau ». C’est parce que le gouvernement chinois a mis en œuvre des politiques publiques adaptées, qui ont généré des emplois de qualité et de nombreuses opportunités économiques. Il faut aussi rappeler que certains responsables politiques américains aiment entretenir certains préjugés et discriminations. Depuis plus de 70 ans, les États-Unis se sont imposés comme la première puissance mondiale. Notre pays éprouve une certaine fascination pour la puissance militaire. Aujourd'hui, avec le développement et la montée en puissance de la Chine, certains Américains analysent les relations sino-américaines au prisme de la puissance. Ils craignent que l'émergence de la Chine ne se fasse au détriment de la puissance américaine.

C. N. : Quels sont les domaines dans lesquels la Chine et les États-Unis pourraient accroître leur coopération ?

L. X. : Le premier concerne indubitablement la protection de l'environnement. Le second concerne le commerce et les investissements. La Chine a réalisé de grandes avancées en matière de protection de l'environnement au cours des 10 dernières années. Enfin, beaucoup de milieux d'affaires américains ne considèrent pas forcément la Chine comme une menace, ils la voient plutôt comme une terre d'opportunités. Je pense que l'existence de liens économiques étroits entre les États-Unis et la Chine réduira le risque d'un conflit à l’avenir. Il est aussi très important que la Chine continue de dérouler le « tapis rouge » aux investissements américains.


Photo du haut : Shanghai © Chu Tiancheng / Unsplash

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