Pourquoi le kung-fu est-il devenu un symbole particulier de la culture chinoise en Occident ?

1653036442445 China News Zhao XU
Les arts martiaux chinois, dont l’histoire est séculaire et profonde, sont la cristallisation de la sagesse du peuple chinois. Il ne s'agit pas seulement d'une combinaison de force et de souplesse, d'entraînement interne et externe, mais également de la compréhension du peuple chinois de la vie et l'univers. À l'étranger, les gens appellent les arts martiaux chinois « kung-fu ». Comment ce dernier est-il devenu un symbole spécifique de la culture chinoise en Occident ? Wu Dong, directeur du Centre international de recherche sur le développement des arts martiaux à l'Institut chinois des arts martiaux de l'Université d'éducation physique et sportive de Pékin, et Luca Ghinolfi, responsable de la Fédération italienne d’arts martiaux, ont accordé une interview à China News pour apporter des explications.

CNS : Pourquoi les arts martiaux chinois provoquent-ils une telle fascination à l'étranger ?

Luca Ghinolfi : Depuis mon enfance j'ai pratiqué différents sports, j'ai gagné le championnat italien d’haltérophilie dans la catégorie junior et j’ai également expérimenté différents arts martiaux tels que le judo, le karaté et les arts martiaux indiens. Mon amour pour la culture traditionnelle chinoise m’a conduit à suivre l’enseignement d’un professeur chinois d’arts martiaux chinois. Dans les années 1970, les films de kung-fu ont commencé à circuler en Occident, leurs acteurs parmi lesquels Bruce Lee, Jackie Chan, Jet Li ont largement contribué à leur popularité dans le reste du monde. Ce type de cinéma a été un véritable terreau pour le développement des arts martiaux en Occident dont les habitants étaient fascinés par leurs profondes valeurs culturelles, le respect de l'homme et de la nature, ainsi que leurs capacités à cultiver le corps et à trouver de nombreuses réponses aux questions existentielles de la vie.

Wu Dong : J'ai commencé à pratiquer les arts martiaux avec ma famille à l'âge de six ans. En 1988 je suis entré à l'Université d'éducation physique et sportive de Pékin, en 1992 j’y ai obtenu mon diplôme et cela fait maintenant 30 ans que j’y enseigne les arts martiaux chinois. Certes, les arts martiaux chinois ont été connus dans le monde entier grâce aux films de kung-fu, mais leur popularité s’explique par la profondeur culturelle qu'ils contiennent ; ils ont aidé de nombreuses personnes qui ne connaissaient pas la Chine à mieux la comprendre et en aimer la culture.

CNS : En quoi les arts martiaux chinois et occidentaux vous ont-ils apporté une expérience différente ?

Luca Ghinolfi : L'histoire des arts martiaux est complexe, elle est notamment influencée par des caractéristiques qui sont différentes selon les pays comme par exemple la géographie, la culture, les us et coutumes, les traditions, l'idéologie et les habitudes de vies... Les arts martiaux chinois et occidentaux présentent également des caractères nationaux différents en raison de la dissemblance de leurs essences culturelles. Cependant, tous deux permettent aux pratiquants de prendre confiance en leur corps, en leurs capacités et d’avoir conscience de leurs limites. Grâce à la pratique des arts martiaux, la santé physique peut également être transformée. Ainsi, à mon avis, il n'y a pas de différence de principe entre les arts martiaux chinois et occidentaux, les deux sont des moyens de rechercher une vie épanouie.

Wu Dong : Les arts martiaux chinois et occidentaux sont similaires en termes de renforcement du corps. Cependant, les arts martiaux chinois sont une combinaison de fortification physique, d’auto défense, de perfectionnement corporel et moral. C’est également un mélange de théorie médicale, philosophique et de boxe, qui reflète l’expression holistique du mode de pensée chinois. Il y a une différence culturelle entre l'Est et l'Ouest : en Occident, les gens cherchent surtout à être plus grands, plus rapides et plus forts. Dans les arts martiaux chinois la dialectique est tout autre : tu vises plus haut, je vise plus bas tu accélères, je ralentis,  tu intensifies tes coups,  je fais preuve d’encore plus de souplesse.

Prenons l'exemple de l'art martial chinois du Taijiquan : il ne s'agit pas d'une confrontation mais d'un dialogue. Ce n'est pas aussi lent qu’il n’y paraît, mais une façon de contrôler le corps et l'esprit. Il ne s'agit pas non plus d'un simple type d'art martial mais d'une bonne façon de se connaître soi-même, d'une façon chinoise de connaître le monde. C’est un chef-d'œuvre culturel qui résume et transmet au monde la connaissance chinoise de la nature, c’est également un support permettant d’appréhender la culture chinoise par les mouvements du corps.

CNS : Comment les arts martiaux chinois incarnent-ils la conception de la vie et de l'univers par le peuple chinois ?

Wu Dong : La culture chinoise est une culture d’harmonie. Alors que l'essence de leur culture n'est pas l'attaque mais la défense, les arts martiaux chinois sont un microcosme interprétatif de la culture chinoise. Je suis persuadé que la compréhension et l'interprétation chinoises de la vie pourraient donner à l'humanité une nouvelle façon de penser à l'avenir, une pensée non imposée mais partagée. Le partage de la culture chinoise dans le monde à travers ses arts martiaux offrirait à davantage de personnes une vie heureuse en bonne santé. Dans le même temps, comprendre la culture chinoise, s’en passionner et l’utiliser permettrait qu’elle puisse vraiment apporter une contribution unique au bien-être de l'humanité en lui fournissant une perspective, une pensée et une sagesse chinoise pour sa compréhension de la beauté, et l’harmonie du monde.

Luca Ghinolfi : Je crois que les arts martiaux chinois ne sont pas seulement une forme de pratique sportive, mais également un moyen pour ses pratiquants de comprendre et de réaliser réellement la recherche de la paix et de l'harmonie, d'expérimenter la joie et la beauté de la coexistence entre l'homme, la société et la nature. Ceci est décrit dans le classique écrit par Laozi « Le livre de la voie et de la vertu » 道德经 Dao De Jing :

« L'homme d'une vertu supérieure est comme l'eau.

L'eau excelle à faire du bien aux êtres et ne lutte point.

Elle habite les lieux que déteste la foule.

C'est pourquoi le sage approche du Tao. 

Il se plaît dans la situation la plus humble.

Son cœur aime à être profond comme un abîme.

S'il fait des largesses, il excelle à montrer de l'humanité.

S'il parle, il excelle à pratiquer la vérité.

S'il gouverne, il excelle à procurer la paix.

S'il agit, il excelle à montrer sa capacité.

S'il se meut, il excelle à se conformer aux temps.

Il ne lutte contre personne ; c'est pourquoi il ne reçoit aucune marque de blâme. »[1]

Il y a derrière ces arts martiaux beaucoup de sagesse chinoise et un mode de vie à l’esprit ouvert. Ainsi, mon professeur me citait souvent la chanson de Wumen Huikai - moine bouddhiste Chan : « Fleur de printemps, lune d’automne, brise d’été, neige d’hiver. Rien ne préoccupe l’esprit : telle est la meilleure saison »[2]. Aujourd'hui, je transmets souvent à mes étudiants la même prise de conscience de la vie que celle que j'ai apprise grâce à « l’observation de son monde intérieur ».

Wu Dong, directeur du Centre de recherche sur le développement international des arts martiaux à l'Institut chinois des arts martiaux de l'Université des sports de Pékin, dont les recherches portent sur l'étude de l'histoire des arts martiaux, la pensée philosophique des arts martiaux traditionnels, la standardisation du Taijiquan et l'enseignement des arts martiaux.

Luca Ghinolfi, chef de la Fédération italienne des arts martiaux, se consacre depuis longtemps à la promotion et à la recherche des arts martiaux chinois. Il a fondé le club italien de Taijiquan dont il a remporté le championnat italien en équipe pendant 12 années consécutives.

Cet article a été initialement publié en chinois sur Chinanews.com.cn.

Photo : Unsplash



[1] Traduction originale de Julien sur le site Wengu http://wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?l=Daodejing&no_=71&no=8&lang=fr

[2] Traduction originale de Catherine Despeux dans l'ouvrage : La Passe sans porte, Paris, Editions Points, 2014, p.120.

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