« The Bad Kids », la série thriller qui dépeint le « clair-obscur » de la société chinoise

1595613995000 Chine-info HU Wenyan

Lors d’un été dans les années 2000, trois adolescents filment par accident un meurtre commis sur un site touristique. En dévoilant l'identité du coupable et son mode opératoire dès la première scène, la dernière web-série chinoise The Bad Kids (en chinois 隐秘的角落 ou A hidden corner) brise les schémas du polar classique. Au fur et à mesure que l'intrigue avance, se révèlent les motivations du meurtrier Zhang Dongsheng, un professeur de mathématiques. L’un des enfants témoins est Zhu Chaoyang, un élève de cinquième brillant en maths issu d’une famille monoparentale. L’adolescent éprouve de l'empathie à l’égard du professeur meurtrier et finit par l’imiter. Dans cette aventure sombre, plusieurs familles se voient emportées vers un avenir incertain...

© Compte officiel Weibo

Adapté du roman éponyme de l'écrivain chinois Zi Jinchen, The Bad Kids, diffusé depuis le 18 juin sur la plateforme du streaming iQiyi, est devenu un succès critique et commercial. Sur la plateforme Douban, l’Allociné chinois, la série a brillé par un score initial de 9,2/10, avant de baisser à 8,9/10, pour plus de 635 000 avis. La ville de Zhanjiang, dans le sud de la Chine, où l'histoire s'est déroulée, s’est d’ailleurs transformée depuis en destination touristique. Les mèmes issus des scènes fétiches de la série ont déjà envahi le Net chinois.

Le thème des crimes commis par des mineurs aura suscité de vives discussions, mettant le doigt sur un certain mal-être de la société chinoise, la disparition du modèle familial traditionnel ou le harcèlement à l’école. Derrière ce succès retentissant pointe l'ambition internationale du C-drama (Chinese drama), en quête perpétuelle d’identité entre contraintes réglementaires et pression commerciale.

Une série d’exception

« Enfin un C-drama qui pourrait rivaliser avec les séries américaines et britanniques que j'ai regardées pendant des années ! » Sur le réseau social Weibo, Zhang Ziyi, la star chinoise de Tigre et Dragon, ne tarit pas d’éloges sur The Bad Kids, qui se démarque sur la forme comme sur le fond en franchissant un jalon historique dans la production télévisée chinoise.

Alors que les séries classiques, jugées lentes et bavardes, comptent souvent plus de 30 épisodes par saison et 45 minutes par épisode, The Bad Kids réussit à nous tenir en haleine par un rythme dynamique et une narration très cinématographique, du début à la fin de ses douze épisodes, qui varient d'ailleurs de 30 à 70 minutes.

© Compte officiel Weibo

Si elle est empreinte d’un style hollywoodien, c’est que le très réputé scénariste américain de House of Cards Joe Cacaci a servi de conseiller en aidant à structurer le scénario et à définir le positionnement de la série sur le marché. Les deux scénaristes chinoises Pan Haoran et Sun Haoyang ont majestueusement adapté et enrichi l’histoire originale avec une galaxie de personnages complexes et contradictoires les rapprochant du spectateur chinois.

La série doit également une grande partie de son succès à sa musique : la bande-son créée par le musicien Ding Ke et les douze chansons de plusieurs groupes de rock punk chinois, comme Queen Sea Big Shark, Muma, Glow curve, Anti General ou Joyside, ont servi tour à tour de générique de fin tout au long de la diffusion des douze épisodes. Un choix original, mais pas surprenant, le réalisateur Xin Shuang, fin connaisseur, est lui-même ancien membre du groupe de rock Joyside.

Le modèle familial en ligne de mire

Depuis quelques années, les œuvres sur les mineurs criminels se multiplient sur le marché chinois. Ainsi de Better Days, qui a remporté le prix du meilleur film au Hong Kong Film Awards 2020. Pour Zi Jinchen, l’auteur de The Bad Kids, ce phénomène culturel est lié à l’évolution du modèle familial depuis trente ans. « Beaucoup d’artistes comme moi, ont grandi dans des familles monoparentales dans les années 90, une époque où le taux de divorce s’est mis à grimper en Chine. Victimes des épreuves émotionnelles liées au divorce de leurs parents, ils veulent raconter leur propre histoire en explorant des sujets liés à l’enfance », explique-t-il dans une interview accordée à The Paper.

Zhu Chaoyang © Compte officiel Weibo

Dans son livre, le héros susmentionné Zhu Chaoyang, est victime de harcèlement à l'école. Il grandit entre une mère divorcée et célibataire, obsédée de tout contrôler, et un père indifférent qui ne pense qu'à sa nouvelle famille. La situation familiale le pousserait-il à faire des choix radicaux pour arriver à un point de non-retour ? Une question qui enflamme les réseaux sociaux chinois. Weibo a enregistré plus de 44 000 fils de discussions avec le hashtag #FamilleDeZhangChaoyang et récolté plus de 370 millions de vues.

« Les spectateurs portent souvent un regard mitigé sur les enfants délinquants, victimes des tragédies familiales ou sociales. Le monde des adultes est marqué par l’agressivité, l’indifférence, l’égoïsme et la cruauté qui les étouffent et les blessent », remarque le chroniqueur culturel Zeng Yuli, pour qui la série est l’occasion idéale pour mener ces réflexions sur la société d’aujourd’hui.

Entre contraintes règlementaires et ambition artistique, le C-drama cherche sa voie

L’énigme de la mort du mathématicien et philosophe français René Descartes constitue la ligne conductrice de The Bad Kids. Pour les deux héros amoureux des maths que sont Zhang Dongsheng et Zhu Chaoyang, soit Descartes a conquis le cœur de la princesse suédoise par son intelligence, soit il est trahi par la princesse avant d’être assassiné en prison. « Je pense donc je suis. » L’opuscule mystérieux de Descartes prend tout son sens à l'analyse des deux versions de sa mort. Le dénouement de la série, entre conte de fées et cruelle réalité, se termine sur une fin ouverte. Un choix aussi cinématographique que technique pour contourner la censure imposée par l'Administration de la radio et de la télévision chinoise.

© Compte officiel Weibo

Selon Jiemian Media, les autorités chinoises imposent souvent un examen minutieux aux séries policières, a fortiori sur celles traitant des criminels adolescents. « Si The Bad Kids a connu un franc succès, c’est grâce à sa liberté créative dans le traitement de ce genre de sujets jugés sensibles. Alors que le livre met en avant la délinquance des mineurs, la série a modifié l’histoire tout en essayant de garder le fond. (...) C’est une façon de flirter avec la ligne rouge des règlements », analyse le média en ligne. Mais la notoriété peut vite devenir un fardeau : les discussions, sans précédent et à tout va, sur les côtés les plus sombres de la série, semblent avoir alerté l'administration : une autre série thriller de la plateforme iQiyi s’est vue refuser sa diffusion prévue le 2 juillet, sans doute à cause d’une régulation plus sévère (Jiemian).

The Bad Kids (隐秘的角落)

2020 / Drame / 1 saison / 12 épisodes

Réalisé par Xin Shuang

Avec Qin Hao, Wang Jingchun, Rong Zishan, Shi Pengyuan, Wang Shengdi, Zhang Songwen...

Série disponible sous-titrée en anglais sur la version internationale de iQiyi .

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