Zhang Jinhe : 20 ans d'amitié entre les monts Huangshan et Jungfrau
Depuis les temps anciens, la Chine prêche la coopération et l’inspiration mutuelle, ainsi que le bénéfice mutuel et la situation gagnant-gagnant. « La pierre d'une autre montagne peut être utilisée pour attaquer le jade » : ce dernier vers du Chant de la grue, œuvre issue du Classique des poèmes écrit entre le XIe et le Ve siècle av. J.-C, rappelle aux gens qu'ils peuvent apprendre des forces d’autrui et compléter leurs faiblesses.
En 1990, le mont Huangshan, situé dans la province chinoise de l'Anhui, a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que site du patrimoine mondial culturel et naturel, devenant ainsi le 17e site du patrimoine double sur cette liste. En 2002, le mont Huangshan et le massif suisse Jungfrau, ont été officiellement jumelés créant ainsi un lien d’amitié entretenu depuis 19 ans. Dans le même temps, d’autres relations similaires ainsi que des canaux d'échange avec des montagnes célèbres dans neuf autres pays se sont établies.
Zhang Jinhe, professeur à l'université de Nanjing et directeur de la station d'observation et de recherche scientifique sur le terrain de l'écosystème du parc national de Huangshan, a récemment été interviewé par China News pour parler de l'inspiration mutuelle des civilisations chinoise et occidentale en termes de relation à la montagne.
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China News Service : Le mont Huangshan chinois et le massif Jungfrau suisse ont été jumelés en 2002. Quelle était la base de ce rapprochement ? Quel était le consensus ?
Zhang Jinhe : L’Assemblée générale de l’ONU a proclamé 2002 « Année internationale de la montagne » afin d’appeler l'attention internationale sur la conservation des écosystèmes montagneux et le bien-être de leurs habitants, mais également pour encourager la coopération. Sur la recommandation de l'UNESCO, les monts Huangshan et Jungfrau ont été jumelés en tant que sommets frères. Ceci constitue une première expérience d'échange et de coopération interculturelle entre des montagnes de renommée internationale et un exemple frappant de l'amitié entre les peuples chinois et suisse.
Bien qu'elles soient géographiquement, culturellement, socialement et économiquement différentes, les deux parties s'accordent à dire que la conservation des ressources naturelles, le patrimoine culturel régional, l'image de marque du tourisme et le co-développement communautaire sont les piliers de la philosophie de gestion des montagnes.
CNS : Comment peut-on observer les civilisations chinoise et occidentale dans leur approche de la montagne ?
Zhang Jinhe : Depuis 2020, l'Observatoire de Huangshan de l'Université de Nanjing a débuté une collaboration de recherche multidisciplinaire à propos de l'interaction entre les humains et les montagnes dans différents contextes culturels, sur la base des recommandations de l'Alliance chinoise pour le tourisme de montagne.
Alors que les Nations Unies faisaient de 2002 l'Année internationale de la montagne, à partir de 2003 ces mêmes instances renforçaient cet intérêt en lui attribuant le 11 décembre comme journée spécifique. Au fil des années, le thème de l'événement s'est articulé autour de quatre axes : l'importance des écosystème, l'urgence de la conservation de la nature, le retard de développement économique des zones de montagne et l'équité de l'amélioration du bien-être de ses populations. Ceci met en lumière que s’il existe un consensus entre la Chine et l'Occident sur la nécessité de « sauvegarder et exploiter les montagnes », des différences sont notables dans les concepts, les modèles et les voies de préservation et d'exploitation spécifiques. Les différences peuvent cependant coexister, ces distinctions d'attitude peuvent se concevoir en regard des différences dans les étapes de développement d’une culture de la montagne.
L'étape du culte remonte à une époque où la productivité était extrêmement faible, les humains ont associé les phénomènes naturels à des pouvoirs surnaturels et ont inventé divers dieux de la nature. En Occident, les peuplades autochtones des montagnes vénéraient également les esprits de la nature, mais ce n'est qu'en Chine que cette vénération s’est élevée au niveau de l'identité culturelle ou nationale à l’image de celle dévolue aux Cinq Montagnes sacrées et aux Quatre Fleuves. En effet, pour les chinois, le terme montagne revêt une émotion tout à fait spécifique et unique, alors que dans le contexte occidental, la notion de montagne renvoie vers un concept géographique plutôt que culturel.
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L’étape de la foi peut être illustrée par une expression familière chinoise : « En ce bas monde les moines peuplent les montagnes célèbres ». En effet, l'histoire du développement des montagnes chinoises célèbres est étroitement liée à celle de la montée et du déclin du taoïsme et du bouddhisme, alors que les églises où l’on prie Dieu ont été construites en grande partie sur les places des centre-ville.
L’étape de l’esthétique a pour principale caractéristique l’attachement des gens à la peinture traditionnelle des paysages, et souligne leur approche qui n’est pas matérielle. Dans ce domaine, la Chine a atteint sa maturité au milieu du XVIe siècle, l'Europe et l'Amérique du Nord respectivement à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Bien que cette étape soit le reflet de la relation « sujet-objet » entre l’homme et la montagne, les sensibilités esthétiques vis-à-vis de divers sujets en Chine et en Occident restent différentes.
L’étape de la civilisation, à l’échelle internationale, est une phase a débuté au milieu du XXe siècle. Elle a pour toile de fond une réflexion collective de la civilisation occidentale à propos de l'industrialisation et la réorientation des valeurs dans l'interaction entre l’homme et la montagne, et la recherche de « limites à la croissance ». Bien que l'Occident ait été précoce, il a marqué quelques hésitations, quelques lenteurs dans les secteurs tels que la gestion des ressources et la gouvernance systémique. De son côté, la Chine dispose de l'héritage culturel de la sagesse écologique traditionnelle et bénéficie d'une industrialisation tardive qui lui permettent, notamment depuis la nouvelle ère, d’approfondir sa compréhension des lois du développement. Ainsi elle crée un nouveau domaine de la civilisation écologique, en proposant le concept d'une communauté de vie dans laquelle l'homme, envisagé comme partie intégrante de la Terre, est inséparable de la nature.
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La différence d'attitude entre l'Occident et la Chine à l'égard des montagnes reflète la différence de conception de la nature à l'origine de la civilisation. En effet, la pensée philosophique occidentale est fondée sur la « séparation des choses » et donc par voie de conséquence sur la séparation entre l’homme et le monde. Soulignant la domination de l'être humain sur la nature, cette vision induit une préférence conceptuelle pour l'utilisation de cette dernière à son profit et une volonté de la conquérir dans l'action alors que le fondement de la culture traditionnelle chinoise est différent. D’une part, avec la vertu au cœur de la sagesse écologique, le confucianisme préconise « l'unité du ciel et de l'homme » et exprime l’aspiration à une société tolérante et harmonieuse. D’autre part, selon le taoïsme « l’homme coexiste avec l’univers, toutes choses avec lui ne sont qu’une », et de fait prône l’aspiration à transcender les désirs matériels, affirmant un état d'unité entre les choses et l’homme. Le bouddhisme chinois postule, quant à lui, que « tous les êtres ont la nature de Bouddha ». Ainsi, le cœur de la sagesse écologique est que bien traiter les autres signifie bien se traiter soi-même, et que ce n'est que par la compréhension de la vraie nature de toutes choses que la connaissance peut être complétée puis élevée. Dans le contexte de la nouvelle ère, « l'harmonie entre l'homme et la nature » est la base culturelle pour résoudre les problèmes écologiques et environnementaux. Pour la Chine, cette valeur est une « renaissance civilisationnelle », tandis que pour l'Occident, il s'agit d'une refonte de la « civilisation matérialiste » qui a dominé la société humaine depuis la Renaissance.
Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn
Photo du haut © Xinhua
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