Chinois et Mayas : deux civilisations sœurs aux destins pourtant divergents

1645782721039 China News Li Moran

De nombreux historiens chinois se passionnent pour la civilisation maya, en grande partie à cause de ses similitudes avec la civilisation chinoise primitive, autour de concepts rituels et religieux très proches.

À partir d'environ 300 avant J.-C., les Mayas créent la première civilisation au monde née au milieu d’une jungle tropicale, là où ailleurs, les hommes choisissent des bassins fluviaux. Malgré cette différence fondamentale, de nombreuses similitudes peuvent être faites avec la Chine ancienne.

Ainsi, en Méso-Amérique, la taille du jade est très répandue dès les débuts de la civilisation olmèque (1 200-900 avant J.-C.). On en trouve souvent dans des lieux sacrificiels, représentant des dieux, des dirigeants, des animaux et des chamanes. Dans la culture préhistorique chinoise, notamment celles de Hongshan et Liangzhu, on trouve aussi une forte atmosphère religieuse où le travail du jade s'est développé : dragons-cochons, oiseaux, cigales, pendentifs en forme de crochet, dieux et représentations d’hommes-animaux.

Les Mayas ont divisé leur univers en Ciel, Terre et Monde souterrain. Entre le Ciel et la Terre, on trouve « l'Arbre du monde de l'Oiseau divin », qui n'est pas seulement un support, mais aussi un canal de communication entre Ciel et Terre, tandis que les eaux et les continents constituent les entrées et sorties vers le Monde souterrain. En Chine, la vision quadripartite de l'univers est évidente sur la plaque de jade retrouvée à Lingjiatan et sur le cong de jade de Liangzhu, tandis que les peintures sur soie de la tombe de Mawangdui expriment une vision tripartite. Évidemment ces conceptions chinoises sont apparues bien avant celle des Mayas.

Masque maya de la période postclassique, exposé au musée national d'anthropologie de Mexico © Wikimedia Commons

Enfin, les objets rituels tels que l’utilisation de carapaces de tortue ou la zooanthropie (transformations d’hommes en animaux) obtenue dans un état hallucinatoire, sont également des caractéristiques communes aux civilisations chinoises primitives et mayas. Il s’agit là de concepts et rituels de type chamanique.

Du « chamanisme asiatique » au « continuum maya-chinois »

« Chamane » est un mot issu du toungouse, faisant référence à un phénomène religieux répandu en Sibérie et près du pôle nord en Amérique du Nord. Dans les années 1960, Mircea Eliade a étudié le phénomène et s’est basé sur la « transe » comme critère de définition, influençant les recherches sur la manifestation du chamanisme dans les vestiges archéologiques. C’est Peter T. Furst qui a d’abord montré les points communs entre les formes chamaniques d'Asie et d'Amérique, proposant un modèle incluant tous les éléments communs :  zooanthropie, univers tripartite, Arbre du monde, interventions animales, etc.

L’archéologue Zhang Guangzhi, à l’aide de cette définition, a avancé l'hypothèse d’un « continuum maya-chinois » : les deux civilisations seraient ainsi les descendants d’un même ancêtre commun archaïque qui aurait à son époque, déjà développé les prémices communes aux deux cultures. Bien sûr, ce type de recherche qui s’efforce de trouver des éléments communs aux cultures chamaniques a été critiqué par les milieux académiques. David N. Keightley, sinologue américain, estime d’ailleurs qu'il n'y avait pas de pouvoir chamanique sous la dynastie Shang en Chine. Pour lui, le but du système était de transformer fictivement les ancêtres décédés en intermédiaires de communication entre les hommes et les dieux.

Principaux sites mayas © Wikimedia Commons

Malgré ces similitudes, les civilisations mayas et chinoises ont suivi des chemins très différents. Les premières cités-États mayas ont établi successivement d’autres grandes et petites cités il y a environ 2 300 ans, et depuis lors, s'est développé un État relativement fermé mais stable jusqu'à son effondrement. Mais avec un système d'écriture, de calendrier, de religion et d'art identiques, ces cités n'ont jamais formé une nation unifiée et il y a eu de fréquentes guerres entre elles. À l’inverse, la civilisation chinoise a connu une évolution préhistorique linéaire en « constellation » où l'intégration politique des Chinois primitifs, celles des Xia, des Shang puis des Zhou, a finalement été achevée par les Qin et les Han. Depuis, avec l'étendue de la Chine d'alors, ce modèle de diversité et d'unité s’est toujours maintenu jusqu'à ce jour.

Rituel religieux VS liens du sang

Les raisons de ces différences peuvent s’expliquer par les forces motrices centrales qui maintiennent le fonctionnement de ces sociétés, aux structures très différentes. Ainsi le développement de la civilisation maya a toujours été centré sur les activités rituelles religieuses, tandis que la civilisation chinoise a attaché une grande importance aux liens du sang dans le fonctionnement social depuis le Néolithique.

Les découvertes archéologiques récentes ont prouvé que la religion a pu jouer un rôle crucial dans l'origine de l'État maya. Sur le site d'Aguada Fénix au Guatemala, une équipe dirigée par la japonaise Inomata Takeshi a découvert plusieurs grandes structures datant de plus de 3 000 ans, toutes utilisées pour des activités cérémonielles. Étrangement, on n’a pas retrouvé de cités-États autour ni aucun signe de l'existence de dirigeants souverains, car aucuns des immenses bâtiments ne semblent attester l’existence de hiérarchie sociale. Inamata suppute donc que ces chasseurs-cueilleurs encore non-sédentarisés s’étaient unis d'une manière ou d'une autre dans le simple but de construire une série de grands sanctuaires dédiés aux activités cérémonielles. Une hypothèse assez contraire à la pensée habituelle qui veut que d’aussi grandes structures ne soient bâties que par des sociétés dont le niveau de développement a déjà atteint un certain degré de complexité.

Une de récentes découvertes majeures faites dans les ruines de Sanxingdui, dans le sud-ouest de la Chine © Xinhua

Les Mayas ont construit leur vision très élémentaire du monde sur la mythologie, et c’est sur cette base qu’ils ont ensuite mené leur réflexion sur le pouvoir. En raison de l'échelle des cérémonies religieuses, des limites de leur environnement et des techniques de production agricole, la société maya n'a pu développer de motivation pour la croissance démographique ou territoriale. Les guerres ne visaient qu’à capturer des prisonniers vivants pour les sacrifier. Dans les inscriptions et peintures murales, on trouve de nombreuses scènes de guerre entre cités et de sacrifice de prisonniers ennemis, mais rares sont les témoignages d'annexion de terres ou d’absorption de populations ennemies...

En Chine, les données archéologiques montrent que la présence de cimetières publics est une caractéristique importante de la culture préhistorique chinoise et que les organisations de la lignée ont toujours été les unités de base de la société chinoise, quelque chose qu’on ne retrouve pas chez les Mayas. Le fonctionnement social basé sur le sang semble plus avantageux dans les compétitions interrégionales, ce qui peut avoir donné naissance à de plus vastes réseaux, résultant en un système de gouvernement national tel celui de la culture dite Erlitou en Chine.

En Chine ancienne, la coopération au sein des familles et des clans a assuré la survie et la reproduction des groupes, stimulant un moteur d'expansion démographique et territorial. C’est ce moteur qui a généré chocs et fusions au cours d’un processus qui a incorporé petit à petit la « périphérie » dans la zone « centrale », absorbant les peuplades étrangères alentours, résumant presque à lui seul l’essentiel du processus civilisationnel en Chine. En outre, on pense que le système rituel aux caractéristiques sociales chinoises n'est pas seulement un système hiérarchique, mais aussi un code de conduite et de normes morales qui ont maintenu la relation et la position des membres sociaux au sein du système patriarcal. Ce système a été accaparé par le pouvoir de l'État qui l’a érigé en système politique. Après les dynasties Qin et Han, les Mémoires historiques et autres annales officielles relatent tous à quel point les personnages historiques importants ont été obsédés par la recherche de preuves de leurs liens de filiation avec certains ancêtres, attestant à quel point le lien du sang est un code génétique culturel chinois.

Bref, Chinois et Mayas : deux civilisations sorties d’un même creuset, mais au destin finalement fort différent. La civilisation maya, centrée sur les activités sacrificielles, s’est développée pendant des milliers d'années dans un petit environnement relativement fermé jusqu'à l'effondrement soudain, là où la civilisation chinoise, attachée aux liens du sang et à la transmission aux générations, a pu s’étendre spatialement tout en maintenant un modèle de pluralisme et d'intégration.

Li Moran est chercheur à l'Institut d'archéologie de l'Académie chinoise des sciences sociales, spécialiste de l'archéologie néolithique chinoise et de l'archéologie méso-américaine.

Li Moran © China News


Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut : des apprentis du chamanisme dansent et chantent après le passage des Neuf Passes pour faire plaisir aux esprits © DAI Baigula

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