
Dunhuang : aux confluences de quatre grands systèmes culturels
D’après Ji Xianlin, professeur en culture chinoise classique, « il n’existe dans le monde que quatre systèmes culturels millénaires, étendus sur un vaste territoire, qui font école et dont l’influence est profonde et durable : ceux de la Chine, de l’Inde, de la Grèce et de l’Islam. Il n’y en a pas de cinquième. Ces quatre systèmes ne confluent qu’en un seul lieu, en Chine, dans la région de Dunhuang et dans la province du Xinjiang. Nulle part ailleurs. »
Parmi les facteurs actuels d’instabilité mondiale, les conflits ethniques et les affrontements religieux sont devenus les éléments déclencheurs de nombreuses guerres. Pourquoi ces quatre systèmes culturels coexistent-ils et ont-ils fusionné en Chine, à Dunhuang ? Comment ont-ils pu édifier la culture splendide et pluraliste de Dunhuang ? Comment se sont manifestées ces cultures à Dunhuang jusqu’à aujourd’hui ? Quelles sont les leçons et enseignements que l’on peut en tirer pour le développement de la civilisation mondiale ?
Zheng Binlin, directeur du centre de recherches de Dunhuang de l’Université de Lanzhou et président honoraire de la société d’histoire provinciale du Gansu, a récemment « décrypté » Dunhuang d’un point de vue historique.
© Xinhua
China News Service : Comment Dunhuang est-elle entrée dans l’Histoire ? Quelles sont les raisons historiques pour lesquelles elle est devenue le confluent des quatre systèmes culturels majeurs ?
Zheng Binlin : Pour lever le voile sur les mystères de Dunhuang, il faut partir de la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.). L’année dernière, j’ai étudié près de 30 000 annotations sur lamelles de bambou exhumées à Dunhuang et j’ai découvert que les Han occidentaux (206 av. J.-C. - 9 apr. J.-C.) avaient atteint des niveaux d’échanges culturels sans précédent avec l’Ouest.
Pourquoi l’empereur Han Wudi lança-t-il des expéditions chez les tribus nomades Xiongnu ? À l’époque, la sphère de juridiction des Xiongnu s’étendait des régions du Dongbei, à l’Est, au corridor du Hexi, à l’Ouest. Alliés aux Qiang occidentaux, ils contrôlaient le plateau tibétain. Le corridor du Hexi étant le passage obligé de la Plaine centrale vers les Régions de l’Ouest, les Xiongnu isolaient la dynastie Han et entravaient ses échanges avec le reste du monde. S’il voulait se développer, le gouvernement Han devait mettre fin à ce blocus.
Les « Régions de l’Ouest » d’antan correspondaient peu ou prou au Xinjiang et à l’Asie centrale d’aujourd’hui. Elles abritaient un certain nombre de groupes ethniques tels que les Wusun, les Grands Yuezhi et les Qiang, sous l’emprise des Xiongnu du Nord. Pour mieux comprendre les royaumes des Régions de l’Ouest et écarter la menace que représentaient les Xiongnu pour l’administration des Han occidentaux, Zhang Qian fut envoyé dans les contrées occidentales pour se faire des alliés. Il ramena de son expédition une foule d’informations et de riches connaissances, ouvrant ainsi la célèbre « Route de la soie ».
À la même époque, en 121 av. J.-C., le jeune général Huo Qubing envoya à deux reprises des troupes dans le Hexi. Il mit à mal la puissance des Xiongnu. Le roi Kunxie des Xiongnu tua l’autre roi Xiongnu, Xiutu, et capitula, si bien que la région du corridor de Hexi rejoignit le territoire des Han occidentaux. De la rivière Jincheng, à l’Ouest, au Lob Nor, il n’y avait plus de Xiongnu. Le gouvernement des Han occidentaux voulait initialement que la tribu Wusun, chassée par les Xiongnu, rentrât d’Asie centrale et s’installât dans le Hexi, dans le pays Kundi. Cependant, les Wusun n’avaient aucune intention de retourner à l’Est, de sorte que le gouvernement Han dut recourir à la colonisation vers le Hexi et créer des commanderies administrées directement.
Après avoir repris le corridor de Hexi, la dynastie Han créa la commanderie de Jiuquan. Grâce au développement des transports entre le centre et l’Ouest et l’importance croissante de Dunhuang, elle fonda également la commanderie de Dunhuang, vers la sixième année de l’ère Yuanding (111 av. J.-C.). Voilà comment Dunhuang entra dans l’Histoire et débuta ses échanges avec le monde extérieur.
Tathāgata Bouddha : sculpture peinte et peintures murales. Grotte Mogao n° 254, pilier central et mur Nord. Dynastie des Wei du Nord (386-534) © Wikimedia commons
CNS : Après avoir pris possession du Hexi, comment les Han ont-ils gouverné et développé Dunhuang ? Comment ont-ils administré ses minorités ethniques ?
Zheng Binlin : La création de la commanderie de Dunhuang acheva la transition de la région de Dunhuang, qui passa d’une institution militaire à une division administrative. Le gouvernement des Han occidentaux débuta une colonisation soutenue de la région. La première génération de migrants fut constituée de la garnison militaire de Dunhuang, suivie par d’illustres despotes locaux ayant enfreint la loi, des pauvres qui avaient perdu leurs terres, des condamnés, des officiers et des soldats gardes-frontière ainsi que des fonctionnaires s’étant soustraits à la loi. En migrant à Dunhuang, ils introduisirent la culture Han avancée de la Plaine centrale. C’est sur cette base que se développa la culture de Dunhuang sous la dynastie Han.
Après le retour de Zhang Qian de sa deuxième mission dans les Régions de l’Ouest, les échanges entre les Han et les groupes ethniques des Régions de l’Ouest s’intensifièrent. Dunhuang devint une plaque tournante du transport entre l’Est et l’Ouest sur la Route de la soie, ainsi qu’un relais pour les marchands et les émissaires venus de divers pays. La commanderie de Dunhuang mit également en place une structure spéciale pour accueillir les émissaires étrangers, les rois, les envoyés royaux, les dignitaires, les hôtes des tribus Hu ou Yi et les voyageurs de passage. Ils arrivaient via le système d’accueil des relais, comme celui du site de Xuanquanzhi, qui jugeait du niveau approprié de gîte et de restauration en fonction de leur statut.
Le marché de Dunhuang se développa grâce à l’arrivée des Régions de l’Ouest des hommes et marchands de Hu, attirés par les activités économiques et commerciales. On y échangeait des épices d’Inde, du corail de l’empire Perse, de l’argent de la Rome orientale, des peaux du plateau mongol, des pigments du plateau tibétain, des levures des contrées occidentales, des farines Hu, ainsi que de la soie ou des objets en métal de la Plaine centrale.
Dunhuang abritait également des traducteurs, notamment en langues Qiang, Hu ou Qiang-Hu. Ces professionnels étaient très demandés, ce qui prouve le haut niveau d’interaction de Dunhuang avec l’étranger.
Afin de consolider la défense de la commanderie de Dunhuang et administrer les minorités ethniques de la région, le gouvernement Han construisit des systèmes défensifs tels que des murailles et réinstalla pacifiquement les minorités Yi. Pour administrer les affaires du peuple Qiang, il mit en place un « protectorat des Qiang ».
Suite à la désintégration progressive du régime Xiongnu, le gouvernement Han commença à exploiter les Régions de l’Ouest à grande échelle, instaura un protectorat des contrées occidentales, fournit de la nourriture et un logement aux émissaires et aux marchands et assura des escortes. Tout cela facilita l’essor de la Route de la soie. Dunhuang jouait un rôle essentiel sur la Route de la soie. Ancienne place forte militaire chargée d’assurer la sécurité administrative et matérielle, elle était devenue un pôle commercial majeur.
CNS : Quelles sont les manifestations de la coexistence et du développement multiculturels à Dunhuang ?
Grande mosquée de Dunhuang © Wikimedia commons
Zheng Binlin : La culture Han et les cultures étrangères coexistent bel et bien dans la région de Dunhuang. Le bouddhisme, le nestorianisme, le zoroastrisme, le manichéisme, le bön et d’autres religions y cohabitent harmonieusement, ce qui souligne le caractère inclusif de la culture Han. Après son introduction en Chine, le bouddhisme connut un processus de sinisation. D’après les lamelles de bambou exhumées, il existait un endroit appelé « fu tu li » dans la région de Dunhuang. « Fu tu » était un monastère bouddhique, « li » faisait référence à un village. « Fu tu li » était alors un village construit par un monastère bouddhique à Dunhuang, ce qui atteste que Dunhuang fut le premier lieu où le bouddhisme fut introduit en Chine depuis les Régions de l’Ouest.
À Dunhuang, les membres de tous les groupes ethniques pouvaient se marier ensemble et il n’y avait pas de conflit entre les différentes religions ou ethnies, chacune fonctionnant indépendamment et se voyant accorder un statut approprié. Cette tolérance et cette ouverture culturelles étaient bien établies sous la dynastie Tang (618-917) et rayonnèrent dans les dynasties chinoises successives. Parallèlement, la culture et l’éducation Han développées dans la Plaine centrale influencèrent aussi les pays des régions occidentales.
La Route de la soie est une route de l’art. L’art bouddhique et l’art zoroastrien des Régions de l’Ouest ont été introduits en Chine par la Route de la soie et se sont diffusés à Dunhuang après leur sinisation. Aujourd’hui encore, l’ombre de la symbiose et de la coexistence d’anciennes cultures multiethniques plane sur les grottes de Mogao, à Dunhuang. En tant que lieu de convergence culturel, Dunhuang est parvenue à une compréhension parfaite des cultures de la Plaine centrale et des Régions de l’Ouest.
CNS : Que pensez-vous de l’attrait croissant des jeunes pour Dunhuang ?
Zheng Binlin : C’est une excellente nouvelle que les jeunes apprécient la culture de Dunhuang. Dans les temps anciens, Dunhuang était un lieu de convergence des cultures du monde. Son essence même est dans l’échange culturel et, grâce à Dunhuang, nous pouvons voir le monde. En plus d’aimer Dunhuang, j’encourage les jeunes à faire preuve de plus d’ouverture d’esprit. Je les exhorte à voyager, à voir le monde et à l’embrasser grâce à Dunhuang.
Pour étudier Dunhuang, il est important d’adopter une perspective globale, de chercher Dunhuang dans le monde et de chercher le monde à Dunhuang. Des recherches bornées à une perspective nationale et non-inclusive sont vouées à être éphémères. Seules des recherches basées sur une perspective inclusive et globale peuvent prétendre à l’éternité. Si les quatre systèmes culturels majeurs ont pu fusionner et coexister à Dunhuang, si la Chine a pu prospérer et se développer depuis si longtemps, c’est fondamentalement grâce à la tolérance de la culture chinoise.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn
Photo du haut : Orchestre sogdien à la joueuse de pipa, Période Tang moyenne, 762-827,Grotte de Mogao N° 112 © Wikimedia commons
Commentaires