Que révèlent les « dieux de la richesse » sur le concept de richesse dans la culture chinoise ?

1649234328636 China News

À l’occasion du Nouvel an lunaire chinois, les chants folkloriques qui souhaitent « la bienvenue aux dieux de la richesse » résonnent aux quatre coins du pays. Les images du Nouvel an à l’effigie des dieux de la richesse et les prières qui leur sont adressées sont des incontournables des fêtes de fin d’année. 

Pourquoi la culture des dieux de la richesse est-elle toujours aussi populaire près de mille ans après son apparition, au cours de la dynastie Song (960-1279) ? Quelles visions uniques de la richesse manifeste la dévotion des Chinois à ces dieux ? Pour répondre à ces questions, China News a interviewé Huang Jingchun, professeur de l’École de littérature et du Département de langue chinoise de l’Université de Shanghai.

China News Service : D’où vient l’image du « dieu de la richesse » en Chine ? A-t-elle évolué au cours du dernier millénaire ?

Huang Jingchun : Les dieux de la richesse sont multiples en Chine. Ils tirent leur origine du « cheval de la richesse » de la dynastie Song, sans qu’on n’ait retrouvé aucune représentation de ce dernier dans aucun texte ou document. Sous la dynastie Yuan (1271-1368), le peuple croyait au « dieu de la fortune croissante » (zengfu) ou au « seigneur de la fortune croissante » (zengfu xianggong), sans qu’ils n’aient de noms spécifiques. Ce n’est qu’avec le développement progressif d’un culte des dieux de la richesse que ces derniers ont commencé à avoir un nom ou une image propre. Plus on avance dans le temps, plus les dieux de la richesse se sont multipliés. Les Chinois n’ont cessé d’inventer de nouveaux dieux de la richesse, comme Guan Gong, qui n’a été considéré comme un dieu de la richesse qu’après le milieu de la dynastie Qing (1644-1912).

En outre, les dieux de la richesse diffèrent d’une région à l’autre. Par exemple, Bi Gan est un dieu de la richesse dans le Nord et, dans le Sud, les dieux de la richesse les plus communs sont les marchands Fan Li, Shen Wansan et Zhao Gongming. Dans le bouddhisme, le Bouddha Maitreya est souvent considéré comme un dieu de la richesse.

Les cercles académiques les différencient et les répertorient également en dieux de la richesse et de la littérature, dieux de la richesse et de la guerre, dieux de la richesse et de la droiture, dieux de la richesse et de la partialité et dieux de la richesse et de la certitude, sans que ce soit le cas chez la population. En effet, les Chinois croient aux dieux de la richesse sans savoir souvent quel dieu ils vénèrent précisément.

Les « dieux des cinq routes de la richesse » que nous évoquons souvent tirent leur origine des dieux du bouddhisme indien, qui sont apparus en Chine simultanément à l’introduction de cette religion. Les « dieux de la richesse » chinois présentent les caractéristiques suivantes : premièrement, leur image n’est pas figée, bien que la plupart d’entre eux incarnent les vertus traditionnelles chinoises que sont la loyauté, la piété filiale, l’honnêteté, la droiture ou la bonté. Deuxièmement, la dévotion populaire pour les dieux de la richesse, qui n’était initialement qu’une simple « quête de la richesse », s’est constamment enrichie dans sa compréhension. Elle s’est associée à des prières pour la santé, la sécurité, la chance ou le bonheur, si bien que son enracinement populaire est très profond. Troisièmement, la culture des dieux de la richesse est éclectique, mêlant le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. Quatrièmement, la classe dirigeante et le peuple ont participé conjointement à l’édification des images des dieux de la richesse et ont réalisé une unification des valeurs. Cinquièmement, les « dieux de la richesse » ont évolué au fil du temps et des circonstances, formant une culture de croyance adaptée au contexte local, tant enracinée localement qu’à l’étranger.

CNS : Peut-on dire que les « dieux de la richesse » incarnent une vision particulière de la richesse dans la culture chinoise ?

Huang Jingchun : Oui. Si nous examinons l’image des « dieux de la richesse », nous pouvons constater qu’elle englobe de manière assez exhaustive les valeurs traditionnelles de la culture chinoise que sont la loyauté, la piété filiale, la foi, la droiture, la bienveillance ou la bravoure. Ces valeurs ont été transmises de génération en génération à travers les rituels dédiés aux dieux de la richesse et les histoires populaires.

Les dieux de la richesse impliquent aussi de « trouver la bonne méthode pour s’enrichir » et de « s’enrichir par son propre labeur ». Par exemple, Bi Gan était un ministre loyal et désintéressé. Dans « L’investiture des Dieux », il se voit accorder le titre d’esprit des belles-lettres et de responsable des examens impériaux. Dans l’Antiquité, les lettrés devaient travailler dur de nombreuses années s’ils voulaient réussir les examens impériaux et obtenir un poste officiel et le salaire qui allait avec. Il y avait donc une logique inhérente à traiter Bi Gan comme un dieu de la richesse et de la littérature.

C’est précisément en raison des multiples connotations culturelles que les dieux de la richesse revêtent que de nombreux Chinois qui ont émigré à l’étranger ont emporté avec eux leurs croyances. Elles sont aujourd’hui encore très vivaces et témoignent de l’identification des Chinois d’outre-mer à la culture chinoise, profondément enracinée et immuable.

CNS : Il existe aussi des dieux garants de la richesse dans la mythologie occidentale. Y a-t-il des similitudes culturelles entre les dieux de la richesse chinois et occidentaux ?

Huang Jingchun : Des représentations similaires de dieux de la richesse existent dans d’autres pays. L’exemple le plus typique est celui de Ploutos, dieu de la richesse de la mythologie grecque, représenté comme un enfant portant une couronne de feuilles et une corne d’abondance. La corne d’abondance déverse une quantité infinie de grains, à l’image de la jarre débordant de pièces des dieux chinois de la richesse.

Plus tardivement, cependant, Ploutos s’est transformé en vieux vagabond aveugle d’un œil et boiteux d’une jambe. C’est la conséquence des critiques portées par les penseurs grecs au dieu de la richesse. À l’époque, la société était scindée entre les riches et les pauvres et l’on croyait que les marchands perfides et les politiciens menteurs étaient très riches, tandis que les gens travailleurs et les hommes bons étaient pauvres. Étant aveugle, le dieu de la richesse partageait inégalement ses richesses. Comme il était boiteux et infirme, il était toujours en retard.

On peut en déduire que, d’une part, les religions et philosophies dominantes, tant en Chine qu’en Occident, ont toutes adopté une attitude critique à l’égard de l’argent et de la richesse. D’autre part, les philosophes chinois et occidentaux étaient conscients des dangers causés par l’inégalité entre les riches et les pauvres et ont tenté de les minimiser d’une manière ou d’une autre. Par exemple, dans le Nouveau Testament, l’Évangile selon Mathieu relate l’histoire  de ce qu’on appelle « l’effet Matthieu », selon lequel les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. Dans le Dao de Jing, Laozi mentionne que « la voie de l’homme » consiste à « prendre à ceux qui n’ont pas assez pour donner à ceux qui ont déjà trop ». L’un et l’autre visent à mettre en garde les hommes pour que le fossé entre les riches et les pauvres ne s’accroisse pas et que ne soit pas brisée l’harmonie sociale. Confucius a exprimé son inquiétude quant à l’inégalité entre les riches et les pauvres en ces termes : « Celui qui a un état et un foyer ne souffre pas du manque, mais des inégalités ». Les penseurs de l’Antiquité enseignaient aux hommes que lorsqu’ils avaient de l’argent, ils devaient aider les pauvres et « disperser » leurs richesses, afin de mieux préserver l’équité et la stabilité relatives de la société. À l’instar de la dîme chrétienne, le bouddhisme et le taoïsme mettaient les dons de leurs adeptes à profit pour aider les pauvres, pour mieux réguler la richesse sociale.

CNS : Pourquoi la croyance aux dieux de la richesse resurgit-elle en Chine, alors que les conditions de vie matérielles de la société se sont considérablement améliorées ?

Huang Jingchun : Pendant des milliers d’années, le peuple chinois a vécu dans une relative pauvreté. Le culte des dieux de la richesse témoigne du profond désir populaire de sortir de la pauvreté.

Après la fondation de la République populaire de Chine, en particulier après la réforme et l’ouverture, nous avons mis la construction économique au cœur et avons formulé que « l’objectif du socialisme était d’enrichir le pays tout entier ». Faire en sorte que le peuple sorte une bonne fois pour toutes de la pauvreté s’accorde avec les aspirations qu’exprime le peuple dans sa dévotion aux dieux de la richesse. De ce fait, la resurgence de cette croyance s’inscrit dans le contexte contemporain.

S’enrichir grâce au travail et à l’innovation et parvenir à la richesse commune sont l’héritage et le prolongement de la vision traditionnelle chinoise de la richesse. En 2021, pour la première fois dans l’histoire du peuple chinois, la pauvreté absolue a été totalement éradiquée et le PIB par habitant de la Chine a dépassé les 12 000 dollars.

Aujourd’hui, la popularité de la croyance aux dieux de la richesse va de pair avec les efforts déployés par la Chine depuis des décennies pour développer son économie et a une résonance inhérente avec l’objectif de parvenir à une prospérité commune. Plus le pays se développe, plus les gens se tournent vers les dieux de la richesse pour s’assurer la paix et la santé, qu’ils considèrent comme leur plus grande richesse. Cela reflète également le vœu de paix et de prospérité du peuple chinois, ainsi que son aspiration à une vie meilleure.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photos : Xinhua


Commentaires

Rentrez votre adresse e-mail pour laisser un commentaire.