Regards croisés sur les peintures chinoise et occidentale

1649934684007 China News
La peinture chinoise est du style « xieyi », signifiant littéralement « l’écriture de l’idée », alors que la peinture occidentale cherche à transcrire la réalité ; la peinture chinoise met l’accent sur la résonance spirituelle, tandis que la peinture occidentale attache plus d’importance à la figuration, visant à capter et à restituer l’instant. Longtemps, on s’est demandé quelles étaient les différences entre ces deux types de peinture dans le contexte de la peinture classique. Quelles traditions philosophiques reflètent-ils ? Dans quelle mesure l’art pictural chinois peut s’inspirer de l’art occidental tout en conservant ses propres valeurs ? Chen Hui, professeur à l’Académie des Beaux-Arts de l’Université Tsinghua, tente de répondre à ces questions.

Cheval galopant du peintre chinois Xu Beihong © Wikimedia commons

China News Service : Quelles sont les différences entre les peintures chinoise et occidentale ?

Chen Hui : D’un point de vue philosophique, toute forme d’art est fondée sur les courants de pensée. L’art pictural chinois est fortement influencé par deux courants philosophiques que sont le taoïsme et le confucianisme. Il repose sur l’harmonie de l’Homme-Ciel, ceci s’explique par le fait que le paysage occupe une place centrale dans la peinture chinoise.

En Chine, l’art pictural traditionnel est focalisé sur le « xieyi », « l’écriture de l’idée ». Cette notion contient une spontanéité, s’agissant de la rapidité des traits. Selon la pensée confucéenne, la « qualité » de la peinture est déterminée par les mœurs, les réflexions et les expériences du peintre. Celui-ci observe la réalité, puis il cherche à saisir les sensations subtiles et à dessiner l’essence des êtres.

En revanche, l’art occidental, sous l’influence des concepts tels que celui de Pythagore, philosophe de la Grèce antique, qui veut que « tout ce qui existe est un nombre », tente de réaliser une imitation des choses par les sciences, les mathématiques et la raison. Les peintres occidentaux s’efforcent de reproduire la réalité de la façon la plus fidèle possible.

Nous pouvons ainsi dégager cinq différences majeures entre les peintures chinoise et occidentale. 

Tout d’abord, concernant la perspective, celle de la Chine est tantôt aérienne, tantôt cavalière, et chaque élément conserve sa proportion réelle ; tandis que celle de l’Occident est centrée : le personnage est, pour la plupart du temps, placé au premier plan et au centre d’un tableau, et le paysage est mis à l’arrière-fond.

Ensuite, la peinture occidentale est une représentation de la réalité, alors que la peinture chinoise est plutôt subjective, s’agissant d’une expression des idées, de la conscience et de la spiritualité.

Puis, l’art pictural chinois est essentiellement composé de traits, la couleur de l’encre ne reproduisant pas les couleurs réelles du monde. Chaque tableau contient des espaces de vides. Alors que la peinture occidentale,  étant réalistes, remplit les vides par diverses couleurs, formant également les contours. 

Aussi, l’art pictural occidental joue avec la lumière et l’ombre, il tente d’illustrer un ensemble de changements clairs-obscurs, là où les couleurs de la peinture chinoise sont relativement symboliques et ambiguës, l’objectif est de présenter la tonalité de l’image. D’ailleurs, l’encre peut aussi provoquer l’illusion des jeux de lumière et de la richesse de couleurs.

Enfin, le support de la peinture chinoise est très léger : les poils du pinceau sont extrêmement souples et les feuilles sont fines. Les peintres tracent les traits d’un seul geste. Le support de la peinture occidentale est plus rigide : le papier, le bois et la toile pouvant servir de support pour la peinture à l’huile, une technique qui nécessite souvent une superposition de plusieurs couches de couleurs. 

Fleurs rouges et feuillage d'encre du peintre chinois Qi Baishi © Wikimedia commons

CNS : Vous avez peint à l’encre la cité des Doges, les vieilles rues de Rome et les villages suisses. À votre avis, que peut apporter l’art chinois à ces paysages occidentaux ? 

Les vieilles rues de Rome sous les pinceaux de Chen Hui © Chen Hui

Chen Hui : La peinture chinoise présente beaucoup d’avantages. En premier lieu, l’encre noire est suffisamment riche pour interpréter le mouvement de l’eau par ses nuances fines, tel que celui des canaux de Venise. En second lieu, la noirceur peut faire écho à l’aspect historique et solennel des monuments antiques, comme le Colisée à Rome.

CNS : La peinture à l’huile vous a inspiré pour faire évoluer la peinture à l’encre. Selon vous, dans quelle mesure les arts chinois et occidental peuvent se compléter et s’inspirer mutuellement ?

Chen Hui : Soulignons encore qu’au lieu de reproduire la réalité, la peinture chinoise cherche à saisir la dimension sensorielle du paysage, dans la sphère intime de l’artiste. On entend souvent dire qu’« il n’est pas difficile de transcrire la réalité, mais de capter le souffle et le mouvement de la vie ». Cela résulte du fait que l’art pictural chinois est largement influencé par la pensée taoïste. En résumé, il est indispensable de ne pas laisser de côté ce principe de base de la peinture chinoise.

À partir de là, nous pouvons réfléchir sur deux questions. Premièrement, c’est l’impact visuel. En 2003, j’ai visité une exposition au Metropolitan Museum of Art de New York, où on pouvait admirer les peintures chinoises des dynasties Ming et Qing en parallèle avec les peintures à l’huile occidentales. Je me suis rendu compte que, pour regarder une œuvre de la Chine antique, il fallait se rapprocher le plus possible de l’œuvre elle-même, alors que les tableaux occidentaux peuvent attirer l’attention des visiteurs depuis une distance de 20 à 30 mètres. Certes, cette différence est due au fait que, depuis l’Antiquité, la peinture à l’encre constitue un divertissement pour les lettrés : elle a pour support des objets très légers, comme les mouchoirs ou les éventails, et que la peinture à l’huile, souvent conçue pour être installée dans les cathédrales et les palais, est grandiose, destinée à impressionner. Ainsi, historiquement, la peinture chinoise s’avère moins perceptible dans les espaces publics.

Deuxièmement, c’est le jeu de lumière et d’ombre. La peinture chinoise interprète rarement le clair-obscur. Cependant, les peintres occidentaux, plus particulièrement les impressionnistes, insistent beaucoup sur l’importance des changements clairs-obscurs et des nuances variées de couleurs.

Man at work, tableau réalisé par Wu Guanzhong © Wikimedia commons

CNS : Comment les échanges et le dialogue entre les peintures chinoise et occidentale ont eu lieu dans le monde artistique de la Chine ?

Chen Hui : Depuis 1949, l’année de la fondation de la République populaire de la Chine, le courant Réalisme, représenté par les peintres Xu Beihong et Jiang Zhaohe, règne dans le monde pictural chinois. Ainsi, Pang Xunqin, qui préconise une combinaison de l’art traditionnel chinois avec l’art moderne occidental, a occupé pendant longtemps une place marginale dans ce monde. Ce n’est jusqu’en 1985 que la peinture occidentale a commencé à être introduite en Chine.

En suivant la voie de Pang Xunqin qui s’est inspiré des peintures chinoise et occidentale dans ses œuvres, d’autres peintres postérieurs tels que Wu Guanzhong, Yuan Yunfu, Du Dakai ou Liu Jude, ont également connu un grand succès. On peut ainsi constater que la peinture à l’encre et la peintre à l’huile peuvent s’éclairer et s’enrichir mutuellement. On espère que dans l’avenir, il y aura plus de peintres comme Wu Guanzhong, connu sur la scène internationale, qui continueront de contribuer à la modernisation de la peinture chinoise.   

CNS : Vous avez dit que la peinture chinoise contemporaine devait disposer d’un langage universel, pourriez-vous nous expliquer de manière plus détaillée cette idée ?

Chen Hui : Dans un premier temps, la peinture à l’encre de notre époque devrait se baser sur la culture chinoise. L’œuvre résulte, en effet, de l’observation, du vécu et de la réflexion du peintre, c’est ainsi qu’elle peut émouvoir le public. 

Dans un deuxième temps, la peinture, à l’instar de la musique et de la danse, est un langage universel. Le public est capable d’admirer un tableau sans barrière de langue. Le peintre, comme tout autre artiste, forge son propre style à partir de ses apprentissages et de ses expériences, il est primordial qu’il insiste sur son style unique au monde.

Dans un dernier temps, toute œuvre devrait refléter les modes de vie et les grands défis de la société contemporaine, tels que l’urbanisation, la protection de l’environnement, ou encore l’amélioration de la condition de vie des agriculteurs. Ceux-ci constituent une variété de thèmes très pertinents pour l’art pictural chinois de l’époque actuelle.


Chen Hui est professeur à l’Académie des Beaux-Arts de l’Université Tsinghua. Il est auteur des tableaux intitulés « La Culture chinoise », « Le Pays mystérieux du Wannan » et « L’Impression de Shichahai ». Ses nombreuses œuvres sont conservées au Musée national de Chine et au Musée d’Art national de Chine. 


Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn


Traduction : WU Mengni


Photo du haut : Wen Zhengming (1470-1559) – Contemplateur solitaire près d’un bosquet à l’automne (détail), vers 1510 © Musée d’art de Hong Kong

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