David R. Chan : il y a 50 ans, comment un dîner d'État a changé le paysage de la cuisine chinoise aux États-Unis

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Avec l’arrivée des migrants chinois sur les côtes californiennes au XIXe siècle, s’est enracinée une cuisine chinoise, essentiellement cantonaise et adaptée aux goûts locaux. Aujourd'hui, les innombrables restaurants chinois proposent une abondante diversité gastronomique. Ce changement est intimement lié à la visite du président américain Richard Nixon en Chine en 1972.

David R. Chan, un immigrant chinois de troisième génération qui ne parle pas chinois et ne sait pas se servir de baguettes, a recensé et testé près de 8 000 restaurants chinois. Cet observateur américain de la cuisine chinoise a récemment accordé une interview à China News dans laquelle, grâce à son expérience, il explique les étapes du développement de cette cuisine aux États-Unis. Il dévoile notamment comment le voyage de Nixon en Chine, qui a brisé la glace et réchauffé les relations sino-américaines, a changé le modèle de la cuisine chinoise aux États-Unis.

Dr.

China News Service : Pour autant que je sache, vous n'avez pas mangé de nourriture chinoise dans votre enfance. En tant qu'immigré chinois de troisième génération qui ne parle pas chinois et ne sait pas se servir de baguettes, comment avez-vous débuté ce « voyage au cœur de la cuisine chinoise » ?

David R. Chan : Je suis né en 1948 et pendant mon enfance je mangeais rarement de la nourriture chinoise. À ce moment-là les États-Unis ne comptaient que 150 000 Américains d'origine chinoise pour une population totale de 150 millions d'habitants. Cette communauté était donc un groupe très restreint, peu de pairs célébraient ensemble les fêtes traditionnelles, de sorte que la nourriture chinoise avec sa signification festive n'était pas familière.

Dans le même temps, de nombreux immigrés chinois de deuxième et troisième générations se sont fortement localisés à une époque où le racisme à l'encontre des Chinois dans la société américaine était extrêmement développé. Etant issu d'une famille d'immigrants originaires de Taishan, une ville de la province du Guangdong, je n'ai pas fait exception : j'ai été moins exposé à la nourriture chinoise, et je n’ai donc pas été en mesure de développer la gestuelle afin de bien utiliser des baguettes. En ce qui concerne la langue, mes parents ne m'ont pas autorisé l’apprentissage du chinois, ils voulaient s'assurer que je parle couramment et parfaitement l'anglais afin d’éviter toute discrimination.

Mon intérêt pour la cuisine chinoise s'est développé progressivement. C'est à la fin des années 1960, au cours de ma dernière année à l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles), lorsque je me suis inscrit au premier cours d'études asiatiques proposé dans cette université, que j'ai vraiment commencé à m'intéresser à cette histoire unique des Chinois en Amérique et à étudier en profondeur l’histoire des sino-américains. Par la suite, bien que j'aie cessé de faire des recherches et d'écrire à ce sujet, j'ai continué à manger autant que possible dans des restaurants chinois authentiques, à visiter des communautés sino-américaines et à explorer la culture chinoise.

Depuis les années 1980, je répertorie les restaurants chinois dans lesquels j'ai dîné aux États-Unis, à ce jour je peux en compter 7 850.

CNS : La nourriture semble être votre seul lien avec votre culture d'origine. Selon vous, quelles étapes la gastronomie chinoise a-t-elle traversées aux États-Unis ?

David R. Chan : Il faut considérer que d’une part, il existe un point clé évident dans le développement de la nourriture chinoise aux États-Unis. D’autre part, il faut noter que la nourriture chinoise américaine a évolué au fil du temps en deux systèmes distincts : la nourriture chinoise américanisée et la nourriture chinoise authentique.

D’un point de vue chronologique, les cent premières années qui ont suivi l’arrivée des premiers migrants chinois ont constitué la phase naissante de la cuisine chinoise en Amérique. Au milieu du XIXe siècle en Californie, la ruée vers l'or a déclenché une vague d'immigration chinoise relativement homogène à destination des États-Unis dont la grande majorité était originaire de Taishan. Face à cette population croissante de Chinois gagnant leur vie sur la côte ouest, les habitants autochtones leur imputèrent le déclin de l'économie américaine. En conséquence fut promulguée en 1882 la « Loi d'exclusion des Chinois ».

À partir du milieu du XIXe siècle, et pour plus de 100 ans, la gastronomie chinoise aux États-Unis fut strictement cantonaise. Dans le même temps, la première communauté chinoise en Amérique subissait une large ségrégation raciale, les zones d’habitation fermées restant isolées du reste de la société américaine. Cette séparation, qui était également culturelle, a eu cependant pour conséquence le maintien et la préservation de la gastronomie traditionnelle de Taishan, une cuisine qui représentait la saveur du pays natal des premiers immigrants.

Néanmoins, l'environnement social de l'époque a également conduit à l'inévitable américanisation de la cuisine de Taishan. Alors qu’au début du XXe siècle, de plus en plus d'Américains fréquentaient les restaurants chinois, le goût de la nourriture a changé pour s'adapter aux préférences locales. Ainsi, des plats tels que le chop suey, les nouilles sautées, le riz frit et l’omelette « foo yung » ont vu le jour.

Dans le même temps, les Américains firent un pas vers la gastronomie chinoise et se mirent progressivement à apprécier le poulet, le bœuf et le canard à la chinoise. Ainsi, cette alimentation devint rapidement une mode pour les américains dans les grandes villes telles que New York et c’est vers les années 1920 que cette « nourriture pseudo-cantonaise » devint populaire dans tous les États-Unis, donnant naissance à la nourriture sino-américaine.

CNS : À l’occasion de la visite en Chine du président américain Richard Nixon en 1972, des images ont été diffusées simultanément dans tous les États-Unis sur lesquelles on pouvait le voir mangeant des plats chinois en compagnie de Zhou Enlai, alors premier ministre chinois. La « diplomatie des baguettes » de Nixon a-t-elle joué un rôle positif pour l'intégration dans la société américaine de la culture chinoise à travers sa gastronomie ?

David R. Chan : Le dîner d'État auquel Nixon a assisté lors de sa visite en Chine peut être considéré comme le catalyseur de la réinvention complète de la cuisine chinoise aux États-Unis, et a sans nul doute joué un rôle majeur dans la promotion de son authenticité et de sa diversité. Alors qu’à cette époque les américains ne connaissaient de la cuisine chinoise que le shop suey et la soupe de wontons, les deux hommes se sont vu servir un authentique canard laqué et d'autres types de plats chinois.

La visite de Nixon a montré aux Américains une nouvelle mise en valeur de la nourriture chinoise et les convives ont voulu goûter à la nourriture chinoise authentique. À Manhattan, l'intérêt des consommateurs pour la cuisine chinoise a même atteint son paroxysme trois mois après la visite de Nixon en Chine avec l’ouverture d’un restaurant du Hunan. La nouvelle de l'ouverture du restaurant a fait la une des journaux télévisés de la ville, le succès fut phénoménal et rapidement de nombreux restaurants de ce type ont ainsi vu le jour.

Ces dernières années, l'expansion de la classe moyenne chinoise et l'augmentation de l'immigration en provenance du continent ont eu un impact sur la nourriture chinoise aux États-Unis comparable à celui des changements apportés en 1960 aux lois américaines sur l'immigration. Au cours de la dernière décennie, la venue de milliers d'étudiants dans des universités américaines a entraîné le développement de la nourriture chinoise traditionnelle aux États-Unis. En effet, les restaurants chinois se trouvant souvent à proximité des collèges et universités américains où sont inscrits ces étudiants, cette proximité a également permis à un grand nombre d'Américains qui n'ont jamais été exposés à la nourriture chinoise traditionnelle de découvrir cette culture alimentaire. Aujourd'hui de mieux en mieux acceptée par un public non chinois, les restaurants proposants cette gastronomie authentique commencent à ouvrir en dehors des quartiers chinois traditionnels.

CNS : Outre l'attrait de la nourriture en soi, la normalisation des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine impulsée lors du voyage de Nixon a-t-elle contribué à modifier la perception de la nourriture chinoise par les consommateurs américains ?

David R. Chan : La réponse est oui. Avant la visite de Nixon en Chine en 1972, le climat politique entre les États-Unis et la Chine était en pleine évolution. Dans l'environnement politique américain de l'époque, les effets persistants du maccarthysme, associés à la guerre du Vietnam qui a duré jusque dans les années 1970, ont encore accru le potentiel de conflit direct entre les États-Unis et la Chine, ce qui a entraîné une position bipartisane dure à l'égard de la Chine, en particulier de la part des républicains.

Dans ce contexte, la visite du président républicain Nixon, qui avait longtemps adopté une position intransigeante à l'égard de la Chine, a été un « séisme politique » qui a fait tomber les barrières idéologiques et a ainsi changé l'orientation de la cuisine chinoise aux États-Unis.

On suppose que certains Américains, qui avaient boudé la nourriture chinoise en raison de la guerre froide et des tensions entre les États-Unis et la Chine, ont commencé à adopter la nourriture et la culture chinoises de manière plus ouverte et plus tolérante au fur et à mesure que les deux pays renouaient leurs liens.

CNS : Aux États-Unis, de quelle manière la nourriture chinoise se compare-t-elle aux autres cultures alimentaires régionales du monde, à l’image de la nourriture italienne et mexicaine ? Quelle est actuellement le type de nourriture chinoise le plus populaire ?

David R. Chan : Depuis des décennies, la cuisine chinoise fait partie des gastronomies ethniques les plus populaires auprès des américains au même titre que la cuisine mexicaine et italienne. Aujourd’hui, 50 000 restaurants chinois existent aux États-Unis, ce qui est inférieur aux 55 000 restaurants mexicains. Cependant, étant donné qu'il y a 30 millions de Mexicains aux États-Unis et un peu plus de 5 millions de Chinois, la notoriété de la nourriture chinoise est évidente.

Parmi les restaurants chinois les plus populaires, le hot pot sichuanais occupe la première place, viennent ensuite les boutiques de thé au lait et des salons de thé, puis des restaurants cantonais et enfin les boutiques de style hongkongais où l’on peut déjeuner du thé et du café. Cependant, les spécialités locales de Shanghai, de Taïwan, du Nord-Est, du Shaanxi et de Pékin sont également bien représentées.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn

Photo du haut : Chinatown à New York © unsplash

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