
Liu Cixin : la science-fiction chinoise vit-elle son âge d’or ?
Liu Cixin, auteur de la trilogie Le Problème à trois corps, a remporté en 2015 le prix Hugo, lors de la 73e Convention mondiale de science-fiction, devenant ainsi le premier Chinois à décrocher ce prix prestigieux américain. En effet, le boom de la science-fiction en Chine a fait exploser ces dernières années le nombre des œuvres littéraires, télévisuelles et cinématographiques. Comment la science-fiction chinoise peut-elle toucher un public international ? Quels sont les différences et les points communs entre les sciences-fictions chinoise et occidentale ?... Entretien exclusif avec Liu Cixin.
© Actes Sud éditions
China News : Quel est le déclic pour écrire des livres de science-fiction ? Quel est votre auteur préféré ?
Liu Cixin : Enfant, j'adorais les livres de science-fiction. J’en étais même très fan. À 18 ans, j’ai découvert 2001, l’odyssée de l’espace, écrit par Arthur C. Clark. Le livre a changé ma vie. Clark est également mon auteur de science-fiction préféré, parce que ses romans décrivent, de manière majestueuse et humble, les rapports entre l’humain et l’univers, correspondant parfaitement à mon idéal de science-fiction. Mes romans ne sont qu'une imitation maladroite de ceux de Clark. Je me rappelle le soir où j’ai fini 2001, l’odyssée de l’espace. Je regardais le ciel étoilé, qui, tout à coup, m’est apparu totalement différent. Je commençais à avoir plus de respect à l'égard de l'univers, aussi sublime que mystérieux. Tous ces sentiments que Clark a provoqués chez moi, m’ont fait décider de devenir écrivain de science-fiction.
C. N. : Selon certains, il faut que la science-fiction chinoise se réapproprie un langage occidental pour toucher le public international. Et vous auriez justement adopté un langage international dans votre livre Le Problème à trois corps. Qu'en pensez-vous ?
L. C. : Quand j'écris, je ne me demande jamais s'il s'agit d'un langage chinois ou occidental. Plus exactement, c'est un langage de science-fiction, qui n'est pas forcément chinois ou occidental. Je suis Chinois et il est normal qu’on trouve quelque chose de chinois dans mes romans. Mais il y a aussi des éléments occidentaux, car la science-fiction demeure un genre littéraire importé de l'Occident.
C. N. : La science-fiction chinoise vit-t-elle son âge d’or ?
L. C. : Il faut avoir un sens de la dialectique pour répondre à cette question. En Chine, la modernisation accélérée a boosté l’imagination et la curiosité du grand public concernant leur avenir. Un phénomène sans précédent qui fournit un terrain fertile pour la science-fiction. Cet itinéraire est très proche de celui de l’âge d’or de la science-fiction américaine. De ce point de vue, la science-fiction chinoise est en train de vivre bel et bien son âge d’or. Néanmoins, sur fond d’essor technologique dans le monde entier, la science-fiction se trouve dans l’impasse. Car pour la science-fiction, la science est un couteau à double tranchant. Si la science-fiction est née grâce à notre curiosité pour la technologie et le futur, la révolution scientifique et les changements qu'elle apporte, omniprésents dans notre quotidien, portent un coup dur à la science-fiction. Force est de constater qu'à l’aube de l’ère électrique (des années 30 aux années 60 du XXe siècle), la technologie, qui n'a pas encore envahi notre quotidien, suscitait admiration et curiosité chez le grand public. C'est là où est née la science-fiction. Aujourd'hui, alors que nous ne cessons de développer de nouvelles technologies, notre curiosité disparaît petit à petit, et la science-fiction, qu’elle soit occidentale ou chinoise, se trouve au pied du mur.
Si j'ai décidé d'écrire des romans de science-fiction, c'était pour échapper à la banalité quotidienne, et pour toucher tout ce qui est impossible par l'imagination. Depuis que je suis écrivain de science-fiction, je trouve qu'une partie des écrits est en train de devenir réalité. Il faut donc plus d'imagination pour envisager un espace et un temps plus lointain. Autrement dit, nous devons écrire sur la science-fiction avant qu’elle soit réalisée par la science et la technologie. La science-fiction entre aujourd’hui dans une nouvelle phase, autrement dit, la « Nouvelle Vague de la science-fiction ». Elle est en train d'élargir son territoire en intégrant des outils littéraires, aussi modernes qu’avant-gardistes, utilisés dans d’autres domaines, tels que la psychologie, la sociologie ou encore la linguistique.
C. N. : À vos yeux, quels sont les différences et les points communs entre la science-fiction chinoise et occidentale ?
L. C. : Je pense qu'elles ont plus de points communs que de différences. Toutes les deux varient en termes de style et de sujet, et construisent des récits autour de l’identité nationale, du collectivisme, ainsi que de l'héroïsme individuel. Néanmoins, leurs thèmes de prédilection ne sont pas tout à fait les mêmes. Si la science-fiction occidentale fait souvent référence aux sujets, tels que le racisme, le sexisme, la discrimination entre différentes communautés, ou encore l’aliénation technologique, la science-fiction chinoise s’intéresse davantage au développement futur de l’humanité ou à la manière dont on cherche à étendre la sphère d’existence dans l’espace. Par ailleurs, la science-fiction occidentale, notamment celle des États-Unis, a pour toile de fond la culture du christianisme. De ce fait, elle a sa propre façon d’aborder certains sujets. Par exemple, elle s’attache beaucoup au sujet sur la création de vie, qui est pourtant peu traité dans la science-fiction chinoise. D’une manière générale, cela est dû aux différences culturelles, et ne constitue en aucun cas des critères de notation pour évaluer des œuvres.
Liu Cixin est l’un des écrivains de science-fiction les plus
connus en Chine. Après avoir décroché le prix Hugo en 2015, il est récompensé
en 2017 par le prix Luca pour son roman La
mort immortelle, troisième tome de la saga Le Problème à trois corps. En 2018, il obtient également le prix
Arthur C. Clarke dans la catégorie « Imagination au service de la société ».
Photo du haut © Compte Weibo du film « The Wandering Earth »
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