L'art de la porcelaine : gloire et héritage de l'esthétique chinoise
La porcelaine, connue également sous le nom français « chine », fait partie des premiers produits de l’empire du Milieu exportés dans le monde entier. Il y a mille ans, les objets chinois ont afflué aux quatre coins du monde, avant de rencontrer un énorme succès en Europe, au point d’y déclencher un « China Fever ». Entre rayonnement et influence, que se cache-t'il derrière ce fer de lance du soft power chinois ? Comment l’« or blanc » a-t-il réussi à servir de pont culturel entre la Chine et le reste du monde ? Entretien avec Zhang Jingjing, céramiste-artiste confirmée et directrice du pôle international de l’Institut céramique de Jingdezhen.
China News Service : Comment l'Orient et l'Occident s'inspirent-ils l'un de l'autre à travers l'art de la porcelaine ?
Zhang Jingjing : Les échanges bilatéraux entre l'Orient et l'Occident ne datent
pas d'hier. Il en va de même pour les échanges concernant les techniques de
fabrication de la porcelaine. Alors qu'en Chine, la « famille rose »(un type de porcelaines portant des décors polychromes sur lesquels la
tonalité rose domine) a emprunté de multiples techniques picturales
courantes en Occident, la porcelaine de Meissen d'Allemagne, ou le bleu de
Delft des Pays-Bas, n’ont pas cessé d’évoluer en se basant sur le savoir-faire
chinois. C’est la fusion des techniques entre Orient et Occident qui a
contribué à dessiner les contours de la culture de la porcelaine, aussi riche
que variée. Fort symbole culturel, elle incarne également l’identité culturelle
d’une nation à travers les designs artistiques et les choix de stylistiques.
Les objets en porcelaine nous parlent, et nous font parler d’eux en facilitant
les échanges entre de différents peuples. En un mot, la porcelaine, comme la
beauté, à la fois originale et universelle, ne connaît pas de frontière.
Un tigre en porcelaine du type Ru, marque de fabrique de la province du Henan, pour fêter l'année du tigre © Xinhua
CNS : Comme la porcelaine chinoise a-t-elle pu déclencher un « China Fever » dans l’histoire de l’Europe ?
Z. J. : Alors que les objets chinois, aussi recherchés que raffinés, avaient conquis depuis longtemps le monde entier, les Européens n’ont réussi à percer le secret de la porcelaine qu’au XVIIe siècle. La haute société européenne, habituée aux objets déco en or ou en argent, avait été frappée par la délicatesse et la grâce de ce produit originaire d’un pays mystérieux qu’était la Chine. De plus, le fait que ces objets artisanaux pouvaient être commandés sur-mesure correspondait parfaitement à la quête du luxe et du prestige chez les élites européennes. La rareté et la popularité ont fait monter le prix et les entreprises d'import-export, à l'instar des compagnies des Indes orientales, ont multiplié des bénéfices parfois par 100 en vendant de la porcelaine chinoise en Europe. Surnommée « or blanc », la porcelaine chinoise était portée aux nues par le monde entier, au point de déclencher un « China Fever » en Europe.
CNS : Quels sont les différences et les points communs entre les créations contemporaines de porcelaine en Orient et en Occident ?
Z. J. :
En Orient comme en Occident, les créations artistiques de porcelaine font
référence aux affinités personnelles des artistes, ainsi qu’à la culture ou
l’esthétique de chaque région. Entre héritage et innovation, elles ne cessent
d’évoluer dans toutes leurs diversités artistiques. Si l’art de la porcelaine
occidental, à la fois expressif et expérimental, mise davantage sur le concept
de la « beauté brisée », celui de l’Orient, retenu et délicat, se nourrit, au
fil d’une longue histoire ininterrompue, de la culture des lettrés ou du thé.
Comme l’Orient et l’Occident sont toujours liés l’un à l’autre par les échanges
interculturels, il n’existe pas de fossé fondamental dans leurs visions
artistiques de la porcelaine.
En octobre 2021, le musée de Shanghai exposait des objets de porcelaine originaire de Jingdezhen, conservés aujourd'hui au Musée Guimet © Xinhua
CNS : Comment la ville de Jingdezhen a-t-elle pu attirer des milliers d’artistes étrangers pour s’y installer ?
Z. J. : Grâce à sa renommée internationale, Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine, séduit chaque année de nombreux artistes qui viennent du monde entier. Si l’on peut y maîtriser une panoplie de techniques, la ville propose également des lignes de production avancées et compétentes pour accompagner les créations artistiques. Jingdezhen ressemblerait davantage à une école ouverte où tout le monde aurait la possibilité de devenir un grand maître céramiste, de créer ou de lancer une marque pour générer plus de valeur artistique ou économique. Les artistes étrangers, avec leur manière de penser et leur vision créative, ont également aidé Jingdezhen à façonner sa propre identité artistique.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn
Photo du haut : Xiong Guohua, céramiste de Jingdezhen montre un bol en eggshell porcelain © Xinhua
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