
Le Louvre et la Cité interdite : dialogue entre grands musées
Quand la Cité interdite ouvre ses portes au Louvre
En 2011, un soir de septembre, se tenait au musée du Louvre un événement d’une grande rareté. Une vaste collection de plus de 154 chefs-d’œuvre du musée du palais de la Cité interdite étaient exposés, pour le plus grand bonheur des visiteurs venus du monde entier. Certaines somptueuses collections d’art chinois avaient ainsi parcouru plus de 10 000 km pour se retrouver à Paris. Pour la première fois, la Cité interdite ouvrait ses portes dans la capitale française, pour témoigner de la richesse culturelle des deux dernières dynasties de l’empire du Milieu : les dynasties Ming et Qing. Ainsi, sur la façade extérieure du Louvre, une immense image de l’empereur chinois Kangxi (1654- 1722), trônait fièrement, le représentant en tenue de cérémonie officielle.
La Cité interdite figure aux côtés du Louvre comme l’un des lieux culturels les plus visités au monde.
L’exposition ne se limitait pourtant pas à faire le récit de la longue histoire chinoise : le pays d’accueil était évidemment à l’honneur. Les organisateurs avaient ainsi à cœur d’offrir aux visiteurs un regard croisé sur les empereurs chinois et les rois français. L’exposition était organisée dans trois grandes salles du musée du Louvre : la grande histoire des empereurs chinois et des rois de France était ainsi dévoilée dans l’aile Sully. Une maquette détaillée de la Cité interdite était érigée dans les fossés du Louvre médiéval, aux côtés de laquelle se trouvaient aussi de nombreuses représentations des collections d’art et des calligraphies ayant appartenu à Kangxi et à l’empereur Qianlong (1711- 1799). Les poésies, les calligraphies, les peintures et les musiques de Qianlong étaient exposées dans l’aile Richelieu. Des œuvres d’art de la Cité interdite sous les yeux des Français, et retraçant le règne de trois grands empereurs chinois : c’était une première mondiale.
En 2005 déjà, lors de l’Année franco-chinoise, un accord de coopération avait été signé entre le musée du Louvre et la Cité interdite. Puis en 2008, les deux pays avaient conjointement organisé l’exposition « Napoléon et le Louvre » à la Cité interdite de Pékin. 100 objets avaient été exposés, parmi lesquels se trouvaient de nombreuses peintures, sculptures et céramiques, et même des meubles permettant d’offrir au visiteur le récit de l’histoire de Napoléon Bonaparte. Cette exposition a permis d’ouvrir la voie à une longue période « d'amitié culturelle » entre la France et la Chine. Le 4 novembre 2010, lors d’une visite d’État du président chinois Hu Jintao en France, les dirigeants chinois et français signaient ainsi un accord de coopération quinquennale à l’Élysée.
L’épée du sacre de Napoléon, au Musée du Palais (Cité interdite), le 7 avril 2017, à Pékin. Plus de 300 objets auront été exposés lors de cet événement, dont le diadème de l'impératrice Marie Louise, l'un des plus emblématiques de l'histoire de la joaillerie française ou encore les bijoux de la famille Bourbon-Parme. © Nouvelles d'Europe
Un dialogue entre l’Europe et l’Asie
Qianlong partageait un point commun avec son homologue François 1er : il était un grand collectionneur d’œuvres en tout genre et un grand promoteur d’art dans son empire. La Chine était par certains aspects, déjà ouverte au monde. Les empereurs chinois avaient recruté des artistes occidentaux en tant que peintre à la cour impériale : une chance que Giuseppe Castiglione et Jean-Denis Attiret, entre autres, avaient su saisir. Les points communs qui unissent la Cité interdite de Pékin et le musée du Louvre de Paris sont en effet plus nombreux qu’on ne le croit. Même séparés par 10 000 km de distance, ils ont des similarités architecturales, et surtout une histoire commune : ils ont symbolisé la montée en puissance de leur empire ou monarchie, et sont devenus les sanctuaires du patrimoine de leur époque.
En Chine aussi on a mis à l’honneur la culture française. Et la France peut compter sur tout l’effort de restauration dont la Cité interdite de Pékin a fait l’objet. Le musée du Palais, l’organisme qui gère la Cité interdite, se devait d’être prêt pour le patrimoine qu’il abritait. Des sites importants comme le temple du Ciel, la résidence de la montagne de Chengde et le palais de Mukden ou encore le palais de Taipei, ont eux aussi été restaurés pour l’occasion.
Une stratégie commune : l’internationalisation
Dans le contexte de la mondialisation, le Louvre et la Cité interdite internationalisaient et modernisaient leurs stratégies. En 2012, la prise de fonction du nouveau directeur du musée du Palais, Shan Jixiang, a inauguré la transition d’un site touristique traditionnel à une institution consacrée à la vulgarisation du savoir historique. Le musée du Palais a lancé de nouvelles tendances pour attirer la jeunesse chinoise en proposant de nouveaux produits culturels, comme des bijoux, du maquillage, des documentaires ou encore des applications mobiles. Aujourd’hui, le musée du Palais est devenu une grande marque, avec une visibilité croissante parmi les jeunes Chinois, sinon dans le monde entier. Comme le rappelait également Zheng Xinmiao, directeur du musée au début des années 2000, la coopération franco-chinoise a permis à la Cité interdite de s’exporter hors de ses frontières.
Le Président Emmanuel Macron en visite à la Cité interdite © China News
En France aussi, la hausse du tourisme a fait décoller la notoriété du musée du Louvre. Selon Henry Loyrette, directeur du Musée à l’époque, le nombre de visiteurs chinois au Louvre passait de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année. De nombreux touristes pouvaient ainsi bénéficier du rayonnement culturel de Paris et du musée du Louvre, qui figure aujourd'hui comme l’une des plus grandes attractions touristiques du monde. Le projet du « Grand Louvre », datant de 1981, avait en effet permis d’augmenter la visibilité du site. La superficie du musée avait été accrue lors des travaux pour atteindre les 60 000 m2, permettant d’augmenter le nombre de visiteurs, qui était passé de 4 à 8 millions par an entre 1981 et 2011.
L’augmentation du nombre de visiteurs a apporté d’importants revenus aux deux musées. Selon Jean-Luc Martinez, directeur du Louvre, les 2,2 millions de visiteurs supplémentaires entre 2016 et 2017 auraient rapporté plus de 15 millions d’euros au musée en revenus de billetterie. Pour sa part, Shan Jixiang a déclaré que le chiffre d’affaires du musée du Palais avait généré près de 1,5 milliard de yuans en produits dérivés. Il existe une certaine spécificité chinoise à ce sujet : le développement du pays et l’amélioration du niveau de vie de ses habitants ont accru les opportunités touristiques pour la Cité interdite. Le tourisme s’est progressivement imposé comme l’un des moteurs de l’économie chinoise. C’est pourquoi la Cité interdite figure aux côtés du Louvre comme l’un des lieux culturels les plus visités au monde. Les deux sites font depuis la course en tête. En 2016, la Cité interdite a dépassé le Louvre en termes de fréquentation annuelle, avant d’être de nouveau dépassée par le Louvre, qui a de nouveau remporté la première place en 2017 avec plus de 8,1 millions de visiteurs.
Une nouvelle opportunité pour les relations franco-chinoises
La crise de la Covid-19 a changé la donne. Selon un rapport publié par l’UNESCO, près de 100 000 musées dans 87 États membres ont été fermés pendant une période de plus de 155 jours en 2020. Face à cette crise, le musée du Louvre et la Cité interdite ont innové en proposant des visites virtuelles. En avril 2020, à l’occasion des 600 ans de la Cité interdite, le site s’est appuyé sur Internet. Trois séances ont ainsi été organisées pour diffuser au public les magnifiques paysages printaniers de l’ancien Palais. De son côté, le Louvre a lancé des visites virtuelles, ainsi qu’un nouveau site internet, abritant notamment une gigantesque base de données regroupant de nombreuses collections.
L’année 2021 a figuré enfin comme une renaissance, alors qu’ont progressé les vaccinations contre la Covid-19, et que se rapproche la perspective d’un déconfinement généralisé au niveau mondial et d’une reprise de l’industrie du tourisme international. En mars 2019 déjà, le président chinois Xi Jinping et son homologue français Emmanuel Macron avaient annoncé conjointement la mise en place d’une année franco-chinoise du tourisme culturel pour 2021. Ils avaient mis en œuvre un plan d’action pour les relations franco-chinoises, qui avait permis la signature d’un accord de partenariat entre le Centre Pompidou à Paris et le Shanghai West Bund Museum. C’est aussi dans la foulée de ce plan qu’avait été organisée l’exposition La Chine à Versailles, à la Cité interdite, ainsi que celle portant sur les routes de la soie à l’Institut du monde arabe à Paris.
La Chine et la France semblent finalement parties pour voir leur coopération culturelle se poursuivre, aussi bien dans le domaine de la valorisation que de la conservation du patrimoine culturel. Il est probable que, dans l’avenir, les deux pays mettent encore en œuvre des programmes de coopération, pourquoi pas au niveau du site de l’armée de terre cuite à Xi’an, ou concernant le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Article en partenariat avec L’Humanité Dimanche
Photo du haut : la Cité interdite au Louvre © China News
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