Le Dongbei, la « ceinture de la rouille » chinoise, entre déclin et renouveau

1677237438003 China News Guo Jia

Sur fond de crise épidémique, de rivalités sino-américaines et d'autres tensions géopolitiques, le Dongbei, ancien base industrielle de la Chine, se trouve à nouveau au cœur de la stratégie sécuritaire et géopolitique de l'empire du Milieu. Une opportunité à saisir pour le renouveau de la région.

Quels sont les points communs que partagent le Dongbei (le Nord-Est de la Chine), la Ruhr de l'Allemagne, la ville de Detroit aux États-Unis et la ville de Manchester du Royaume-Uni ? Sans exception, ces anciens centres industriels se trouvent tous dans les hautes latitudes de l'hémisphère Nord, et ont vécu, les uns comme les autres, une reconversion territoriale assez douloureuse. Dans le cas du Dongbei, si les universitaires chinois tentent de l'analyser sous l’optique du système et de l’écosystème économique chinois, le facteur de la géopolitique est souvent relégué au second plan. Sun Xingjie, professeur des affaires internationales de l'Université Sun Yat-sen à Canton, a été l’un des premiers chercheurs chinois à mettre en parallèle le développement chaotique du Dongbei et les parcours tumultueux qu’ont traversé d’autres régions industrielles des pays occidentaux. Dans un entretien accordé à China News, il décortique, sous ce nouvel angle, les défis et les opportunités pour le renouveau de la région du Dongbei.

Shenhe, Shenyang - Unsplash

Quelle était l’évolution de ces anciens centres industriels, situés principalement dans les hautes latitudes de l’hémisphère Nord ?

De manière générale, ils ont vu le jour grâce à la Seconde Révolution industrielle ayant eu lieu dans les pays européens ou américains, qui se situent eux-mêmes dans les hautes latitudes. Mais après la Seconde Guerre mondiale, la donne a changé. Les flux de capitaux circulaient principalement dans les secteurs de services. À ces anciennes villes industrielles imposait une reconversion aussi longue que douloureuse. Il n’est pas sans raison que la plupart des secteurs porteurs se trouvent aujourd’hui dans des villes nouvellement créées. À cela s’ajoute la nouvelle révolution technologique qui a chamboulé les secteurs de manufacture. Dans le contexte de la mondialisation, les anciens centres industriels ont perdu peu à peu leurs avantages et attraits et semblent glisser inéluctablement vers le déclin. 

L’évolution économique et géopolitique mondiale joue un rôle, à la fois discret et évident, dans l’histoire qu’ont tracée les anciennes villes industrielles dans le monde entier. Ces dernières avaient pu prospérer, en partie grâce à la capacité et la demande industrielle, conséquence malgré elles des années de guerre. Or après la Seconde Guerre mondiale, nous vivions relativement en paix. Une situation propice pour construire un marché mondialisé. La fin de la Guerre froide a rebattu les cartes de l’industrie manufacturière : les pays développés ont dû subir un processus de désindustrialisation. Bien sûr que certaines anciennes villes industrielles ont réussi leur reconversion mais cela demeure très marginal. La plupart d’entre elles, dont la fameuse « ceinture de la rouille » des États-Unis, peinent à trouver leur voie. Pour moi, il faut que les gouvernements investissent, de manière stratégique et massive, pour que ces villes puissent retrouver un nouvel élan.

Dans quelle mesure, la géopolitique et les relations internationales pourraient-elles jouer un rôle dans le développement du Dongbei ?

Les débats sur la refondation du Dongbei, une des anciennes bases industrielles de la Chine, portent souvent sur la conjoncture économique et le système politique chinois. Or pour moi, il faut aborder ce sujet dans sa globalité et le mettre dans un contexte géopolitique. Tout d’abord, la prospérité du Dongbei s’inscrit dans une logique de tellurocratie. Durant le siècle dernier, différentes forces politiques ont lorgné sur l’Asie du Nord-Est, pièce maîtresse dans la géopolitique mondiale à l'époque, créant les conditions propices à la prospérité économique du Dongbei. Autrement dit, ce sont ses valeurs géographique et stratégique - à la fois port pour les pays de tellurocratie et « tremplin » pour les pays de thalassocratie -, qui étaient derrière son élan industriel pendant ces dernières années. Dans les années 1950 et 1960, le Dongbei, au cœur du premier Plan quinquennal fixé par le gouvernement chinois, a pu construire ses infrastructures économiques basées sur l'industrie lourde, consolidant ainsi la stratégie nationale pour la sécurité. La région est ensuite tombée en déclin, alors que la Chine a revu sa stratégie économique dans les années 1970, pour miser davantage sur les régions côtières, nouvelle force motrice de l’économie sur fond de mondialisation. 

À l’heure actuelle, quelles sont les opportunités à saisir pour le Dongbei afin de réussir sa reconversion économique et sociale ?

Aujourd’hui, l’ordre mondial est en train de basculer, sur fond de crise épidémique, de rivalités sino-américaines et d'autres tensions géopolitiques. Donc il est important pour un État de rééquilibrer sa préoccupation économique et la logique stratégique à long terme. Aux frontières de la Chine, le Dongbei, base céréalière, énergétique et écologique, demeure stratégique sur plusieurs plans pour l’empire du Milieu. La refondation du Dongbei dépend donc de l’orientation stratégique et sécuritaire fixée par le gouvernement chinois. À cet horizon, il faudrait dorénavant investir massivement dans la région pour des raisons sécuritaires afin que le Dongbei puisse parvenir à une reconversion plus stratégique qu’économique.

Force est de constater que le changement climatique libère, malgré lui, les eaux de l'Arctique, ce qui pourrait générer un important trafic maritime. L’océan Arctique, reliant le continent eurasiatique et américain, se verrait certainement propulsé sur le devant de la scène commerciale et maritime. Le Dongbei pourrait servir de point d’ancrage pour la Chine de s'approprier ce nouvel itinéraire de trafic maritime. De plus, la Chine et la Russie se sont déjà engagées dans une coopération dans les régions traversées par les fleuves Heilongjiang, Oussouriisk, et Tumen. Au moment où le monde vit un bouleversement géopolitique, le Dongbei se trouve à nouveau au cœur de la stratégie sécuritaire de développement de la Chine. Une opportunité sans précédent pour le renouveau de l’ancien centre industriel.

Photo du haut : Harbin - Unsplash

Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.