Les vestiges de l'ancienne ville de Liangzhu témoignent de 5 000 ans de civilisation chinoise
Pendant longtemps, certains membres de la communauté scientifique internationale ont cru que la civilisation chinoise avait commencé avec la dynastie des Shang, il y a environ 3 500 ans. L’inscription des vestiges de l’ancienne ville de Liangzhu au patrimoine mondial de l’UNESCO signifie que l'origine de la civilisation chinoise et la formation du pays il y a 5 000 ans ont enfin été « reconnus au niveau international ».
Archéologue chinois réputé et inventeur majeur du site de la ville antique de Liangzhu, le professeur Liu Bin a déclaré dans une récente interview accordée au China News que de nombreuses civilisations présentant des niveaux de développement similaires existaient sur le territoire chinois il y a de cela 5 000 ans. C’est l’exceptionnel état de préservation du site de Liangzhu qui en apporte la preuve tangible. Les tombes mises au jour et l'envergure de cette cité antique dévoilent l’existence d’une forme d’État – d’un standard de civilisation – au sein duquel les dieux et les rois ne faisaient qu'un, avec une distinction claire entre les classes, une profonde capacité de mobilisation sociale, une organisation et une gestion efficaces.
China News Service : Un adage dit qu'une société est jugée sur le fait qu'elle est entrée au stade de la civilisation par sa possession du bronze, de l'écriture et la naissance des villes. S'agit-il d'une norme internationale ?
Liu Bin : Ce précepte est incorrect, il ne s’agit pas d’une « norme internationale ». Avant de pouvoir expliquer cela, nous devons en premier lieu comprendre ce qu'est la civilisation.
Dans son acception archéologique, le mot « civilisation » signifie que l'humanité est sortie d'un état de barbarie et d'ignorance et qu'il existe des nations. L’archéologue de niveau international et professeur à l’université de Cambridge Colin Renfrew a notamment déclaré que les critères de définition d’une civilisation varient d’un lieu à un autre et que la présence du bronze, d’une écriture et des villes n’est pas impérative. L'État est en revanche un élément central caractéristique d’une civilisation.
L'archéologie chinoise est postérieure à l’archéologie occidentale, l’année 2021 en marque son centenaire. Ainsi, certaines connaissances et critères d'évaluation ont été hérités des fouilles archéologiques occidentales concernant l'Égypte ancienne, l'Asie occidentale ancienne et la vallée de l'Indus.
Par exemple, l'Égypte ancienne possédait des hiéroglyphes et des villes, les personnes maîtrisaient les techniques de fusion des métaux. De son côté, l'Asie occidentale ancienne était une civilisation de cités-États, elle possédait l'écriture cunéiforme et était le berceau de la technologie du bronze. Ainsi, certains archéologues ont naturellement identifié le bronze, l'écriture et les villes comme les critères d'entrée de l'homme dans la civilisation.
Auparavant, le monde scientifique occidental estimait que la cité antique de Yin datant de la période comprise entre les dynasties Shang et Zhou, il y a 3 600 et 3 500, marquait l’entrée de la Chine dans la civilisation. Il n'y a pas de bronzes à Liangzhu, et bien que des symboles primitifs aient été trouvés sur le site, ces derniers ne peuvent pas encore être identifiés comme une écriture de sorte qu’il existe une controverse sur la question de savoir si Liangzhu est « conforme à la norme », mais aujourd’hui cette question a été réglée.
CNS : Par quels éléments la cité de Liangzhu est-elle identifiée comme étant entrée dans le stade de la civilisation ?
Liu Bin : Le premier élément attestant que Liangzhu était une forme d'État extrêmement bien organisée il y a déjà 5 000 ans est l’immense envergure de cette capitale dotée d'une structure quadruple. En effet, l'ancienne ville était composée d’une zone du palais étendue sur plus de 3 millions de mètres carrés, d’une ville intérieure, d’une ville extérieure de 6,31 millions de mètres carrés - soit huit fois la taille de la Cité interdite - et d’un système hydraulique périphérique touchant une zone d'environ 100 kilomètres carrés, le système hydraulique le plus grand connu au monde.
Nous avons calculé le volume de terrassement pour l'ensemble de cette cité, qui est d'environ 10 millions de mètres cubes : si l’on considère qu'une personne déplace un mètre cube par jour, il aurait fallu plus de 10 millions de travailleurs. Selon les découvertes archéologiques, cette construction d’envergure ne s'est pas formée lentement sur quelques centaines d'années, mais elle a été planifiée de manière uniforme et développée sur une courte période. L’accomplissement d’un tel travail nécessite la mise en place d’une main-d'œuvre conséquente qu’il faut répartir et à laquelle il faut attribuer les tâches et fournir un soutien logistique comprenant des outils et de la nourriture, tout en procédant au contrôle efficace de la qualité du travail. De nos jours, une opération similaire ne pourrait être résolue par l’emploi de la main-d'œuvre d'un seul district. Il apparaît donc qu’à l’époque le pays était doté d'une profonde capacité de mobilisation sociale, d'une organisation et d'une gestion efficaces.
Premières découvertes archéologiques de Liangzhu exposées à Hangzhou © Xinhua
Des archéologues de plus de soixante pays ont visité Liangzhu et, voyant l'ampleur d'une si grande ville antique, ont déclaré : « Que peut être un site aussi vaste si ce n’est un État ? »
Deux grands tas de riz calcinés enterrés d’environ 200 tonnes ont été découverts dans la partie sud de la zone du palais du mont Mojiao, mais ces vestiges des greniers de la ville de Liangzhu détruits par le feu ne sont que la partie émergée de l'iceberg des anciennes réserves alimentaires de la cité antique. Comme vous pouvez l'imaginer, il y avait beaucoup de céréales dans la ville à l'époque.
À l’extérieur de la ville de Liangzhu, lieu où les ancêtres cultivaient leur nourriture, l'archéologie a mis au jour plus de 5 000 mètres carrés de rizières sur le site de Maoshan dans la ville de Linping située à proximité de Hangzhou. L'année dernière, nous avons également trouvé plus de 100 000 mètres carrés de rizières de la période Liangzhu sur le site de Shi’ao dans le district de Yuyao administré par la préfecture de Ningbo.
Outre sa capacité à constituer des réserves alimentaires, nombre de découvertes archéologiques mettent en évidence que Liangzhu était une société de classes. Par sa production conséquente de superbes jades et de poteries, et sa maîtrise habile de l’architecture en bois, cette société a fait la démonstration d’une division du travail très bien développée et de l’utilisation d’outils en jade et en pierre par les artisans qui y travaillaient.
Les sépultures délivrent de nombreuses informations mettant en lumière une société de Liangzhu stratifiée en au moins quatre ou cinq classes distinctes, depuis les gens du peuple jusqu’aux plus hauts dirigeants. Le mobilier funéraire des sépultures de haut rang était principalement composé d'objets fabriqués avec un matériau rare : le jade. Nous n'avons pas encore trouvé où se situent les mines de jade de Liangzhu, dont l’exploitation a fini par être concentrée entre les mains de quelques personnes. L'ensemble du processus de recherche, de production et de traitement reflète la centralisation du pouvoir de cette époque.
Considérant que l’unification des croyances est le signe d'une société hautement développée, il est intéressant de souligner qu’au-delà de l’objet d'accompagnement dans les sépultures, le jade avait une autre fonction à Liangzhu : les rituels. Ceci nous permet de déduire qu'il y a environ 5 000 ans, un dieu commun est apparu dans le cours inférieur du fleuve Yangtze dont l’image était véhiculée par le Cong de jade, objet véritablement emblématique de Liangzhu. Cette forme d’unification est le signe d’une société hautement développée.
Pour juger les normes d’une civilisation, nous devons résumer nos propres caractéristiques sans pour autant les appliquer à une civilisation tierce. Ainsi, les signes d'entrée dans la civilisation des sociétés de l'Égypte ancienne et de l'Asie occidentale peuvent être les villes de grande envergure, les métaux, les villes, l'écriture alors qu’en Chine, les signes peuvent être le jade, la différenciation des sépultures par classe, les villes, etc. L'importance de l’inscription du site de Liangzhu au patrimoine mondial de l’UNESCO est également la démonstration à l'Occident que l'évolution de la civilisation chinoise est synchronisée avec celle d'autres civilisations comme l'Égypte.
CNS : Puisqu'il n'existe pas de critères spécifiques, peut-on dire que seul Liangzhu est le témoignage des 5 000 ans de civilisation chinoise ?
Liu Bin : Il y a environ 5 000 ans, la civilisation chinoise était « un ciel constellé d'étoiles », mais peu d'entre elles demeurent intactes. Ce que nous pouvons attester aujourd’hui, c'est que la culture Hongshan située dans le Liaoning, une culture antérieure à Liangzhu ayant débuté il y a 5 000 à 6 000 ans, est l'un des premiers vestiges de la civilisation chinoise qui utilisait également le jade dans les lieux de sépulture. Cependant, toutes les fouilles archéologiques effectuées jusqu'à présent concernaient des sites sacrificiels, aucun n’est un site de peuplement à l’exemple du site de Taosi du district de Xianfen dans la province du Shanxi qui est légèrement postérieur à Liangzhu. De même, à Yulin dans la province du Shaanxi, l'ancienne ville de Shimao construite en pierre, datée d’environ 4 300 ans, n'est pas moins massive que les pyramides égyptiennes.
D'un point de vue archéologique, chaque cercle culturel est issu de la même lignée. La culture de chaque bloc peut être retracée jusqu'à il y a environ 7 000 ans, et même 10 000 ans dans certains cas. Liangzhu est aujourd'hui une preuve solide des 5 000 ans d'histoire de la civilisation chinoise, tout simplement parce qu'il est si bien conservé.
CNS : Quel est le niveau international de l'archéologie chinoise ?
Liu Bin : Bien que l’archéologique chinoise ait commencé tardivement, elle n'est pas à la traîne en termes d'équipement, d'environnement de travail ou de niveau technique et de méthodes de recherche.
Avant même l'exploration du terrain, nous avons utilisé des satellites et des drones pour déterminer l'emplacement du premier coup de pioche. Le centre d'archéologie et de conservation du site de Liangzhu a également mis en place plusieurs laboratoires scientifiques et technologiques pour comprendre le site du point de vue de la géologie, des ressources en eau, de la télédétection, de la faune, de la flore et d'autres disciplines.
Le professeur Liu Bin, inventeur de la ville antique de Liangzhu, est actuellement directeur exécutif de la Société chinoise d'archéologie, président de la Société d'archéologie du Zhejiang et professeur à l'école d'art et d'archéologie de l'université du Zhejiang.
Cet article a été initialement publié en chinois sur chinanews.com.cn
Photo du haut : parc des ruines de Yaoshan de la ville antique de Liangzhu © Xinhua
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